Pendant plusieurs mois, les associations Acat, Ardhis, Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France, CASP, Centre Primo Levi, Cimade, Coallia, Comede, Croix rouge française, Dom’asile, Fnars, France terre d’asile, groupe Accueil et Solidarité, JRS France, Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde, Secours catholique, ont participé à un travail collectif pendant la concertation nationale de la réforme de l’asile organisée par le gouvernement en juillet dernier. Elles espèrent encore avoir été entendues et attendent maintenant que les propositions qu’elles ont portées au débat soient prises en compte dans le rapport des parlementaires qui sera rendu à Manuel Valls à la fin du mois de novembre, puis reprises dans le projet de loi qui portera réforme de l’asile.Le droit d’asile est un droit fondamental que la France s’est engagée à respecter à travers ses engagements internationaux depuis 1951. Inscrit dans la Constitution, il consiste pour chacun à pouvoir demander la protection de la France lorsqu’il considère qu’il est persécuté ou en danger dans son pays d’origine. Même si le sujet est sensible à la veille d’un rendez-vous électoral, le droit d’asile doit être réformé sereinement, tout en assurant la protection des demandeurs d’asile et en respectant leurs droits fondamentaux.
En 2012, le nombre de demandeurs d’asile est de 61 000, niveau déjà atteint en 1989 et 2004. Les parlementaires ont présenté au terme de la concertation deux scénarios principaux pour cette prochaine réforme, tous deux très éloignés des demandes explicites de l’ensemble des associations présentes. Celles-ci insistent pour que les demandeurs d’asile puissent notamment bénéficier d’une simplification de la procédure et d’une égalité de traitement et enfin d’un accès aux soins de santé. Les associations s’inquiètent également de la diminution des crédits d’hébergement pour les demandeurs d’asile inscrits dans la loi de finance 2014 (-9,6 Millions d’euros), décision qui limite fortement les possibilités d’amélioration d’un système à bout de souffle.
Le bilan de la concertation nationale
A l’issue de la concertation nationale sur l’asile en France, les associations signataires saluent le dialogue instauré entre les associations, les administrations, les élus, les offices et la Cour nationale du droit d’asile pour dresser un état des lieux partagé des dysfonctionnements du système français d’asile. Mais l’enjeu reste d’apporter une vision globale de la réforme du système d’asile français en étant particulièrement vigilant à ce que l’ensemble des réflexions issues des ateliers soit articulé les unes aux autres et ce, afin d’apporter une véritable cohérence de l’ensemble du dispositif qui sera proposé à l’issue de la concertation nationale. Or, l’insuffisance des échanges entre ateliers thématiques n’a pas permis de partager une analyse globale sur les causes et les solutions de la crise. Les parlementaires chargés du rapport final doivent alors garantir cette transversalité et la cohérence de l’ensemble des réflexions issues des ateliers, en veillant à associer le secteur associatif à la poursuite de leurs travaux. Et l’on attend encore des informations sur le calendrier de restitution du rapport final ainsi que de l’échéance législative. En attendant, nous nourrissons l’espoir que cette concertation débouchera effectivement sur une réforme d’ampleur qui permette de restaurer un système d’accueil des demandeurs d’asile, qui allie simplicité et qualité, rapidité et solidarité.
La remise en question du fonctionnement, qui prévaut depuis plus de dix ans, devrait enfin remédier au mille-feuille de guichets, d’exclusion et de délais qui ont rendu la procédure d’asile et le dispositif d’accueil d’une incroyable complexité et d’une totale illisibilité. Une réforme de l’asile doit être fondée sur quelques principes fondamentaux visant à garantir notamment l’accès effectif aux droits et l’autonomisation des demandeurs d’asile, y compris l’accès au travail et à la formation professionnelle.
Réformer la procédure en redonnant à l’Ofpra un rôle central
L’Ofpra, dont l’autonomie et les moyens doivent être renforcés, doit pouvoir être garant du respect des procédures quant à la demande d’asile. Il doit pour ce faire être saisi en premier de cette demande et il devra lui revenir de déterminer la procédure applicable pour l’examen d’une demande d’asile sur des critères liés à la protection. En conséquence, les préfets délivreraient un document de séjour en fonction de cette décision de l’Ofpra. Il n’y a donc plus de sens à maintenir l’admission préalable au séjour et par voie de conséquence sa régionalisation. Cette simplification est la transposition obligatoire d’une disposition de la nouvelle directive « procédure » du 26 juin 2013.
Elle implique de supprimer d’une part, le système actuel d’une décision préalable du préfet sur le séjour de personnes placées en procédures Dublin et prioritaire et d’autre part, l’obligation de domiciliation comme préalable à l’admission au séjour. Ce principe ne doit cependant pas conduire à la disparition de la mission de domiciliation, élément essentiel d’accueil et d’accès aux droits des demandeurs d’asile.
L’examen à l’Ofpra suivrait des modalités adaptées à chaque demande doit se dérouler sur la base d’un entretien individuel au cours duquel le demandeur doit pouvoir être assisté d’un interprète, d’un avocat, d’une association ou personne de son choix. Il doit pouvoir le modifier et approuver le compte rendu en apportant des éléments complémentaires, sans que cette procédure pénalise les personnes sans soutien et/ou ressources. Les décisions de l’Ofpra doivent être aisément compréhensibles et rendues dans un délai maximal de six mois. En cas de rejet, le recours devant la CNDA doit être pleinement suspensif, y compris pour les procédures prioritaires. Le demandeur doit pouvoir être entendu devant une formation collégiale, assisté d’un avocat et d’un interprète. Cette réorganisation doit garantir à tous les demandeurs d’asile une procédure juste et équitable et doit passer pour cela par la réduction des délais d’instruction de l’Ofpra.
Garantir l’égalité de traitement des demandeurs d’asile et l’accès à un hébergement et à un accompagnement de qualité
L’égalité de traitement entre les demandeurs d’asile doit être garantie, avec pour conséquence l’accès de tous les demandeurs d’asile à des conditions matérielles d’accueil dignes et respectueuses des engagements internationaux de la France dès l’enregistrement de leur demande d’asile, pendant toute la procédure et quelle que soit celle dont ils dépendent.
Le droit à une adresse doit être accessible sans délai sur tous les territoires, et ce pour l’ensemble des demandeurs d’asile sans domicile pour garantir notamment l’accès à une protection maladie et des aides sociales. La domiciliation ne se réduit pas au bénéfice d’une adresse, et les organismes domiciliataires doivent proposer des missions d’information, d’accompagnement et d’orientation pour faciliter l’accès aux droits. La domiciliation doit donc être maintenue, renforcée et simplifiée pour garantir l’accès rapide à la procédure et aux droits mais non être une étape exigée pour l’accès à la demande d’asile. Il s’agirait d’une orientation prioritaire des demandeurs d’asile sans domicile stable vers les organismes spécialisés dans la domiciliation et l’accompagnement des demandeurs d’asile mais, parallèlement, il doit être prévu la possibilité pour le demandeur d’asile de recourir à un autre organisme associatif non spécialisé ou un CCAS.
La prise en charge au titre de l’aide sociale de l’Etat doit être renforcée par la mise en adéquation entre les besoins et l’offre en termes d’hébergement et d’accompagnement et ce, quel que soit le choix du demandeur. Il ne saurait être proposé un hébergement sans un accompagnement adapté en fonction des besoins des personnes. Le Cada, modèle pivot du dispositif doit assurer ces deux missions et doit donc être maintenu dans le code de l’action sociale et des familles. Pour garantir celles-ci, des places en Cada en nombre suffisant pour couvrir les besoins de tous les demandeurs d’asile qui souhaitent y accéder, y compris en outre-mer, doivent être programmées et créées en conséquence. L’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle de capacité d’hébergement et d’accompagnement en Cada doit être engagée au plus vite. Elle doit alors prévoir au plus vite des créations massives de capacité d’hébergement et d’accompagnement dès 2014, au-delà des 2 000 places prévues dans le projet de loi de finances. Les places d’hébergement d’urgence spécialisées pour les demandeurs d’asile doivent être transformées dans ce cadre. Cette programmation doit permettre une répartition équitable des capacités d’accueil et d’accompagnement sur tous les territoires.
Tout demandeur d’asile doit également pouvoir bénéficier, pendant toute la durée de la procédure de sa demande d’asile, d’actions de prévention sur les questions de santé. Un bilan de santé, non limité aux seules personnes en situation de vulnérabilité, doit pouvoir être réalisé dans le système général de droit commun. Le libre choix de son médecin doit être respecté.
Concernant l’accompagnement social global, celui-ci doit comprendre obligatoirement deux volets indissociables : une assistance administrative relative à la demande de protection et une assistance médico-psycho-sociale, que les personnes soient ou non reconnus comme vulnérables.
Concernant l’admission en Cada, celle-ci doit intervenir dès le début de la procédure d’asile. Les personnes qui ne sollicitent pas leur admission en Cada doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement social et d’une aide à l’exercice des droits. Il faut donc en conséquence déconnecter la demande d’un moyen de subsistance (allocation) de l’offre de prise en charge en Cada.
Il est nécessaire de revaloriser l’allocation temporaire d’attente pour permettre aux personnes de vivre dignement. Cette allocation doit aussi prendre en compte la composition familiale.
L’évaluation des besoins des demandeurs doit être réalisée tout au long de l’accompagnement afin de garantir une adaptation des conditions d’accueil et de procédure comme prévu par les directives.
Cette évaluation ne saurait être une simple procédure administrative et doit se baser sur des éléments sociaux, qui permettront d’orienter dans de bonnes conditions vers les professionnels concernés les personnes qui le nécessitent. Le suivi et l’évaluation des réponses liées à la santé et la question de la vulnérabilité doivent être placés sous la responsabilité du ministère de la santé.
Pour cela, il apparaît fondamental :
– de développer une offre de soins suffisante et adaptée aux besoins des demandeurs d’asile ;
– de garantir la non-confusion des médecines de soin et de prévention, d’une part, et médecine de contrôle, d’autre part, conformément aux dispositions du code de déontologie médicale et du code de la santé publique ;
– de consolider la confidentialité des informations médicales et la séparation entre les acteurs qui accomplissent les tâches administratives (ministère de l’Intérieur) et ceux qui réalisent l’évaluation des besoins médicaux et sociaux (ministère de la Santé et des Affaires sociales) qui ont une responsabilité dans le domaine de la santé publique.
Un pilotage interministériel à tous les échelons du territoire pour l’accueil, l’accompagnement et l’hébergement des demandeurs d’asile.
Les dispositifs de premier accueil, d’accompagnement et d’hébergement des demandeurs d’asile et de droit commun doivent relever d’un pilotage interministériel à tous les échelons du territoire afin de coordonner leur gestion et apporter ainsi de la cohérence dans le parcours du demandeur d’asile.
L’accompagnement des demandeurs d’asile relève d’une mission de l’action sociale et ne doit pas être confondu avec une gestion des flux migratoires. Ainsi, les associations signataires rappellent leur attachement au principe d’accueil inconditionnel. L’effectivité de ce principe passe, pour les déboutés de la demande d’asile par une coordination des acteurs assuré par ce pilotage interministériel.
Concernant la sortie de Cada des demandeurs d’asile déboutés, les associations sont unanimes à exiger qu’une solution digne soit trouvée pour chacun, et que prime avant toute autre considération le respect des droits fondamentaux de toute personne.
Les associations signataires s’engagent à refuser toute gestion de centres d’hébergement pour déboutés en attente de leur éloignement forcé du territoire.
Accompagnement et insertion des bénéficiaires d’une protection internationale
Concernant l’insertion des personnes bénéficiaires d’une protection internationale, le nécessaire accompagnement renforcé correspondant aux besoins doit être garanti. L’accompagnement, pour être global, doit pouvoir intégrer l’ensemble des problématiques des personnes et ne pas être uniquement ciblé sur l’emploi ou le logement. La question de la réunification familiale est essentielle dans ce processus et ses règles doivent être simplifiées et rendues plus transparentes, dans le cadre de la présente réforme. La simplification des procédures, pour un meilleur accès aux droits sociaux et aux services de droit commun des réfugiés passe par l’élaboration de conventions-cadres entre le service de l’intégration des réfugiés et les organismes sociaux. Ceux-ci devant être intégrés dans un schéma territorial d’insertion du public réfugié, garantissant la qualité du parcours d’intégration. Un pilotage interministériel est ainsi nécessaire pour articuler les opérateurs.
L’état des lieux dressé par la CFDA en février 2013
Déjà en février 2013, la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), qui comprend nombre d’organisations dont la LDH, avait tiré la sonnette d’alarme. Dans son état des lieux de ce droit en France, elle affirmait, preuve à l’appui dans un remarquable rapport, que le système d’accueil des demandeurs d’asile était à bout de souffle, de la volonté même des responsables administratifs bridés par une politique restrictive et sécuritaire. Alors que le nombre de demandes d’asile a tendance à baisser (41 222 primo-demandeurs adultes en 2012 soit moins qu’en 1989 (61 400), ou 2003 (52 200), la CFDA dénonce l’incapacité à sortir d’une logique qui porte atteinte aux droits des demandeurs.
L’enquête révélait que les délais pour accéder à la procédure d’asile sont de plus en plus longs. La gestion par les préfectures de région de l’accueil des demandeurs d’asile complique souvent l’accès matériel à la procédure et conduit parallèlement à la saturation des services administratifs. Faute d’infrastructures suffisantes, les conditions dans lesquelles sont accueillis des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants se résument aux dispositifs d’urgence ou à la rue. L’État se défausse de ses responsabilités en laissant les associations pallier son inaction. Au final, les personnes qui sont venues en France pour chercher refuge contre les persécutions sont à nouveau mises face à un danger : celui de ne pouvoir déposer à temps leur demande d’asile ou d’être déboutées de leur demande, faute d’avoir pu correctement exposer leurs craintes de persécutions.
« La prise en charge des demandeurs d’asile est déshumanisée et incohérente », déplore Franck Ozouf, rédacteur du rapport. « Déshumanisée, car de plus en plus de demandeurs ne sont pas ou mal accueillis et les organisations d’aide financées par l’Etat contraintes à délaisser l’accompagnement social et juridique pour un travail de gestion administrative. Incohérente, car le coût augmente par des systèmes de contrôle, une dissuasion à tous les niveaux de la procédure et une préférence donnée au dispositif d’urgence, cher et précaire, le tout pour un service rendu bien loin des normes minimales d’accueil. »
La CFDA appelait à une réforme en profondeur de la procédure d’asile et du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile. La course à la réduction des délais et la lutte contre les détournements de procédure doivent céder la place à une réflexion d’ensemble pour assurer l’accueil et la protection des réfugiés grâce à une procédure efficace et équitable.
Pour en savoir plus :
– Rapport, 13 février 2013, « Droit d’asile en France : Conditions d’accueil – Etat des lieux 2012 »
– Synthèse, 13 février 2013, Rapport « Droit d’asile en France : Conditions d’accueil – Etat des lieux 2012 »
– Recommandations, 13 février 2013, « Conditions minimales pour que l’asile soit un droit réel »