Un personnage de roman ou de film est fictif : il n’existe pas, autrement que dans l’oeuvre. S’il tient des propos racistes, ou s’il raconte sa vie de pédophile, ces propos n’ont ni le même sens ni la même portée que s’ils étaient tenus par un citoyen s’exprimant dans l’espace public.
D’une part, ils n’expriment pas nécessairement l’opinion de l’auteur, et il serait absurde de condamner pénalement des propos qui n’existent que sur le papier : cela reviendrait à assimiler l’auteur à son personnage, à le confondre avec son oeuvre. Or représenter, évoquer, n’est pas approuver.
D’autre part, le spectateur ou le lecteur peut mettre à distance ces propos.
L’oeuvre d’art, qu’elle travaille les mots, les sons ou les images, est toujours de l’ordre de la représentation. Elle impose donc par nature une distanciation qui permet de l’accueillir sans la confondre avec la réalité.
C’est pourquoi l’artiste est libre de déranger, de provoquer, voire de faire scandale. Et c’est pourquoi son oeuvre jouit d’un statut exceptionnel, et ne saurait, sur le plan juridique, faire l’objet du même traitement que le discours qui argumente, qu’il soit scientifique, politique ou journalistique…
Cela ne signifie pas que l’artiste n’est pas responsable. Il doit pouvoir rendre compte au public, mais toujours dans le cadre de la critique de ses oeuvres, et certainement pas devant la police ou les tribunaux.
Il est essentiel pour une démocratie de protéger la liberté de l’artiste contre l’arbitraire de tous les pouvoirs, publics ou privés. Une oeuvre est toujours susceptible d’interprétations diverses, et nul ne peut, au nom d’une seule, prétendre intervenir sur le contenu de l’oeuvre, en demander la modification, ou l’interdire.
L’histoire a toujours jugé avec sévérité ces censures et ces condamnations qui furent, au fil des temps, l’expression d’un arbitraire lié à une conception momentanée de l’ordre public, de l’ordre moral, voire de l’ordre esthétique.
Nous affirmons que le libre accès aux oeuvres est un droit fondamental à la fois pour l’artiste et pour le public. Il revient aux médiateurs que sont notamment les éditeurs, les directeurs de publication, les commissaires d’exposition, les producteurs, les diffuseurs, les critiques de prendre leurs responsabilités à la fois vis à vis des auteurs et vis-à-vis du public : l’information du public sur le contexte (historique, esthétique, politique), et sur l’impact du contenu de l’oeuvre, quand il pose problème, doit remplacer toute forme d’interdiction, ou toute forme de sanction à raison du contenu de l’oeuvre.
Et il est également essentiel de défendre la liberté de la création et de la diffusion contre les phénomènes d’entrave économique telles les menaces d’abus de position dominante, d’uniformisation des contenus et d’absence de visibilité des oeuvres que font peser les mouvements de concentration.
La Ligue des droits de l’Homme, avec des personnalités et des associations, a créé un observatoire de la liberté d’expression en matière de création pour débattre et intervenir sur ces questions.
Elle demande aux pouvoirs publics l’abrogation : de l’article 14 de la loi de 1881 , de l’article 14 de la loi de 1949 , et l’exclusion expresse des oeuvres du champ d’application des articles 24 de la loi de 1881 , et 227-23 et 227-24 du code pénal, toutes dispositions permettant aujourd’hui soit une mesure d’interdiction par le ministère de l’intérieur, soit une sanction pénale des oeuvres à raison de leur contenu.
Elle invite tous ceux qui défendent la liberté de créer, lecteurs, auditeurs, spectateurs aussi bien que les artistes, écrivains, cinéastes, musiciens, éditeurs, critiques, galeries, producteurs, institutions, syndicats, etc… à participer à cet observatoire.
Pour mieux comprendre ces articles de lois, vous pouvez consulter l’article d’Agnès Tricoire analysant chronologiquement tous les textes de lois relatifs à la censure.
Lire l’article
Déclarent participer et adhérer à ce manifeste :
Chantal Ackerman, cinéaste ; Pierre Alferi, écrivain ; Philippe Arnould, réalisateur ; Ariane Ascaride, comédienne ; Lucien Attoun, critique dramatique ; Patricia Bardon, cinéaste, membre de la commission de classification des films ; Benjamin Barouh, éditeur ; Arnaud Baumann, photographe ; Guy Bedos, humoriste ; Jean-Jacques Beineix, cinéaste ; Hervé Bérard, cinéaste, membre de la commission de classification des films ; Sylvie Blocher, artiste plasticienne ; Marc Caro, cinéaste ; Julien Cendres, écrivain ; Ines Champey, critique d’art ; Jean-Paul Curnier, écrivain ; François Daune, architecte urbaniste ; Luc Decaster, cinéaste ; Régine Deforges, écrivain ; Olivier Ducastel, cinéaste ; Aude Du Pasquier Grall, artiste ; Pascale Ferran, cinéaste ; Yves Frémion, écrivain, conseiller régional ; Jean Ferrat, chanteur ; Gloria Friedman, artiste ; Philippe Garrel, cinéaste ; Fernand Garcia, producteur, membre de la commission de classification des films ; Jacob Gautel, artiste ; Olivier Grasser, responsable de l’art contemporain à la maison de la culture d’Amiens ; Robert Guédiguian, cinéaste ; Jacques Henric, écrivain ; Thomas Hirschhorn, artiste ; Michel Host, écrivain ; Paula Jacques, écrivain, éditeur ; Frédéric-Yves Jeannet, écrivain ; Francis Jeanson, écrivain ; Nicolas Jones-Gorlin, écrivain ; Bernard Joubert, journaliste ; Serge Koster, écrivain ; Jean-Marie Laclavetine, écrivain, éditeur ; Alain Lance, directeur de la Maison des Écrivains ; Caroline Lamarche, romancière ; Lysianne Léchot Hirt, responsable des activités culturelles de l’Université de Genève ; Bertrand Leclair, écrivain ; Philippe Mangeot, enseignant ; Eric Mangion, FRAC PACA ; Farouk Mardam-Bey, éditeur ; Jacques Martineau, cinéaste ; Claire Merleau-Ponty, scénographe ; Annette Messager, artiste ; Yves Michaud, professeur des universités ; Catherine Millet, écrivain ; Florence Montreynaud, écrivaine ; Gaël Morel, acteur, réalisateur, scénariste ; Edgar Morin, chercheur ; Maurice Nadeau, éditeur ; Yves Nilly, écrivain ; Dominique Noguez, écrivain ; Paul Otchakovsky-Laurens, éditeur ; Aline Pailler, journaliste ; Pierre Paulin, créateur ; Benoit Peeters, écrivain, scénariste ; Gilles Perrault, écrivain ; Jean-Hugues Piettre, centre de ressource du centre national des arts plastiques ; Olivier Poivre d’Arvor, écrivain, directeur de l’AFAA ; Nicolas Rey, écrivain, journaliste ; Anne Rochette, sculpteur, enseignante ; Willy Ronis, photographe ; Philippe Rouyer, critique de cinéma ; Marc Sanchez, directeur artistique du Palais de Tokyo ; Elias Sanbar, écrivain ; Jean-Louis Sarthou , écrivain ; Léon Schwartzenberg, médecin, professeur, écrivain ; Antoine Spire, écrivain ; Raphael Sorin, éditeur ; Lionel Soukaz, cinéaste ; Eric Tandy, critique musical ; Jean-Pierre Thorn, cinéaste.
Associations/Revues/Syndicats :
AACE ; Artconnexion, agence de production et de médiation en art contemporain ; Association des Bibliothèques de France (ABF) ; Association de Développement et de Recherche sur les Artothèques (ADRA) ; Association des Conservateurs et du Personnel Scientifique des Musées de la Ville de Paris ; Association des Conservateurs d’Art Contemporain (CAC 40) ; Association Internationale des Critiques d’Art (AICA), section française ; Association Française des Régisseurs d’Oeuvres d’Art (AFROA) ; Association Nationale des Conseillers aux Arts Plastiques (ANCAP) ; Association Nationale des Directeurs de Centres d’Art (DCA) ; Association Nationale des Directeurs d’Ecoles d’Art (ANDEA) ; Association Nationale des Directeurs de FRAC (ANDF) ; Association Nationale des Personnes en Charge des Relations des Publics à l’Art Contemporain (Un moment voulu) ; Association Places Publiques ; Bureau d’Art et de Recherche de Roubaix ; Cassandre (revue) ; Chambre Syndicale de l’Estampe, du Dessin et de Tableau (CSEDT) ; Collectif Culture ; Collectif GIGA ; Comité des Artistes Auteurs Plasticiens (CAAP) ; Comité Professionnel des Galeries d’Art (CGA) ; Congrès Interprofessionnel de l’Art Contemporain (CIPAC) ; Coordination Nationale des Enseignants des Écoles d’Art (CNEEA) ; Dédale ; Fédération Française des Conservateurs Restaurateurs (FFCR) ; Fédération des Réseaux et Associations d’Artistes Plasticiens (FRAAP) ; Immanence ; Jeune Création ; Lac et S ; Le Génie de la Bastille ; Le pays où le Ciel est toujours bleu ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; SEPA – Bon Accueil ; RDV – Murmures de Quartier ; Revue d’Etudes Palestiniennes ; Syndicat National des Artistes Plasticiens CGT (SNAP CGT) ; Vacarme (revue).
Signatures publiées en mars 2003 dans Les Inrockuptibles, la Quinzaine Littéraire et Politis.