Selon Pierre-André Taguieff(1), le racisme peut être défini de trois façons différentes : le racisme-idéologie consiste en un ensemble de croyances ou de représentations à l’encontre d’un ou plusieurs groupe(s) d’individus qui se fonde sur leur origine, leur naissance ou leur religion ; le racisme-comportement renvoie aux pratiques et aux actes racistes (violences physiques ou verbales et crimes), mais aussi à la ségrégation et aux discriminations ; le racisme-préjugé se caractérise par des attitudes « racisantes » telles que la stigmatisation, l’essentialisation et la « barbarisation »(2). Au regard de ses différentes formes, le racisme contemporain n’est clairement pas l’apanage des extrêmes droites. Mais concernant ces mouvements, courants de pensée ou organisations, le racisme est indissociable de leur vision inégalitaire du monde.
Ainsi, le racisme biologique et hiérarchique, le racialisme, d’inspiration nazi, est marginal dans l’expression publique des extrêmes droites(3). Après le génocide perpétré durant la Deuxième Guerre mondiale, le contraire induirait un véritable suicide politique pour toute formation visant à exercer le pouvoir d’État.
Pour autant, c’est sous l’impulsion des nationalistes européens passés par Europe-Action (mouvement créé dans les années 1960 par Dominique Venner(4)) puis par le Groupement de recherche et d’études sur la civilisation européenne (Grece), l’une des composantes de ce que l’on a appelé la « Nouvelle droite », que les conceptions inégalitaires et racialistes – revendiquées ou non – se sont imposées au sein du nationalisme en France. Ces conceptions ont été reformulées et donnèrent naissance au concept de « racisme différentialiste ».
Avec le différentialisme, il s’agit de transposer la notion biologique de race vers la notion anthropologique de culture. Le principe hiérarchique devenant la nécessité de préserver les différences. Ce « racisme culturaliste » s’articule à la définition d’un « eux » et d’un « nous », socle de la défense de « l’identité française » (menant « naturellement » à la mise en place d’une « préférence nationale » contre la « préférence étrangère ») aux fondements anti-égalitaristes défendue par les extrêmes droites depuis trente ans. Il permet de dénoncer et de condamner, pêle-mêle : « cosmopolitisme » (reformulé en « mondialisme droit-de-l’hommiste »), « métissage », « impérialisme » et « mouvement migratoire » et d’affirmer, comme le fait le Bloc identitaire, « 0 % racisme, 100 % identité ».
Les travaux du théoricien reaganien Dinesh D’Souza sur La fin du racisme (1992) et la popularisation des écrits de Samuel Huntington – réalisés dans les années 1990 – sur Le choc des civilisations semble avoir constitué une formidable caisse de résonance, l’expression d’un « racisme républicain »(5), propices au développement des conceptions « identitaires » d’extrême droite. Ce qui a permis que ces dernières, illustrant ainsi leur rejet du multiculturalisme, s’engouffrent dans la brèche du racisme anti-musulmans « post-11 septembre ». Ces légitimations « post-coloniales » et « post-communistes » d’un racisme révisité sont autant d’éléments communs à des imaginaires « alterophobes » convergents(6).
Combattre le racisme, entre guerre de position et guerre de mouvement.
Dès les années 1970, un important travail de sape est mené, simultanément, par les extrêmes droites contre le combat antiraciste et pour l’égalité des droits. Les lois Pleven (1972) ou Gayssot (1990) contre les racismes et l’apologie de crimes contre l’humanité sont dénoncées comme « liberticides » par le Front national et les autres mouvements d’extrêmes droites.
Dans les années 2000, les extrêmes droites reçoivent le renfort inespéré d’intellectuels anti-totalitaires – tirant le plus souvent un trait d’égalité entre nazisme et communisme – devenus compagnons de route du néoconservatisme à la française qui, à l’instar d’Alain Finkielkraut, présentent « l’antiracisme comme le communisme du XXIe siècle ». Les extrêmes droites n’en attendaient pas tant pour justifier leurs postures de seuls opposants à « la pensée unique ».
Plus récemment, François Fillon n’hésite pas à brandir l’abrogation du droit du sol jusqu’alors exclusivement défendue par l’extrême droite, Front national en tête.
Ce travail de sape est en perpétuelle évolution. Ainsi, la dernière livraison de la revue Éléments – sous le clavier de l’intellectuel néo-droitier le plus écouté au sein de la nouvelle génération de cadres de l’extrême droite, et particulièrement du Front national, Alain de Benoist – consacre six pages au Dictionnaire historique et critique du racisme(7) coordonné par Pierre-André Taguieff.
Dans cet article, par un formidable exercice de retournement et l’instrumentalisation de l’analyse savamment déformée d’une partie de la gauche, on peut lire : « “l’antiracisme” actuel n’a en réalité que deux fonctions réelles. La première est de désarmer toute critique de l’immigration […] car ce n’est pas le racisme qui conduit à critiquer l’immigration, mais bien plutôt l’immigration qui, malheureusement, suscite des réactions racistes. […] Les gens qui expriment un sentiment négatif à l’idée que la population de leur pays soit remplacée par une autre, dans laquelle il ne se reconnaissant pas, n’est pas nécessairement raciste. […] La seconde raison d’être de l’“antiracisme” est de dissimuler le ralliement au système capitaliste qui a été le fait, ces dernières décennies, de toute une génération de “repentis”. »
Quelques lignes plus loin, de Benoist éclaire « sa » conception du différentialisme l’opposant « d’un même mouvement à l’individuo-universalisme abstrait [les droits de l’Homme] et au pur “tribalisme identitaire” [en référence aux héritiers de D. Venner]. »
Concernant le métissage, Alain de Benoist souligne : « on ne peut que constater qu’il s’inscrit aujourd’hui dans une perspective “mélangiste” allant bien au-delà des race et des cultures, et dont l’objectif semble être l’extension planétaire de l’idéologie du Même. […] la doctrine du “métissage salvateur” […] relève donc clairement d’une idéologie mélangiste qui veut en tous domaines, effacer les distinctions, les limites et les frontières. »
Sous forme de conclusion, Alain de Benoist ironise, quelques mois après le vote à l’Assemblée nationale de la suppression du mot « race » dans neuf Codes (Code pénal, Code de procédures pénales, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse…) et treize lois non codifiées, et alors que les antiracistes attendent qu’il en soit de même dans la Constitution conformément aux engagements présidentiels : « Il y a donc désormais toujours du racisme, mais il n’y a plus de races, ce qui revient à redéfinir l’“incitation à la haine raciale” comme une incitation à la haine de quelque chose qui n’existe pas. »
Sans aucun doute un nouvel angle d’attaque qu’exploiteront les extrêmes droites et droites radicalisées dans les mois à venir. Tout comme la promotion du « racisme anti-Blancs »(8) cherche à brouiller l’action contre les racismes/communautarismes dominants.
(1) Le racisme, Flammarion, 1997.
(2) Dictionnaire de l’extrême droite, (sous la direction d’Erwan Lecœur), Larousse, 2007.
(3) Il est possible de se procurer en kiosque, la revue Réfléchir & Agir (tirage : 7 000 exemplaires) qui, dans l’éditorial de son récent numéro 45 (automne 2013), souligne : « Nous défendons toujours une ligne identitaire (nous sommes clairement racialistes et contre le métissage, pour la défense des identités régionales, nationales et européennes). »
Dans ce numéro, Robert Ménard – le candidat soutenu par Debout la République et le Front national pour les municipales à venir à Béziers – précisant qu’il ne partage pas les analyses de la revue n’en est pas moins interviewé au titre de « dissident français ».
(4) Dominique Venner s’est donné la mort le 21 mai 2013 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Sur Twitter, Marine Le Pen lui rend hommage en ces termes : « Tout notre respect à Dominique Venner dont le dernier geste, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France. »
(5) Le racisme républicain, Pierre Tévanian, L’Esprit frappeur, 2001.
(6) Le document de la Fondation Terra Nova, « L’axe UMP/FN : vers le parti patriote ? » est téléchargeable ici : http://www.tnova.fr/content/l-axe-umpfn-vers-le-parti-patriote
(7) Sur cet ouvrage, voir « Le racisme décrypté », article de Jean-François Mignard ainsi que l’encadré de Gilles Manceron dans Hommes & Libertés n°163, septembre 2013.
(8) Lire à ce propos « Evitons les pièges du “racisme anti-Blancs” », Emmanuel Debono, Le Monde, 17 novembre 2013.