Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ
Nous avons constaté, en ce début d’année, les effets désastreux de la loi d’exception sur l’apologie du terrorisme, qui a permis de condamner lourdement de très jeunes gens pour des paroles ou des actes commis sous l’emprise de l’alcool ou par pure provocation dans la majorité des cas.
À l’adolescence, les mécanismes d’opposition sont des ressorts bien connus. Il suffit qu’un avis apparaisse largement partagé, notamment par le monde des adultes ou par la famille, pour qu’une partie des jeunes prenne le contre-pied, par principe.
Sur les questions qui interrogent le vivre ensemble et les phénomènes de radicalisation ou de discriminations en particulier, la réponse répressive ou purement sécuritaire est, non seulement inefficace, mais souvent contre-productive dans l’immense majorité des cas, notamment pour ceux que l’appareil judiciaire appelle « primodélinquants ».
Nous devons d’abord nous interroger sur les raisons qui conduisent une partie des adultes-citoyens au plus proche de ces jeunes (éducateurs sportifs, enseignants, etc.), à transférer à l’autorité judiciaire une parole ou un acte sans réfléchir à la manière dont il pourrait être traité dans le groupe ou l’institution. Heureusement, tous les sifflets pendant une minute de silence ou toutes les provocations adolescentes ne finissent pas devant un tribunal, parce que nombre de ces adultes remplissent encore leur mission d’éducation.
Il reste que certains, et ceux-là font les choux gras des médias, appliquant bêtement les règles administratives, ouvrent le parapluie et cèdent à la pression d’un groupe, d’un climat.
Ce fut pourtant, pendant longtemps, l’orgueil du corps enseignant que de traiter en interne les dérapages des élèves. Aujourd’hui, la ligne directe entre enseignement et judiciarisation est ouverte, avec un système de double peine bien rodé : l’élève qui passe en conseil de discipline (pour insulte envers un adulte ou un jeune, violence ou dégradation) voit son dossier transmis au parquet. Les jeunes « bénéficient » donc de la double peine comme les étrangers en situation irrégulière.
Dans un second temps, nous devons interroger le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Dans une période d’émotion et de bruit médiatique, il faut savoir raison garder. Or les professionnels savent combien il est difficile d’analyser sereinement et d’apporter une juste réponse lorsque la pression médiatique, le discours politique pèsent sur la chaîne pénale et que la sanction est préécrite sans tenir compte ni des faits, ni des personnalités.
Dans l’immense majorité des cas, les jeunes poursuivis devant la justice sont des inconnus. L’important est alors de comprendre les raisons du passage à l’acte. C’est le plus souvent l’expression d’un mal-être, un moyen de se faire remarquer, un phénomène de bande ou un appel envers les adultes… La répression aveugle ne servira clairement à rien, si ce n’est à hypothéquer un peu plus l’avenir de ces enfants.
Toute la question est de faire œuvre de pédagogie et d’éducation – comme l’avaient compris les rédacteurs de l’ordonnance de février 1945 sur l’enfance délinquante – pour que le message puisse être entendu et compris et que, au mieux, ces jeunes deviennent eux-mêmes vecteurs auprès de leurs pairs.
Il n’est pas question ici de fournir des recettes et encore moins « la » réponse, puisqu’elle est multiple. Dans la palette des réponses pénales, nous avons, bien entendu, des outils qui peuvent correspondre :
- le stage de citoyenneté pour rappeler quelques règles du « vivre ensemble » ;
- des mesures de réparation pénale, qui peuvent intervenir avant ou après le jugement, ou des travaux d’intérêt général…
Ce que nous savons, c’est que, pour que la réponse soit utile et porte des fruits, il faut une rencontre entre le jeune et un tiers et qu’elle fasse réfléchir…
Il est utile, par exemple, que les jeunes qui ont dégradé le cimetière de Sarre-Union participent à sa remise en état pour qu’ils comprennent en partie les conséquences de leurs actes, comme le demande le procureur. Mais s’ils doivent travailler tous ensemble avec un adulte comme chef de chantier qui ne leur explique rien, cela ne servira à rien. S’ils doivent travailler, c’est seuls ou à deux avec un adulte qui peut aussi leur dire pourquoi il faut tel ou tel geste, pourquoi on répare de cette manière ou leur faire rencontrer un passeur de mémoire qui dira qui étaient ces hommes ou ces femmes qui sont enterrés là.
Avec l’immense majorité des mômes qui ont rompu la minute de silence, il faut prendre le temps de l’explication, de la confrontation et de la construction d’une proposition qui fasse bouger les représentations. C’est la différence entre copier cent fois « Ce n’est pas bien d’être raciste » et une rédaction ou une dissertation sur l’égalité…
Pour ce faire, il faut aussi comprendre l’entourage immédiat de ce jeune, ce qu’il vit, ce qu’il pense, avec qui il passe ses loisirs, qui sont ses copains, s’il a des projets et lesquels… parce que l’on n’utilise pas les mêmes canaux, les mêmes relais selon que le jeune vit ou non dans sa famille ou qu’il participe ou non à des activités sportives, cultuelles, politiques ou philosophiques : la punition donnée par un adulte que le jeune respecte sera la plus pédagogique.
Pour conclure, faut-il vraiment s’étonner que les jeunes soient plus radicaux dans leurs choix ou leurs paroles que les plus anciens ?
Quelle place faisons-nous à nos jeunes dans notre société quand ils doivent vivre d’expédients entre leurs études et leur premier vrai emploi ?
Alors que l’on nous annonce que l’extrême droite pourrait devenir le premier parti de France, faut-il vraiment faire semblant de croire que la jeunesse ne serait pas touchée par les idées racistes, antisémites, homophobes ou antimusulmanes ?
La question de la transmission des valeurs de la République est posée ; pour réduire les fossés qui se creusent, c’est le combat pour l’intégration sociale qui redonnera sens à une nouvelle fraternité partagée.