Déclaration conjointe REMDH, OBS et programme de la FIDH et de l’OMC
Le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme commun de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), sont vivement préoccupés par les restrictions et la criminalisation alarmantes du travail de la société civile en Égypte.
Nos organisations sont atterrées par la sentence prononcée par la Cour pénale du nord du Caire le 4 juin 2013, qui condamne 43 employés égyptiens et étrangers issus de cinq organisations de la société civile étrangères à des peines allant de un à cinq ans de prison pour avoir « géré des bureaux non enregistrés » de leur organisation, « réalisé des études, des formations politiques, des enquêtes et des ateliers sans licence », « formé des partis et des groupes politiques » et « reçu illégalement des financements étrangers ».
La Cour a également ordonné la saisie des fonds et la fermeture des bureaux égyptiens de Freedom House, de l’International Republican Institute, du National Democratic Institute, du International Centre for Journalists (ICFJ) et de la fondation Konrad Adenauer. Cette condamnation survient alors que les discussions portant sur un nouveau projet de loi relatif aux associations devant le Conseil de la Choura suscitent de vives inquiétudes, dans la mesure où ce texte vise à imposer aux organisations de la société civile leurs objectifs, activités et principes de fonctionnement interne, tout en leur imposant des contrôles bureaucratiques et liés au contenu de toutes leurs activités, et ce à de nombreux niveaux.
En effet, la version du 29 mai envoyée par le président Morsi au Conseil de la Choura conserve la plupart des dispositions problématiques qui imposent un contrôle strict aux ONG quant à leur établissement, leur financement, leurs activités quotidiennes, leurs décisions internes et leur fonctionnement.
Ce projet de loi est dans la même lignée que la récente décision judiciaire du 4 juin qui criminalise le travail légitime des organisations étrangères de la société civile en Égypte et ne respecte pas les normes internationales relatives à la liberté d’association. Si cette loi est adoptée, le travail quotidien des ONG locales et étrangères deviendra extrêmement difficile dans tous les domaines, qu’il s’agisse du développement, de la culture ou de la promotion des droits de l’Homme, entre autres. Elles devront subir des contrôles bureaucratiques excessifs, la surveillance du gouvernement et respecter d’innombrables procédures d’autorisation pour toutes leurs activités. L’essence de cette loi est d’aligner la société civile sur les politiques du gouvernement, ce qui risque d’étouffer les opinions dissidentes et de criminaliser encore davantage les militants civils, comme l’a démontré la condamnation rendue hier au Caire contre des employés d’ONG internationales.
Il est plus que temps pour l’Union européenne (UE) et ses États membres d’exprimer, haut et fort, leur soutien à la société civile indépendante en Égypte au vu des engagements pris dans le cadre de la nouvelle politique européenne de voisinage.
Le 2 juin dernier, la Haute Cour constitutionnelle égyptienne (HCC) a décidé que le Conseil de la Choura et la commission constituante avaient été formés de manière inconstitutionnelle, sur la base d’une loi électorale relative aux candidats indépendants, qui avait elle aussi été jugée inconstitutionnelle plus tôt cette année. La HCC a reporté la dissolution du Conseil de la Choura à l’issue des prochaines élections législatives. La réforme de la loi sur les associations devrait donc être réalisée après l’élection d’une nouvelle assemblée parlementaire jouissant d’une pleine légitimité.
Nous exhortons dès lors l’UE et ses États membres à demander sans délai, fermement et publiquement, à la présidence égyptienne et au Conseil de la Choura de reporter l’adoption de cette loi et de réexaminer ses dispositions, afin de s’assurer qu’elles sont conformes aux normes internationales ratifiées par l’Égypte qui protègent le droit à la liberté d’association. En outre, nous demandons à l’UE d’exhorter avec fermeté les autorités égyptiennes à mettre fin immédiatement à toutes les formes de harcèlement ou d’intimidation auxquelles sont sujettes des organisations indépendantes de la société civile et surtout d’abandonner toutes les poursuites pénales contre les employés d’organisations de la société civile.
Voir également : la déclaration de 40 organisations de la société civile égyptienne, 30 mai 2013 (en anglais)
L’enregistrement des ONG égyptiennes serait toujours soumis à une procédure d’autorisation déguisée, malgré l’emploi du terme « notification ». En effet, l’article 6 du projet de loi stipule clairement que les organisations ne seront légalement reconnues qu’à l’issue d’une période de 30 jours suivant le moment de la notification, si les autorités concernées n’émettent aucune objection.
Les financements étrangers doivent encore être approuvés par un « comité de coordination » (art. 63) ; même les dons matériels (tels que les publications) ne sont permis que si « leur contenu est cohérent avec les activités de l’association et contribue à celles-ci » (art. 13) ce qui limite indûment le droit à l’accès aux informations et à leur diffusion.
L’enregistrement et les activités des organisations étrangères doivent être autorisés préalablement par le comité de coordination pour chaque projet. La formulation vague des dispositions sur les restrictions prévues ouvre la porte à des interprétations abusives, comme à l’art. 60 : « L’ONG étrangère doit dépenser ses fonds en vue de réaliser ses objectifs conformément aux règles des activités qu’elle est autorisée à réaliser dans la République arabe d’Égypte et elle doit respecter la constitution et la loi. » À tout moment, le comité de coordination « peut s’opposer à toute activité ou à tout canal de financement par le biais d’une lettre recommandée envoyée à l’organisation requérant que l’organisation remédie au problème dans les 15 jours » (art. 62). Si l’ONG conteste cette décision, et dans ce cas uniquement, un comité d’examen financier et administratif sera formé pour analyser ce cas particulier et éventuellement le renvoyer devant les tribunaux.
Le comité de coordination qui régira les activités de la société civile n’est pas précisément défini dans le texte de loi. Le chapitre 5 de l’art. 53 stipule que « quatre représentants des ministères ou organisations concernés sélectionnés par les ministres compétents » et « quatre représentants d’organisations civiles sélectionnés par la Fédération générale des organisations de la société civile » le composeront, ainsi que « tout expert ou personne concernée » jugé approprié. Si les précédents textes institutionnalisaient l’ancienne pratique de l’intervention des services de sécurité dans les décisions concernant les ONG étrangères et les financements étrangers, l’actuel projet de loi a supprimé cette mention, mais a conservé une formulation suffisamment vague pour permettre à toute personne « jugée appropriée » de faire partie du comité.
Enfin, les sanctions sévères sont maintenues (avec des amendes pouvant aller de 10 000 livres à 100 000 livres et l’interdiction de faire partie d’un conseil d’administration d’une organisation de la société civile pendant un à cinq ans) en cas de violations du texte de loi, telles que l’utilisation de fonds étrangers sans autorisation préalable, la dépense des fonds de l’ONG « à des fins autres que celles prévues » ou encore l’utilisation des fonds de l’ONG après qu’elle a été dissoute. Ces mêmes violations, sans oublier l’adhésion à une organisation ou à un réseau international sans l’autorisation préalable du comité de coordination, exposent les ONG à la suspension de leurs activités ou à la dissolution de leur structure.