Par Sylvie Abbe, section LDH de Cayenne.
Dès 2008, les associations du Collectif migrants outre-mer (Mom), dont la LDH est partie prenante, ont attiré l’attention de la Halde sur la non-scolarisation en Guyane laquelle, sur ce point, n’a pas manqué d’élaborer des recommandations. Pour autant, face à l’absence de réponse satisfaisante de la part des institutions locales et nationales, les associations ont relancé en 2011 le Défenseur des droits en s’appuyant sur trois axes : les pratiques municipales entravant les inscriptions en maternelle et primaire, un accueil insuffisant des lycéens, une prise en compte insuffisante des langues et cultures des élèves.[1]
En effet, la réclamation au Défenseur des droits dénonçait l’insuffisance des mesures prises après les recommandations de la Halde en 2009, visant à enjoindre au préfet de Guyane de vérifier la légalité des inscriptions, et rappelait : « l’insuffisance des moyens donnés à l’observatoire de la non scolarisation et les pratiques municipales entravant la scolarisation des enfants par le maintien d’un dossier d’inscription scolaire dont les conditions d’inscription sont très contraignantes et dont les exigences dépassent le cadre des normes juridiques en vigueur ».En outre, le collectif insistait sur les atteintes à l’égalité d’accès à l’éducation, telles celles relevant de l’accueil illusoire en maternelle car cette inscription se fait en fonction des places disponibles, ou encore celles relevant de modalités d’inscription discriminantes à l’école élémentaire (p 5) eu égard à l’exigence de la production de justificatifs d’identité et de domicile.
Concernant l’accueil en maternelle en 2014, la section de Cayenne peut témoigner de l’opacité des listes d’attente, notamment à Matoury où des enfants de 5 ans inscrits parfois depuis 2 ans sur ces listes n’ont jamais été scolarisés, alors même que des petites sections existent pour les 2/3 ans. Ces enfants alloglottes, vont entamer leur CP sans être passés en maternelle ; ils se retrouvent donc d’ores et déjà en situation de handicap, alors que l’accueil des enfants de deux ans a été recommandé en outre-mer.
Si certaines des demandes indues des mairies pour l’inscription scolaire ont disparu, comme celles qui concernaient le justificatif d’identité, des entraves subsistent aujourd’hui, telle à titre d’exemple l’exigence d’un justificatif de domicile au nom d’un des parents directs et ce en contradiction avec les dispositions du Code de l’éducation. A cet égard, ce sont les demandes relatives aux justificatifs de domicile qui constituent actuellement en Guyane la cause première d’exclusion scolaire. En effet, exiger des factures, comme à la mairie de Saint-Laurent-du-Maroni[2], à des familles qui n’ont accès ni à l’eau ni à l’électricité et qui vivent en habitat auto construit, engendre de facto l’exclusion scolaire de ces enfants. La municipalité de Matoury fait vérifier les adresses données par les parents, qui n’arrivant pas à fournir les documents exigés, ont recours à des adresses fictives chez des tiers. Des enseignants signalent à la rentrée 2014 des enfants non scolarisés pour cette raison tant à Saint-Laurent qu’à Matoury.
La section de Cayenne a engagé un combat pour que le principe de la déclaration de domicile prévue par la loi soit appliquée en Guyane pour les inscriptions scolaires mais sans succès jusqu’à maintenant.
Les autres causes de la non-scolarisation, soulignées depuis quinze ans par le Collectif pour la scolarisation, subsistent, comme le coût des transports ou celui des fournitures. Sur le fleuve Maroni, les enseignants signalent régulièrement des défections d’élèves dès lors que les parents sont sollicités pour payer le transport en pirogue[3]. Pourtant Mme Tritsch dans sa thèse présentée par ailleurs dans un article de cette lettre signale que le transport est gratuit sur l’Oyapock pour les enfants vivant dans des hameaux éloignés de l’école du bourg de Camopi : cette gratuité des transports serait donc territorialisée en Guyane ?
A Saint-Laurent-du-Maroni, ces enfants interdits d’école sont bien visibles : une simple présence d’une journée à Saint-Laurent-du-Maroni, lors du colloque organisé en novembre 2013 sur les Marronnages, a permis de rencontrer à la mairie une femme de l’Ilet Portal qui a trois jeunes enfants non scolarisés, et les associations locales signalent plusieurs dizaines d’enfants dans cette situation sur cet Ilet. Il faut noter à cet égard qu’une enquête officielle de Gaia Futur sous l’égide du recteur Gossat, réalisée en 2007 sur la commune de Saint-Laurent, avait signalé un nombre important d’enfants non scolarisés sur cet Ilet[4]. Cette enquête mentionnait que l’Ilet Portal « était une particularité de la zone […] Il a été enquêté 213 personnes sur 34 logements » soit plus de six personnes par logement, avec 68% de jeunes de moins de 18 ans. « Le taux de non scolarisation atteint le chiffre de 14% sur cette partie de la zone d’étude » soit le plus fort taux de la zone. Il est intéressant de remarquer que ces habitants sont des Ndjuka, des Noirs marrons, populations pourtant reconnues comme autochtones par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme mais pas par le gouvernement français.
Un autre cas de maltraitance institutionnelle vis-à-vis de ces populations est manifeste dans le refus de la municipalité de Mana de créer des écoles de proximité, avec comme conséquence la scolarisation d’enfants dès 3 ans à 70 km de leur domicile. Ils y sont conduits en car deux fois par jour soit 140 km. La nécessité de structures de proximité est revendiquée dans de nombreux rapports d’Etat comme indiqué dans le document cité sur la route de Saint-Laurent à Apatou,[5] réalisé en 2010 par le conseil régional. Tous les freins à la scolarisation entre Saint-Laurent et Apatou y sont évoqués.
Les avancées en ce domaine, comme la création en 2013 d’une école au village Favard ou le collège de Camopi, restent des exceptions.
La réalité de la non-scolarisation est cependant bien connue de l’Insee même si les chiffres publiés ne sont pas clairs et semblent se contredire.
Comme le rappelaient les associations dans leur réclamation de 2011, les statistiques officielles de l’Insee, publiées dans la revue Antiane n°7, en 2008, faisaient apparaître une reprise inquiétante de l’augmentation de la non-scolarisation : 2888 enfants de 6 à 16 ans et 3300 de 3 à 5 ans non scolarisés[6]. La revue Antiane n°7 titrait : « A la rentrée 2008/ 2009 70000 élèves sont scolarisés dans les écoles, collèges et lycées de la Guyane. Malgré 2000 élèves supplémentaires la non scolarisation est en hausse continue depuis la rentrée de 2007 ».
Depuis cette publication, d’autres chiffres ont été donnés [7]d’après le recensement 2009 indiquant 2222 enfants de 6 à 16 ans non scolarisés sans mention des 3-5 ans mais ils indiquent cette fois une augmentation du nombre de non-scolarisés en collège.
Ces chiffres ont toujours paru en dessous de la vérité aux associations. Ils sont en effet obtenus par déclaration aux enquêteurs de l’Insee.
Un tableau fourni par l’observatoire de la non-scolarisation[8]-organisme officiel de l’académie de Guyane, faisait apparaitre sur 10 ans, un pourcentage, bon an mal an, de 9% d’enfants non scolarisés par rapport au chiffre d’enfants scolarisés et montrait que ce chiffre de non scolarisés augmentait proportionnellement à celui des enfants scolarisés. Comme il a disparu du site officiel vous le trouverez sur le site du Collectif Migrants outre-mer : http://www.migrantsoutremer.org/Non-scolarisation-en-Guyane.
Le plus grave est que les informations ne sont plus données depuis la rentrée 2009 : qu’en est-il exactement de cette tendance à la hausse de la non-scolarisation dont la reprise a été signalée en 2008 et 2009 ?
C’est effectivement d’après les chiffres de 2009 qu’a été réalisée l’analyse du rectorat de juin 2013 publiée dans le numéro 33 de la revue Antiane ; Elle fait apparaitre qu’il y a plus d’enfants non scolarisés chez les étrangers, ce dont on se doutait, et que la moitié des enfants non scolarisés vivaient sur le Maroni et concernaient les enfants issus des populations dites «bushinengué ou Noirs marrons »[9].
Mais pour l’institution tout va bien car le taux de non scolarisés diminuerait : « Pour l’accès à la scolarité obligatoire, difficulté spécifique à la Guyane, les taux se modifient positivement. L’évolution observée sur la tranche d’âge des 12-16 ans (93% en 2007, 87 % en 1999) est plus significative que sur la tranche d’âge des 6-11 ans (96% en 2007, 93% en 1999). Ce qui ne suffit pas à résorber pleinement la non-scolarisation fortement marquée géographiquement (Ouest guyanais) et socio-économiquement (inactivité ou chômage des parents). » [10]
Pourtant les dernières publications officielles dont celle de la géographie de l’école[11] fournissent des indicateurs très inquiétants. En effet des tableaux Excel publiés sur le site donnent les pourcentages de l’évolution de la population de 0 à 17 ans sur 10 ans (2003/2013) et c’est bien la population guyanaise qui a la plus forte évolution de France soit : 31,7%. Un autre tableau présente l’évolution des effectifs scolarisés en maternelle et élémentaire : il est de 22%…
Certes l’évolution est de 32% pour le premier cycle du secondaire et de 60% pour le second cycle mais on sait qu’il y a en Guyane une déperdition importante entre CM2 et collège chiffres donnés par l’Insee lequel mentionne 85 % d’une classe d’âge scolarisée à 17 ans soit une différence de près de 15% avec l’hexagone. [12] Les chiffres en valeur absolue ne sont pas mentionnés.
Toutefois des journalistes en cette rentrée pourraient se poser des questions…
Il faut ajouter que la Guyane est victime d’un important retard d’infrastructures scolaires, que les constructions de collèges et de lycées sont très insuffisantes par rapport aux prévisions. Une comparaison du Snes en 2013 avec la Martinique dénonce ce retard : pour le même chiffre de population à scolariser en Guyane : il y a 16 collèges et 20 lycées de moins !
Quant à l’Observatoire de la non-scolarisation il est retourné dans le sommeil où il était entré en 2009 après un bref réveil en janvier-février 2013. [13] Circulez, il n’y a rien à voir …
Pour les associations, la non-scolarisation perdure et le Défenseur des droits n’a jamais répondu. En Guyane, la non-scolarisation semble acceptée par tous… Excepté par la section de Cayenne qui est intervenue lors du colloque du CRPV de Cayenne de février 2014[14] et continuera à dénoncer ce que personne ne souhaite plus voir.
[1] http://www.migrantsoutremer.org/-Education-
[2] http://www.migrantsoutremer.org/IMG/pdf/SLMdossier_d__inscription_2014_2015.pdf
[3] http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00831619
[4] Enquête démographique et scolaire dans le Nord-Ouest guyanais signalée dans :http://www.aruag.fr/ftp.aruag/aruag/ressources/docs_telechargement/R1_12-Rte311-360.pdf
[5] http://www.aruag.fr/ftp.aruag/aruag/ressources/docs_telechargement/R1_12-Rte311-360.pdf
[6] http://www.migrantsoutremer.org/Insee-Scolarisation-en-Guyane-2007 p55 et sq
[7] http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=25&ref_id=20144
[8] http://www.ac-guyane.fr/spip.php?rubrique79
[9] Populations issues des esclaves qui se sont libérés dès le XVIIe siècle des plantations au Surinam mais dont une part vit depuis longtemps en Guyane française où ils sont arrivés après la guerre civile du Surinam, le fleuve frontière étant à leurs yeux avant tout un lieu de vie.
[10] http://insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=25&ref_id=17509
[11] http://www.education.gouv.fr/cid56332/geographie-de-l-ecole.html
[12] Dernière publication Insee sur la jeunesse de Guyane. http://insee.fr/fr/insee_regions/guyane/themes/etudes_detaillees/jeunes-adultes/INSEE%20DEM.%20JEUNES%20EN%20GUYANE.pdf)
[13] http://www.ac-guyane.fr/spip.php?article579
[14] Article de la section de Cayenne de la Ligue des droits de l’Homme : http://site.ldh-france.org/guyane/2014/03/22/acces-leducation-en-guyane-pour-les-etrangers/compléments sur le site du Collectif Migrants outre-mer http://www.migrantsoutremer.org/Non-scolarisation-en-Guyane