Par Philippe Verdol, LDH de Guadeloupe
Le chlordécone est la matière active d’un pesticide organochloré autorisé entre 1972 et 1993 aux Antilles françaises pour lutter contre le charançon du bananier. Ses quatre principales caractéristiques, ont été mises en évidence par l’étude TiMoun : il est cancérogène, perturbateur endocrinien, neurotoxique, et spermatotoxique. Sa rémanence sur les sols riches en matières organiques, d’après l’Inra Guadeloupe[1], serait de l’ordre de cinq ou six siècles, si aucune dépollution spécifique n’est mise en œuvre. La puissante résistance à la dégradation du chlordécone est encore sans solutions.
En Guadeloupe[2], l’usage de ce pesticide a donné lieu à une pollution/contamination globale de l’environnement et de la population dont le caractère exceptionnel interpelle tant les sciences de la vie et de la terre que les sciences sociales.
Parce qu’elle se déroule en milieu isolé et insulaire l’expérience des Guadeloupéens – ou celle des Martiniquais – constitue un cas d’école très suivi par les spécialistes de la santé.
La population guadeloupéenne est en effet contrainte sur le très long terme de se nourrir de produits contaminés hors-norme : il s’agit, d’après le Professeur William Dab[3], d’une situation inédite, unique au monde. Le chlordécone est le toxique le plus répandu dans les cours d’eau aux Antilles et dans le sang des Antillais ; environ 90 % des Guadeloupéens sont contaminés. Selon le Dr Multigner[4], ces deux particularités sont exceptionnelles car une population entière n’est que très rarement touchée sur une même période de référence par un même toxique. Epidémiologistes, généticiens, cancérologues, et autres spécialistes du monde entier ne cessent de s’y intéresser.
Le Dr Multigner estime[5] en outre que le retentissement politique aurait été très différent, si ce territoire se situait en France métropolitaine.
Sous l’angle du préjudice et de la réparation, les juristes sont également très attentifs à l’expérience antillaise. Comment évaluer des réparations dans le cas d’une substance susceptible de produire ses effets sur un très grand nombre de générations humaines ? Comment provisionner un préjudice lorsqu’il ne sera avéré que dans plusieurs années – voire dans quelques siècles ? Comment rechercher des coupables et entreprendre des procédures quand on se situe si loin des périodes habituelles de prescription ? Comment prouver le lien de cause à effet quand l’exposition initiale peut être séparée de deux ou trois décennies des manifestations pathologiques ? De telles problématiques peuvent s’avérer cruciales quant le territoire est si exigu qu’il n’est pratiquement pas possible d’échapper à la pollution/contamination. Décidément, la législation européenne a encore un long chemin à parcourir.
Dans cet article, nous nous placerons aux frontières de plusieurs disciplines car notre objectif sera de faire ressortir les enjeux et perspectives du développement durable en Guadeloupe.
Dans un premiers temps nous mettrons en évidence les effets avérés de la pollution environnementale sur les activités humaines puis sur la santé des Guadeloupéens.
Nous démontrerons ensuite qu’une telle situation est liée à deux ensembles de causes : un statut dérogatoire de l’usage des pesticides outre-mer et une politique publique typiquement néocoloniale.
Effets de la pollution environnementale sur les activités humaines
Dans un souci de concision, seules seront analysées ci-après les activités de chasse, de pêche en mer, de pêche en rivière, d’agriculture et d’élevage.
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Chasse
L’arrêté préfectoral du 30 juin 2012[6] a instauré une interdiction de consommer la tourterelle à queue carrée et la grive à pattes jaunes dans le sud Basse-Terre, dans une autre zone située entre le Lamentin et Sainte-Rose et dans une troisième zone située au nord de Baie-Mahault, près du pont de l’Alliance.
Dans les zones contaminées, les tourterelles présentent une contamination de leurs muscles allant de 89 à 303 µg/kg de poids frais. La contamination de leur foie va de 29 à 1551 µg/kg[7].
En zones contaminées, la chasse (mais non la consommation) de ces deux espèces était donc autorisée… Cependant, par une ordonnance du 11 décembre 2014, le Tribunal administratif de Basse-Terre, saisi par l’Association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (Asfa) et l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), a suspendu en urgence la chasse de la grive à pieds jaunes en Guadeloupe, espèce menacée inscrite sur les listes rouges nationales et mondiale de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Depuis, chasseurs et écologistes attendent avec impatience la décision du tribunal sur le fond.
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Pêche en mer
Arrêté du 26 juin 2013[8] par lequel la pêche de quarante-quatre espèces est interdite dans certaines zones maritimes.
Par endroits, la langouste, par exemple, peut être contaminée à plus de 1000 µg de chlordécone par kg de chair fraîche. Depuis le début 2013, vu l’ampleur de la contamination qui se déverse en mer par les fleuves, les gendarmes détruisent les nasses et les filets des pêcheurs qui ne respectent pas la réglementation, sans pour autant qu’aucune véritable alternative économique leur soit proposée.
La délimitation de zones d’interdiction de pêche en mer présente paradoxalement d’importants inconvénients : les espèces contaminées se retrouvent installées dans de quasi-réserves où elles se reproduisent à l’abri de l’homme. En outre, la quasi-totalité de la pêche pratiquée en Guadeloupe, l’est à proximité des côtes. Cette pollution côtière hypothèque tout simplement le devenir de l’activité de pêche en mer en Guadeloupe. D’importants dispositifs d’aides doivent être mis en œuvre d’urgence pour permettre aux pêcheurs concernés de pratiquer une pêche au large.
Depuis trois ou quatre ans, une nouvelle espèce de poisson est arrivée aux Antilles françaises : le poisson-lion. Ce poisson, également appelé rascasse volante[9], est une espèce particulièrement invasive qui n’a que l’homme comme prédateur. Elle désertifie donc tous les lieux où elle prolifère. Après une série d’analyses, les Services déconcentrés de l’Etat en Guadeloupe avaient réussi à faire la preuve de la non toxicité de ce poisson une fois enlevées ses épines qui peuvent s’avérer mortelles pour l’homme. Etant devenu une espèce qui risquait d’être très pêchée, il a fallu lui faire subir le dosage du chlordécone et, là, au grand dam des pêcheurs[10], on s’est aperçu que dans les zones maritimes polluées par le chlordécone, le poisson-lion était excessivement contaminé. Maintenant, il écume tranquillement nos fonds marins à partir des désormais « réserves » où il coule des jours heureux…
Dans leur désarroi, les pêcheurs de Guadeloupe en sont réduits aux propositions les plus insolites. Au cours d’un débat public sur Guadeloupe première[11], le président du Comité régional des pêches, Jean-Claude Yoyotte a alors proposé que les pêcheurs continuent leur activité dans les zones interdites du fait de la pollution au chlordécone et qu’ils revendent les poissons contaminés à l’Etat. Le service rendu, serait de lutter contre la pollution en réduisant par la pêche les stocks de poissons contaminés… A l’instar de certaines organisations paysannes, plusieurs organisations de pêcheurs réclament un retour aux limites maximales de résidus (LMR) provisoires franco-françaises (qui prévalaient entre 2005 et 2008) de 200 µg pour le poisson, au lieu de 20 µg actuellement.
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Pêche en rivière
L’arrêté préfectoral du 6 mars 2008[12] interdit la pêche, la commercialisation, même à titre gratuit, et la consommation des poissons, coquillages et crustacés sur le territoire de douze communes : de Vieux-Habitants à Sainte-Rose inclus, en passant par Capes-Terre sauf Baie-Mahault. Pour ne pas ternir l’image de leur commune, aucun des maires concernés n’a apposé en bordure de rivière la signalétique exigée par ledit arrêté.
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Agriculture
De 2003 à 2008, différentes listes de légumes à risques avaient été produites par les Services de l’Etat aux Antilles. Cette notion a disparu, en 2008, avec l’entrée en vigueur des LMR européennes. Toutes les végétaux locaux qui dépassent les 20 µg/kg de matière fraîche sont réputés impropres à la consommation. A noter que, depuis l’introduction du chlordécone dans le paquet hygiène[13], les agriculteurs sont censés être responsables de la qualité des marchandises proposées. Ils doivent donc pouvoir apporter la preuve de leur conformité aux normes.
Bien entendu, l’objectif du paquet hygiène est triple :
« (1) La libre circulation de denrées alimentaires sûres et saines constitue un aspect essentiel du marché intérieur et contribue de façon notable à la santé et au bien-être des citoyens, ainsi qu’à leurs intérêts économiques et sociaux.
(2) Il importe d’assurer un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines dans l’exécution des politiques communautaires.
(3) La libre circulation des denrées alimentaires et des aliments pour animaux dans la Communauté ne peut être réalisée que si les prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux ne diffèrent pas de manière significative d’un État membre à l’autre. »[14]
Ne recherchant que leur intérêt de court terme, certaines organisations paysannes et non des moindres, militent pour une sortie du chlordécone du paquet hygiène, afin de revenir à une législation franco-française d’exception et à des LMR de l’ordre de 200 µg/kg. Heureusement, quelques organisations paysannes comme le GIE sud Basse-Terre ne partagent pas ce point de vue.
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Elevage
Les éleveurs sont en principe tenus de respecter la LMR de 100 µg/kg de chair fraîche pour tous les animaux terrestres sauf les volailles[15]. Dans le cas des bovins, les recherches scientifiques menées suggèrent que la consommation du foie comporte un risque[16] si la teneur en chlordécone dans les graisses est supérieure à 20 µg/kg de matière grasse. La contamination des animaux d’élevage est avérée par absorption de terre, de fourrage ou d’eau contaminés[17]. Toutefois, aucune remise en cause de la LMR n’a été exprimée par les responsables.
Par ailleurs, les éleveurs sont incités progressivement à opter pour une organisation industrielle ou semi-industrielle. Le cheptel « local » est de plus en plus nombreux à être élevé dans des boxes, coupé du sol contaminé par une dalle, nourri avec des aliments importés a priori non contaminés et abreuvé avec de l’eau filtrée.
Depuis mai 2011, les prélèvements pour contrôles chlordécone sont faits à l’abattoir. En cas de dépassement des LMR, il faut parfois se débarrasser du foie voire de la carcasse entière auxquels cas, les éleveurs ne sont pas indemnisés. D’où des stratégies de contournement qui poussent certains à recourir à des abattages clandestins. Des bouchers locaux acceptent alors de revendre cette viande aux consommateurs guadeloupéens qui ignorent tout de l’entourloupe.
Effets avérés de la contamination sur la santé des Guadeloupéens
Deux études scientifiques récentes mettent en évidence l’impact du chlordécone sur les hommes adultes, les fœtus, les nourrissons de 7 mois et les enfants de 18 mois.
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Hommes adultes
L’étude Karuprostate[18] établit pour la première fois un lien de causalité entre cancer de la prostate et exposition au chlordécone. Actuellement, la Guadeloupe et la Martinique présentent le plus fort taux de cancers de la prostate au monde.
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Fœtus
L’étude TiMoun établit un lien entre l’exposition au chlordécone de la femme enceinte et un accouchement prématuré[19] – lequel intervient donc avant 35 semaines : plus longue est l’exposition au chlordécone, plus courte est la durée de la grossesse. La prématurité associée au chlordécone serait de l’ordre de trois jours à une semaine.
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Nourrissons de 7 mois
Cette étude met en évidence les effets du chlordécone sur des nourrissons guadeloupéens âgés de 7 mois[20] : réduction de la préférence pour la nouveauté, réduction de la vitesse de traitement des informations (augmentation du temps nécessaire au traitement des informations et diminution des facultés d’attention), baisse de la mémoire visuelle à court terme, diminution de la motricité fine… Selon Sylvaine Cordier[21], ces nourrissons pouvaient présenter des pertes de quotient intellectuel (QI) qui allaient de dix à vingt points.
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Enfants de 18 mois
A l’âge de 18 mois, il apparaît[22] que seuls les garçons sont concernés par les troubles de motricité fine.
Un statut dérogatoire pour l’usage des pesticides en outre-mer
Trois éléments pourraient expliquer le statut dérogatoire de l’usage des pesticides – singulièrement celui du chlordécone – en outre-mer.
Au regard de l’évolution en France hexagonale, l’autorisation d’usage du chlordécone aux Antilles, en 1972, est paradoxale. Elle s’appuie sur deux constats qui ont été biaisés pour les besoins de la cause : la nature particulière des végétaux tropicaux et la différence des conditions climatiques sous les tropiques.
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Autorisation paradoxale du chlordécone aux Antilles
Le chlordécone a été autorisé aux Antilles, malgré les mises en garde de scientifiques et malgré l’interdiction d’usage des organochlorés dans l’agriculture française.
Rappelons tout d’abord que les insecticides organochlorés sont des molécules très stables, résistantes à la dégradation, et pouvant demeurer intactes dans l’environnement durant plusieurs années (DDT, dieldrine, heptachlore, aldrine, etc.).
Après plusieurs années d’emploi, leur présence était donc inéluctable dans l’eau, l’air, les sols et a fortiori dans la chaîne alimentaire de l’homme.
En 1962, l’opinion publique internationale a pris conscience de leurs effets sur l’environnement et sur l’homme, grâce notamment à l’ouvrage de Rachel Carson – Silent spring.
Au début des années 1960, le gouvernement français décide d’interdire progressivement les pesticides agricoles organochlorés, par principe de précaution. L’arrêté du 2 octobre 1972, notamment, interdit les quatre principaux organochlorés restants : aldrine, dieldrine, l’heptachlore, chlordane.
De fait, le décret d’application de l’arrêté du 2 octobre 1972, relatif à ces quatre principaux organochlorés encore en usage dans l’agriculture française, n’a pas été étendu aux départements d’outre-mer (Dom).
Qui plus est, en 1972, au moment même où le gouvernement interdisait, au nom du principe de précaution, l’emploi des principaux organochlorés dans l’agriculture française, il passait outre lesmises en garde d’experts et autorisait l’usage du chlordécone pour l’agriculture bananière des Dom[23].
Les travaux des sociologues Matthieu Fintz[24] et Pierre-Benoît Joly[25] ont démontré que le gouvernement avait été informé par les experts de l’écotoxicité et de la bioaccumulation du chlordécone. Malgré d’importants rapports intervenus dans les décennies 1970 et 1980, ce n’est qu’en 1990 que la décision de l’interdire a été prise, assortie d’un délai supplémentaire de trois ans pour écoulement des stocks…
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Mise en avant de la nature particulière des végétaux tropicaux
Selon le Comité d’études de l’emploi des toxiques en agriculture[26], les végétaux des territoires ultramarins ne seraient pas de même nature que ceux présents en France métropolitaine. Par conséquent, la doctrine toxicologique qui devait leur être appliquée était souvent de nature dérogatoire ou paradoxale. Les préconisations appliquées dans le cas du chlordécone se situaient dans la même logique que celles qui ont conduit à ne pas étendre à l’outre-mer l’interdiction de l’hexachlorocyclohexane (HCH) – un autre insecticide organochloré – sitôt qu’elle a été décidée pour la France métropolitaine.
« La suppression de l’emploi de l’HCH dans la lutte contre les ennemis des cultures a été soumise à l’avis de la Commission des Produits Antiparasitaires lors de sa séance du 24 novembre 1969. Le retrait d’homologation des spécialités s’applique à celles qui sont utilisées sur le territoire métropolitain. Cette décision a été prise, non pour des raisons toxicologiques, mais pour répondre aux critères exigés par les différents pays importateurs de produits végétaux. En revanche, cette disposition ne s’applique pas pour le traitement des cultures tropicales, les conséquences n’étant pas les même en raison de la nature des végétaux traités. Les spécialités qui ont fait ou feront l’objet d’une demande d’homologation pour le traitement des cultures tropicales pourront donc être autorisées à la vente »[27].
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Mise en avant de la différence des conditions climatiques sous les tropiques
Sous les tropiques, il fait plus chaud et plus humide. Ces conditions sont favorables à la prolifération des insectes et parasites divers. Pour des raisons financières, les industriels des pays développés évitent de lancer des études sur l’adaptation aux conditions tropicales des insecticides prévus pour climats tempérés ou continentaux. Avec la complicité des pouvoirs publics, sur le terrain, les agriculteurs utilisent des insecticides particulièrement rémanents et/ou dosés à des degrés plus importants, et/ou encore utilisés selon des fréquences plus fortes.
Une politique publique typiquement néocoloniale
La politique publique mise en œuvre pour gérer la crise du chlordécone peut être qualifiée de néocoloniale pour au moins trois raisons : elle n’a pas débouché sur une réelle mise en sécurité sanitaire de la population, les plans se révèlent être de second choix, et les effets collatéraux sont non négligeables.
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Pas de réelle mise en sécurité sanitaire de la population
L’exposition inacceptable de la population guadeloupéenne peut se vérifier notamment à quatre niveaux : la discrimination des antillais à l’égard des limites maximales de résidus (LMR), l’absence de cartographie fine des zones polluées, l’existence d’une double cartographie des zones polluées, l’absence de traçabilité alimentaire du chlordécone et l’absence de dépollution des sols.
Sur proposition du gouvernement français, l’Union Européenne a édicté un Règlement du 29 janvier 2008[28] qui établit une stupéfiante discrimination au détriment des consommateurs de produits tropicaux. En matière de végétaux, par exemple, un seuil limite de 10 µg (microgrammes) par kg de matière fraîche – correspondant à un principe de précaution absolu a été retenu pour les produits cultivés en Europe ou non susceptibles de l’être aux Antilles. Ce seuil est de 20 pour les produits antillais. Une telle explication figure sur le très officiel site français de l’Observatoire des Résidus de Pesticides:
« Le gouvernement a voulu aller plus loin, afin de réduire au maximum possible la présence de résidus de chlordécone retrouvés dans l’alimentation et de restaurer la confiance des consommateurs dans la qualité des produits issus de l’agriculture antillaise. Ainsi, dans le cadre de la réglementation européenne et sur proposition des autorités françaises, la Commission européenne a retenu le 24 octobre 2007 des valeurs de LMR suivantes : 20 µg/kg pour les denrées cultivables sous climat tropical ou tempéré (agrumes, fruits tropicaux, tous les légumes, maïs, canne à sucre…) et 10 µg/kg pour certains produits spécifiques aux régions de climat tempéré ou susceptibles d’être importés de pays autres que les Antilles (blé, riz, pommes, poires et fruits à noyaux, betterave sucrière…). »[29]
En réalité, rien ne justifie par exemple que la tolérance de la betterave sucrière soit de 10 mais que celle de la canne à sucre soit de 20µg/kg. De même, rien ne saurait justifier positivement que la tolérance de tous les fruits tropicaux soit de 20 mais que celle des fruits spécifiques aux climats tempérés soit de 10µg/kg, etc.
Le paradoxe de ces LMR est d’accorder la tolérance la plus élevée à des catégories que l’on sait contaminées. C’est le cas des « légumes-racines et légumes-tubercules tropicaux » tels que manioc, patates douces, ignames, arrow-roots et autres.
A la fin décembre 2010, la cartographie de la pollution par le chlordécone en Guadeloupe avait été réalisée à partir de 2 638 échantillons numérisables représentant 53 % des prélèvements.
« En Guadeloupe, sur environ 5 000 analyses 2 638 ont pu être numérisées, les autres n’étant pas exploitables. Ces données ont été transmises et la base Access sera réexaminée. Les fortes concentrations se trouvent principalement dans le « croissant» bananier du sud est de la Basse-terre. Il existe néanmoins des analyses réparties sur tout le territoire guadeloupéen ainsi que sur l’île de Marie Galante. »[30]
Il ressort du bilan d’Eric Godard que 47 % (c’est-à-dire 2 362 sur les 5 000) des analyses effectuées n’ont pas pu être numérisées car elles n’avaient pas donné lieu à un relevé GPS[31]. On y voit l’influence des propriétaires terriens, en particulier celle des lobbies békés, qui préfèrent ne diffuser aucune information « négative » sur leur patrimoine foncier. Ils peuvent donc, le moment venu, s’en défaire dans les meilleures conditions financières possibles. En revanche, l’Etat permet ainsi que des particuliers s’endettent sur de nombreuses années pour acheter des terrains qui peuvent être fortement contaminés au chlordécone.
Curieusement, ce phénomène d’analyses non exploitables numériquement pour cause de non (voire de mauvais) géo-référencement n’est pas observé en Martinique alors que les lobbies békés y sont plus forts. Est-ce à dire que les Services déconcentrés de l’Etat en Guadeloupe sont beaucoup plus complaisants envers eux ?
Signalons qu’à la même époque, le rapport Procaccia Le Deault indiquait que le nombre d’analyses de sols aurait dû être de 40 000 pour la Guadeloupe comme pour la Martinique.
« […] L’établissement d’un référentiel géographique totalement complet de la pollution exigerait – aux dires des personnes entendues par vos rapporteurs – près de 40 000 prélèvements pour chaque île. »[32]
Ces deux parlementaires ont observé, en outre, que les capacités d’analyses des laboratoires antillais – qui étaient de deux mille environ, par an – ne permettraient pas d’atteindre un tel volume avant deux décennies[33].
Des raisons de coût ont été évoquées par les autorités françaises déconcentrées pour justifier un tel sacrifice de la santé des Antillais.
Depuis plusieurs années, malgré nos protestations réitérées au sein du Grepp[34], en préfecture de Guadeloupe, les Services déconcentrés de l’Etat français utilisent deux cartographies terrestres des terrains contaminés au chlordécone : l’une à la parcelle, réservée cependant à la Chambre d’agriculture et à la Direction de l’agriculture de l’alimentation et de la forêt (Daaf) ; l’autre, destinée au grand public, est élaborée de telle façon qu’un observateur non averti soit dans l’incapacité d’identifier les parcelles contaminées[35].
Confirmation en est donnée par le coordinateur interrégional et interministériel du Plan Chlordécone Guadeloupe – Martinique 2008-2010 :
« Deux modalités de représentation sont prévues, pour maintenir la confidentialité des données parcellaires individuelles, et éviter des interprétations erronées : une représentation à l’échelle du cadastre pour les DAF et les chambres d’agriculture, et une représentation par bassin versant ou par maille pour tous les autres publics. La clôture du projet est prévue en février 2011. »[36]
Une telle opacité est bien entendu contraire à la Directive Inspire[37].
Les Guadeloupéens ne disposent actuellement d’aucune traçabilité du chlordécone pour leurs aliments. Vers la fin du premier plan chlordécone Guadeloupe-Martinique 2008-2010, le coordinateur interrégional et chargé de mission interministériel avait annoncé que pour les légumes racines, un dispositif expérimental était à l’étude. Il s’agissait de proposer aux consommateurs des filets de 1 à 2 kg assortis d’une étiquette certifiant que les LMR étaient respectées. Après nous avoir fait patienter près de deux ans, le coordinateur nous a annoncé que l’Etat considérait que ce dispositif serait trop onéreux et qu’il avait décidé de l’abandonner. Aucune garantie ne pouvait être donnée aux consommateurs pour les produits achetés au bord des routes ou sur les marchés. Cependant, comme les hyper/supermarchés sont susceptibles de contrôles aléatoires, les consommateurs sont invités à s’y approvisionner en produits qui sont en quasi-totalité importés.
Cela vaut non seulement pour les fruits et légumes mais encore pour les poissons et fruits de mer. Lors d’une réunion en Préfecture, les services de l’Etat ont comparé les teneurs en chlordécone relevées sur des poissons et fruits de mer proposés à la vente par des pêcheurs dans onze communes de Guadeloupe.
Autour de la grande table et dans le public, en tant que consommateur, chacun se faisait sa religion : acheter ici, plutôt que là. Trois éléments de la 7e diapositive sont à remarquer : seules les teneurs moyennes (71,4 microgrammes de chlordécone par kg de chair fraîche) en chlordécone ont été communiquées pour les 7 espèces analysées. Les prélèvements réalisés dans deux communes sont complètement (100 %) hors normes et le sont aux ¾ dans une troisième, sans pour autant qu’aucune information spécifique n’ait été lancée à la population. Par ailleurs, les 3 colonnes de gauche (GMS 1,2 et 3) renvoient – j’ai insisté pour obtenir cette précision – aux Grandes et Moyennes Surfaces 1, 2, et 3. A noter que ces 3 hypermarchés de Guadeloupe sont détenus pour l’essentiel par les grandes familles de planteurs impliquées dans le rachat du brevet du chlordécone aux Etats-Unis, sa fabrication au Brésil et sa distribution à partir de 1981 aux Antilles après une nouvelle autorisation de l’Etat. A quelques années d’intervalle, ces grandes familles ont donc reçu une autorisation à polluer puis une prime à la pollution des sols par un afflux supplémentaire de clientèle induit par la communication d’Etat et par l’absence de traçabilité alimentaire du chlordécone dans les produits locaux. C’est la logique du pollueur payé et du pollué payeur !
Quand on sait que les contrôles se font surtout sur des produits venant de zones considérées comme à risque – les produits de l’UE étant exclus alors qu’en réalité ils ne sont pas forcément exempts de chlordécone – les consommateurs mais aussi les producteurs (agriculteurs et pêcheurs) guadeloupéens sont toujours dans une impasse sanitaire ou économique.
Surveillance de la contamination de la faune marine par la chlordécone
Diaporama du Grepp du 21 mai 2013, 7e diapositive
Ancien directeur général de la santé et ancien président du Conseil international du plan Chlordécone Guadeloupe-Martinique, William Dab affirme que la recherche en dépollution des sols antillais touchés par le chlordécone ne pourra jamais avancer du fait de l’étroitesse du « marché » (à peine 800 000 Guadeloupéens et Martiniquais) proposé aux investisseurs[38].
Désormais, des publications récentes[39] prouvent que les intérêts financiers ainsi que le « marché » potentiels sont élargis, au moins, à plusieurs pays européens qui ont été utilisateurs de chlordécone.
Aujourd’hui, l’Europe a donc le devoir de rattraper de toute urgence son retard en matière de dépollution des sols touchés par le chlordécone et de mettre en sécurité sanitaire tous ses ressortissants
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Des Plans de second choix
Manifestement destinées à des citoyens de seconde zone, les trois plans chlordécone mis en œuvre se caractérisent grosso modo par un délai de réaction gouvernementale qui serait très inhabituel en France hexagonale et par une désinvolture dans la conception, la coordination et le pilotage tant au niveau national qu’au niveau régional.
« Le retard de la France à reconnaître la dangerosité de cette molécule organochlorée et en tirer toutes les conséquences est à l’origine de graves dommages sanitaires, écologiques et économiques. Aux Antilles françaises, une partie des sols, mais aussi des eaux continentales et littorales se trouve durablement contaminée. Il aura fallu attendre quinze ans après l’interdiction du chlordécone, pour que les pouvoirs publics agissent. »[40]
« Au niveau national, un seul « Comité de pilotage » national (Copil) a été constitué avec les représentants des ministères techniques, du ministère de l’intérieur et du ministère de l’outre-mer et quelques opérateurs publics. Les Préfets n’y participent pas, bien qu’ils soient mobilisés au travers du PITE, « même si ce n’est pas l’usage ». Les collectivités locales et la société civile ne sont pas représentées. Le niveau hiérarchique des participants varie d’une réunion à l’autre selon l’importance de l’ordre du jour.
Lors de la construction du plan, chaque ministère, chaque direction, organisme ou agence a apporté une contribution largement guidée par ses propres priorités et ses disponibilités budgétaires sans que les hiérarchisations et les synergies possibles soient recherchées.
L’absence d’arbitrage sur les priorités, les objectifs, les moyens financiers et humains nécessaires, décidés hors comité par chaque ministère, ont marqué l’élaboration de ce qui ressemble plus à une foire aux idées qu’à une action collective cohérente. Une autre exception notable aux règles de l’art est constituée par l’absence de tout cadre d’évaluation (indicateurs etc.) en dehors des actions portées par le PITE 162. »[41]
« Malgré sa demande, la mission n’a pas pu obtenir la composition officielle du Comite de pilotage national du plan gouvernemental d’action Chlordécone. Elle n’a été destinataire que des relevés de présence aux diverses réunions, qui montrent que la participation n’a jamais été stabilisée. En effet, y siègent aussi bien des financeurs, que des opérateurs et des experts, de niveaux hiérarchiques très différents. Ce flou permanent illustre la principale faiblesse du pilotage du plan. […] Dès son lancement, le Copil a bien d’avantage exercé un rôle (incomplet d’ailleurs) de comité de suivi plutôt que de pilotage stratégique. Il n’a pas exercé de coordination véritable, ni même de réorientation éventuelle des actions en cours de plan, ce que le PITE aurait pu permettre bien que ne représentant qu’une part minoritaire des financements. »[42]
« Au niveau régional, les instances techniques de concertation du ministère de l’agriculture dans le domaine des produits phytosanitaires ont été transformées en comités locaux de pilotage du plan Chlordécone, présidés par les Préfets dans chaque île. La composition de ces instances s’est ouverte très progressivement à l’ensemble des acteurs institutionnels et des personnes morales qui le souhaitaient : collectivités territoriales, associations de protection de la nature, de consommateurs etc.
Ces enceintes pléthoriques se sont révélées improductives et ont déçu les attentes de ceux qui y voyaient un lieu de démocratie sanitaire ou simplement de dialogue. Les réunions traitent à la fois du plan Ecophyto et du plan Chlordécone et se résument à des présentations stéréotypées d’informations que l’administration ou les chercheurs souhaitent communiquer, suivies par les réactions convenues de personnalités locales qui n’avaient pas attendu cette occasion pour s’informer et réagir. Elles sont sans influence sur les choix et les décisions prises par les différents ministères et services de l’Etat (à la fois pour la définition et pour la mise en œuvre du plan). De toute façon, les participants n’ont pas eu le temps d’étudier les documents consistants et nombreux envoyés peu de jours auparavant ou bien remis en séance. Les questions sont de ce fait peu nombreuses, limitées, et ne reçoivent pas toujours de réponses. Un sentiment d’insatisfaction se développe peu à peu. »[43]
Pour toutes ces raisons, la mission interministérielle d’évaluation a proposé la fin des plans chlordécone par leur intégration dans les différentes politiques publiques nationales[44].
Suite à son rapport d’évaluation d’octobre 2011, de facto, le plan 2011-2013 a été immédiatement stoppé. Après plusieurs mois d’incertitude, contrairement aux préconisations des rapporteurs d’octobre 2011, le lancement d’un troisième plan a été décidé. En page 30 de son rapport, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) indique que ce troisième plan a été « validé au niveau interministériel le 25 juillet 2014 ». Quand j’ai découvert cette information en janvier 2015, après avoir essayé en vain de le trouver sur internet, j’ai passé deux coups de fil, respectivement auprès des services de l’Etat en Martinique et en Guadeloupe. Il en ressort que le plan a déjà été mis en circulation en Martinique (de manière discrétionnaire) mais non en Guadeloupe et que tous les responsables ont pour consigne de ne pas le diffuser en Guadeloupe ! Je n’ai donc pu en être destinataire, ni en tant qu’universitaire, ni comme président d’association… Dans mon réseau, impossible de trouver quelqu’un – y compris à la Chambre d’agriculture – qui le détienne. Mes interlocuteurs des services de l’Etat en Martinique et en Guadeloupe m’ont aussi informé que certaines actions de ce plan connaissent déjà un début d’application alors que sa présentation officielle n’a pas encore eu lieu aux Antilles, sept mois après sa validation ministérielle !
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Des effets collatéraux non négligeables
De fait, la pollution/contamination globale par le chlordécone a fonctionné comme une arme chimique permettant de pacifier à la fois discrètement et efficacement la société guadeloupéenne à plusieurs niveaux.
Jusqu’à la grève de mai 1967, la société guadeloupéenne était très turbulente, agitée par de fréquentes velléités souverainistes. Fin mai 1967, à Pointe-à-Pitre, les revendications salariales des ouvriers du bâtiment portaient sur 2 % d’augmentation de leur revenu. Ordre fut donné de tirer sur eux avec usage de balles explosives. Il y a eu plusieurs dizaines de morts mais le nombre exact n’a jamais été divulgué. Cet épisode est considéré par certains historiens comme étant le plus grand massacre de français par les « forces de l’ordre » françaises en dehors de Sétif en Algérie. Deux jours plus tard, une augmentation salariale de 25 % était accordée aux survivants.
En mai 1968, à contre-courant du grand mouvement national de retrait des pesticides organochlorés de l’agriculture, les Antilles reçoivent l’autorisation de faire les premiers essais du chlordécone en plein champ[45].
Trente ans plus tard, avec la reconnaissance de la pollution/contamination globale et la mise à mal de la revendication de souveraineté alimentaire on constate un fort recul des revendications souverainistes au profit de revendications hygiénistes. « Sans la France, comment pourrions-nous nous nourrir à partir de terres durablement contaminées ? Sans la France, comment pourrions-nous nous soigner des effets actuels et à venir de la pollution au chlordécone ? »
Cette fois, subtilement instillée, l’aspiration au maintien voire au renforcement du rapport néocolonial vient de l’intérieur.
En Guadeloupe et en Martinique, du fait de la pollution globale de notre biotope, nous observons désormais un ensemble de comportements déviants formant ce qu’il convient d’appeler le syndrome de Karunina[46] – analogue à celui de Fukushima. Il se caractérise tout d’abord par un contexte de sous-information/désinformation de l’Etat et des scientifiques officiels : l’information est diffusée au compte-goutte, en cercles restreints, ou alors par voie de presse en éléments isolés les uns des autres, de telle sorte que le grand public n’ait pas accès au sens profond de la situation sanitaire qui le concerne. Les principales publications scientifiques d’études menées par des équipes françaises sur la population guadeloupéenne ou sur l’environnement guadeloupéen ne sont disponibles qu’en anglais[47] : le grand public et les professionnels de santé locaux qui n’ont pas le statut de chercheurs ont les plus grandes difficultés à apprendre l’existence de telles études, à se les procurer et à en comprendre le contenu précis. Par ailleurs, des informations très importantes sont communiquées parfois à des moments où la population est occupée à autre chose[48]. Pour l’Etat français, le but est d’éviter les procès et les demandes de réparations. Ce syndrome se caractérise aussi par un conflit explicite entre économie et santé : certaines instances représentatives des professionnels, principalement agriculteurs et pêcheurs, réclament des relèvements de tolérances (LMR chlordécone). Un tel comportement est en grande partie induit par l’absence de dispositif conséquent d’accompagnement financier aux victimes économiques du chlordécone.
Le syndrome de Karunina se caractérise aussi par une singulière lésion[49] psychosociale qui pousse certains (jeunes, nationalistes, traditionnalistes, dépressifs, fatalistes…) à se déclarer « prêt-e-s à consommer local pour soutenir voire sauver l’économie »… Certains de mes étudiants, en 1re et 2e année de licence d’économie, m’ont exprimé cette velléité d’autosacrifice dans l’intérêt économique de la Guadeloupe. Digne des kamikazes les plus téméraires du Japon impérial, ce consumérisme radical, pur esprit de sacrifice, est encouragé d’une même voix par certains représentants patronaux et syndicaux, unis dans leur volonté inconditionnelle de ne pas compromettre l’outil de travail. Il débouche sur la mise à l’index de ceux qui osent mettre en cause la qualité des produits locaux.
En fait – élément complémentaire du syndrome de Karunina – la production locale contaminée est parfois même délibérément sanctifiée. Sans exiger aucune garantie, le consommateur antillais accepte de croire que la production qui lui est présentée sur les marchés prétendument « bios » est « bio ». Par conséquent, il accepte de payer plus cher ce qui est en réalité du « bio chlordéconé ». J’ai fait la connaissance d’un agriculteur repenti qui s’est reconverti dans le « bio » sur ses mêmes terres polluées au chlordécone. Il nous a assuré que son label « bio » lui donnait droit à 7 % d’impuretés – lesquelles couvraient largement sa pollution au chlordécone. Les labels bios qui fleurissent actuellement aux Antilles sont les plus complaisants. Ils ne nécessitent que deux ou trois ans de jachère ainsi que la fin de l’adjonction de pesticides chimiques autorisés à doses non raisonnables. Le chlordécone, rappelons-le, a quant à lui une rémanence pouvant atteindre cinq à six siècles…
De toute évidence, de par la politique néocoloniale qui leur est infligée, les Guadeloupéens ne jouissent que de droits très dégradés à la santé et à vivre dans un environnement sain. Des sous-droits, en quelque sorte…
Frantz Fanon estimait que les colonisés ne sont susceptibles de redevenir des hommes à part entière que s’ils parviennent à s’affranchir du rapport colonial qui les déshumanise.
En réalité, le combat contre le chlordécone que nous menons actuellement aux Antilles est non seulement un combat pour la qualité de notre vie et celle de notre lointaine descendance mais encore une démarche citoyenne visant à la pleine reconnaissance de nos droits en France et en Europe. C’est aussi le combat de tous ceux qui, en Europe notamment, sont concernés par ce pesticide.
A notre manière, nous essayons d’ouvrir un avenir, de dégager un horizon, pour exister aussi dignement que le devraient tous les êtres humains…
Parce que nombre de nos élus les plus influents ont mauvaise conscience dans le dossier du chlordécone à cause de leur implication ou de leur silence passés, les faits ont montré qu’en la matière la population guadeloupéenne n’a rien à attendre d’eux.
L’action citoyenne – notamment par le biais des associations – relayée par une mobilisation de l’opinion publique ultramarine (qui connaît comme nous au quotidien la réalité du néocolonialisme), nationale et internationale constitue heureusement une véritable alternative.
[1] « Conclusions du Groupe d’études de prospective – Pollution par les organochlorés aux Antilles », juin 2006, 66 pages, p. 10, Yves-Marie Cabidoche, Magalie Jannoyer, Henri Vanière, Centre de coopération internationale en recherche rgronomique pour le développement (Cirad) et Institut national de la recherche agronomique (Inra).
[2] La situation est similaire en Martinique.
[3] William Dab est ancien directeur général de la santé et ancien président du Conseil scientifique international du plan Chlordécone Guadeloupe-Martinique 2008-2010. Cf. sa conférence « La pollution des Antilles par un pesticide », du 14 juin 2012 in « Les jeudis de l’environnement », sur France inter, durée : 01h43.
[4] Luc Multigner est directeur de recherches à l’Inserm (Unité Inserm 1085), et responsable du pôle Guadeloupe de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) de l’université de Rennes.
[5] Cf. par exemple sa conférence « Chlordécone: Quels Dangers, Quels Risques? » du 29 novembre 2014 à la Cité des métiers du Raizet, en Guadeloupe.
[6] Arrêté n° 2012-747 portant interdiction de consommer certaines espèces de gibier à plumes potentiellement contaminées par la chlordécone.
[7] Cf. Données du Groupe régional d’études des pollutions par les produits phytosanitaires (Grepp) du 24/05/2013.
Voir l’ensemble des présentations.
Voir le diaporama relatif à la contamination au chlordécone des oiseaux sauvages.
[9] De son nom scientifique Pterois volitans.
[10] Cf. intervention (26’50’’ : 28’48’’) de J.-C. Yoyotte, président du Comité régional des pêches de Guadeloupe, sur Guadeloupe Première Radio, lors du débat (magazine « Débathon ») organisé le 16 décembre 2013 entre 18h25 et 19h00 (34’09’’), en direct.
[11] Guadeloupe première est une radio du service public, qui a organisé le 16 décembre 2013, entre 18h25 et 19h, un débat en direct sur la contamination de la Guadeloupe par les pesticides. Cf. Magazine « Débathon », intervention de Jean-Claude Yoyotte 20’40’’ : 21’05’’ et la réponse de Pol Kermorgan, directeur-adjoint de la DAAF Guadeloupe 22’25’’ : 23’59’’.
Voir sur Youtube ou sur notre site.
[12] Cet arrêté est consultable sur le site de l’Observatoire des résidus de pesticides.
[13] Le paquet hygiène renvoie à l’ensemble de la règlementation européenne visant à garantir la qualité des produits alimentaires, de la fourche à la fourchette. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2006.
[14] Se reporter aux trois premiers considérants du Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.
[15] La LMR volailles est de 200 µg/kg de chair fraîche.
[16] Cf. Diaporama Grepp du 12 janvier 2011, « Surveillance de la contamination par la chlordécone des animaux d’élevage », p. 1.
A noter que la LMR du foie de bovin est de 100µg/kg de poids frais, selon l’arrêté du 30 juin 2008.
[17] Daaf/Grepp, « Surveillance de la contamination des animaux d’élevage », Grepp du 21 mai 2013, 12 pages, p. 8.
[18] Luc Multigner, Jean Rodrigue Ndong, Arnaud Giusti, Marc Romana, Hélène Delacroix-Maillard, Sylvaine Cordier, Bernard Jegou, Jean-Pierre Thome, et Pascal Blanchet.
« Chlordecone Exposure and Risk of Prostate Cancer”, Journal of Clinical Oncology, volume 28 n° 21, 20 Juillet 2010, pp. 3457 à 3462.
[19] Philippe Kadhel, Christine Monfort, Nathalie Costet, Florence Rouget, Jean-Pierre Thome, Luc Multigner, and Sylvaine Cordier
“Chlordecone Exposure, Length of Gestation, and Risk of Preterm Birth”, 9 pages.
“American Journal of Epidemiology Advance Access published January” 8 pages, 2014.
[20]Luc Multigner, Renée Dallaire, Gina Muckle, Florence Rouget, Philippe Kadhel,Henri Bataille, Laurence Guldner, Sophie Seurin, Véronique Chajes, Christine Monfort, Olivier Boucher, Jean Pierre Thome, Sandra W. Jacobson, Sylvaine Cordier
“Cognitive, visual, and motor development of 7-month-old Guadeloupean infants exposed to chlordecone”, in Environmental Research, octobre2012, pp. 79 à 85.
[21] Sylvaine Cordier est épidémiologiste et directrice de recherches à l’Inserm au sein de l’unité de recherche « Recherches épidémiologiques sur l’environnement, la reproduction et le développement ». Cf. sa communication « Chlordécone et développement de l’enfant : Cohorte mère-enfant Timoun » donnée pour les trente ans de l’Inserm le 27 septembre 2013 à la Médiathèque Paul Mado de la Ville de Baie-Mahault, en Guadeloupe.
[22] Luc Multigner, Olivier Boucher, Marie-Noëlle Simard, Gina Muckle, Florence Rouget, Philippe Kadhel, Henri Bataille, Véronique Chajes, Renée Dallaire, Christine Monfort, Jean-Pierre Thome, Sylvaine Cordier
“Exposure to an organochlorine pesticide (chlordecone) and development of 18-month-old infants” in NeuroToxicology vol. 35, janvier 2013, pp. 162 à 168.
[23] Plus exactement, le chlordécone a été autorisé pour lutter contre le charançon du bananier, c’est-à-dire dans la France d’outre-mer.
[24]Matthieu Fintz, « Eléments historiques sur l’arrivée du chlordécone en France entre 1968 et 1981 », Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), décembre 2009, 21 pages, pp. 4 à 11, disponible en ligne.
[25] Pierre-Benoît Joly,« La saga du chlordécone aux Antilles Françaises – Reconstruction chronologique 1968-2008 », INRA-SenS et Ifris/Afsset, juillet 2010, 82 pages.
Inra : Institut national de la recherche agronomique ;
SenS : Sciences en Société ;
Ifris : Institut francilien recherche innovation société ;
Afsset : Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail.
« En 1972, la demande d’autorisation du chlordécone est à nouveau présentée à la Commission des Toxiques par la SEPPIC (Société d’exploitation pour les produits de l’industrie chimique) qui représente Du Pont de Nemours. Compte tenu de l’intérêt de cet insecticide, en substitution au HCH – pesticide utilisé à très forte dose et dont l’efficacité diminue du fait d’apparition de résistances des insectes-, la Commission des toxiques propose une autorisation provisoire de vente (APV) pour un an, avec recommandation de suivi des résidus dans les bananes : « Ce produit avait déjà été proposé à la commission en 1968 qui l’avait refoulé à cause de sa grande persistance et sa forte toxicité chronique. Cependant, il apparaît que ce produit serait très intéressant pour le traitement de bananeraies en remplacement du HCH qui s’utilise à la dose de 90 kg/ha. Des résidus dans la pulpe de banane ne sont pas décelables, M. Viel qui présente le dossier pense qu’il serait utile d’autoriser ce nouvel organochloré pour lutter contre le charançon du bananier et il propose de classer la poudre à 5% au tableau C et la matière active au tableau A. La commission décide d’accorder une autorisation provisoire d’un an dans les conditions proposées par M. Viel mais décide que des nouveaux contrôles de résidus dans les bananes soient effectués. » – (CR Commission des Toxiques 01/02/1972)
Les arguments sur l’utilité du chlordécone dans la lutte contre le charançon ont donc raison des réticences liées à sa forte toxicité. Suivant l’avis de la commission, le ministre de l’agriculture délivre l’autorisation provisoire de vente du chlordécone, sous la dénomination commerciale de Képone, en février 1972 ». p. 17.
[26] En 1974, le Comité d’Etudes de l’Emploi des Toxiques en Agriculture est devenu, le Comité d’Homologation des Produits Antiparasitaires à Usage Agricole et des Produits Assimilés.
[27] Cf. extrait de la réunion du 6 février 1970, cité par Pierre-Benoît Joly, rapport cité, p. 7. Souligné par nous.
[28] Règlement (CE) N° 149/2008 de la commission du 29 janvier 2008 modifiant le règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil pour y ajouter les annexes II, III et IV fixant les limites maximales applicables aux résidus des produits figurant à son annexe I.
[29] Cf. site officiel de l’Observatoire des résidus de pesticides (ORP), consulté le 24/02/2015, Question n° 16,
[30] Eric Godard et Amélie Grenot (coordinateurs), « Plan d’action chlordécone en Martinique et en Guadeloupe 2008-2010. Bilan par actions 2010 », décembre 2010, 106 pages, p. 2
[31] C’est l’explication qui nous a été donnée en préfecture, à maintes reprises, lors de réunions du Groupe régional d’études des pollutions par les produits phytosanitaires (Grepp).
GPS : Global Positioning System.
[32] Jean-Yves Le Deaut et Catherine Procaccia,« Les impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution », rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), 24 juin 2009, 223 pages, p. 63.
[33] Se reporter à leur rapport en pages 62 et 63. Actuellement, nous sommes autour de dix mille analyses de sols effectuées en Guadeloupe. Combien ont-elles été correctement géo-référencées ? Nous l’ignorons…
[34] Le Groupe d’études sur les pollutions par les produits phytosanitaires (Grepp) a été créé par la préfecture de Guadeloupe, à la suite de la détection de chlordécone en mars 2000 sur le réseau public de distribution d’eau potable. J’y interviens depuis plusieurs années en tant qu’universitaire, mais aussi parallèlement en tant que membre de l’association ASSE, puis en tant que président de cette association, et enfin, depuis le début 2013, comme président de l’association EnVie-Santé (Environnement, Vie et Santé).
[35] Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf) Guadeloupe.
Voir la cartographie grand public des sols contaminés au chlordécone sur l’espace du site Daaf dédié au chlordécone..
[36] Eric Godard et Amélie Grenot (coordinateurs),« Plan d’action chlordécone en Martinique et en Guadeloupe 2008-2010. Bilan par actions 2010 », décembre 2010, 106 pages, p. 2.
[37] Directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d’information géographique dans la Communauté européenne (Inspire) publiée au Journal officiel de l’UE n° L 108 du 25/04/2007 p. 0001-0014, 14 pages.
[38] « La pollution des Antilles par un pesticide », conférence du 14 juin 2012 in Les jeudis de l’environnement, France inter, durée : 01h43.
[39] Courant 2008, dans le cadre du Plan chlordécone Guadeloupe – Martinique 2008-2010[39], le gouvernement français a chargé l’AFSSET de lister les pays européens ayant utilisé des produits à base de chlordécone ou se dégradant en chlordécone, et ceux concernés par l’évaluation et la gestion d’une pollution par le chlordécone afin d’identifier des perspectives de coopération. Aucune suite n’a été donnée … Cf. document de travail Afsset, Unité affaires européennes et internationales, 2e note d’étape concernant la mise en œuvre de l’action 40 du Plan d’action chlordécone 2008-2010 « Coopérer avec les autres pays potentiellement concernés pour l’évaluation et la gestion d’une pollution par le chlordécone et de ses impacts sanitaires, agronomiques et environnementaux : volet européen », version 1 du 8/10/2009, 6 pages.
On peut aussi se reporter àPh.Verdol, Le chlordécone comme arme chimique française en Guadeloupe et en Martinique et de ses effets en Europe et dans le monde – Plainte et demande de réparations, Editions L’Harmattan, juin 2014, 146 pages.
Web-Site : www.joelle-philippe-verdol.com, mail : philippe.verdol@yahoo.fr.
[40] Cf. Pierrette Crosemarie, « Inégalités environnementales et sociales : identifier les urgences, créer des dynamiques », rapport pour le compte du Conseil économique, social et environnemental (Cese), 233 pages, p. 30, janvier 2015.
[41] Ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement
Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé
Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Rapport d’évaluation des plans d’action Chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe), Octobre 2011 (rendu public le 6 mars 2012), 99 pages hors annexes.
Annexe 8 « Composition du comité de pilotage national », p. 32
[42] Idem, p. 51.
[43] Idem, p. 33.
[44] Cf. la troisième partie de son rapport.
[45] Se reporter par exemple en page 18 du rapport déjà cité de Pierre-Benoît JOLY ou en page 4 du rapport de Matthieu Fintz.
[46] Le nom améridien de la Guadeloupe serait Karukéra, tandis que celui de la Martinique serait Madikera.
Conçu par Joëlle VERDOL, Karunina est un nom formé des deux premières syllabes de Karukéra et des deux dernières de Madikéra.
[47] Cf. par exemple l’étude Karuprostate ou les trois volets déjà publiés de l’étude TiMoun.
[48] Des informations importantes pour la santé publique ont été diffusées en pleine période du Carnaval guadeloupéen.
En voici deux exemples :
– Reportage relatif aux conséquences de la pollution au chlordécone sur la santé, journal TV du lundi 3 mars 2014 de Guadeloupe première, 19h30, de 6’45 à 9’53’’;
– Reportage sur l’interdiction de consommer de nouvelles espèces de poissons et de crabes, journal TV du mardi 4 mars 2014 (c’était le mardi-gras) de Guadeloupe première, 19h30, de 17’45 à 18’05’’.
Les téléspectateurs n’ont même pas eu droit à une photo des quatre espèces désormais interdites !
NB : aux Antilles, le Carnaval est un phénomène social aussi puissant qu’au Brésil. La population est alors en train de se défouler et ne pense à rien d’autre. Si les préparatifs et répétitions chorégraphiques commencent environ 4 mois à l’avance, le summum est atteint pendant les 5 derniers jours (massivement non travaillés), soit 3 jours avant le mardi gras, plus le « mercredi des cendres » au soir duquel on brûle une effigie du roi du Carnaval.
L’information chlordécone a été diffusée précisément à cette période.
[49] Cette lésion pourrait aussi être qualifiée de « fêlure », selon une analyse de Joëlle Verdol (cf. Les Commandeurs de l’aube, L’Harmattan, 2013).