Par le Collectif Migrants outre-mer (Mom).
Le 11 juin 2008, les syndicats et les associations alertaient le président de la Halde[1] sur l’exclusion dont les jeunes étrangers étaient victimes à Mayotte :
« Sur l’ensemble du territoire de la République française, les normes nationales et internationales protègent l’intérêt supérieur de l’enfant et un accès à l’instruction égal pour tous assuré par l’Etat. Pourtant, à Mayotte, de nombreux jeunes étrangers sont exclus du système éducatif par des obstacles discriminatoires.
Des syndicats de l’enseignement – la FSU et les sections à Mayotte du Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale, du Syndicat des enseignants CGT, du SnesS et de Sud-éducation – et des associations réunies au sein du Collectif Migrants-Outremer et du Collectif Migrants Mayotte saisissent ensemble la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) et la Défenseure des enfants pour dénoncer ces pratiques.
Il s’agit d’obstacles à la scolarisation que rencontrent les enfants étrangers même entre 6 et 16 ans à l’âge où la scolarité est obligatoire. Au-delà de 16 ans, l’inégalité des chances de rester dans le système éducatif pour y compléter sa formation ou d’accéder à une formation supérieure ne fait que s’accentuer.
Où est donc le droit à l’éducation pour tous ? Les jeunes étrangers à Mayotte ont lieu de se poser la question. »[2]
Les obstacles à la scolarisation en 2008
La scolarisation des jeunes étrangers après 16 ans se fait selon les places vacantes et selon le niveau. Le vice-recteur évoquait effectivement dans ses notes deux cas de jeunes lycéens : ceux en provenance de la Réunion et métropole et les « primo arrivants étrangers ». Dans le premier cas le jeune s’inscrit directement dans son lycée ou collège de secteur et la mention de place disponible ne figure pas dans la procédure à la rentrée 2008/2009. Dans le second cas les demandes sont « étudiées selon les places vacantes en fonction du niveau scolaire ». Les auteurs de la demande évoquaient donc une discrimination puisque l’affectation est de droit dans le premier cas et soumise à des conditions dans le second. Une note de 2006 du vice- rectorat précisait que dans le second cas l’affectation serait étudiée en août lorsque toutes les autres affectations auraient eu lieu.
Les deux premiers obstacles sont donc le manque de place une fois que toutes les autres demandes ont été examinées et le « très faible niveau » invoqué.
Le troisième obstacle évoqué dans cette demande au président de la Halde est lié au dossier d’inscription et des pièces exigées pour l’inscription tant au primaire qu’au secondaire. Un dossier est exigé pour l’inscription que beaucoup ne peuvent fournir notamment un justificatif du responsable légal et « un document attestant de l’exercice de l’autorité parentale » avec un acte de tutelle pour les enfants recueillis ; une pièce d’identité, une copie du livret de famille ou de l’extrait de naissance. On sait que l’exigence de tels documents est contraire au Code de l’éducation rappelé dans la circulaire de mars 2002, toujours en vigueur et qui rappelle qu’ « En l’état actuel de la législation aucune distinction ne peut être faite entre élèves de nationalité française et de nationalité étrangère pour l’accès au service public de l’éducation. Rappelons, en effet, que l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, âgés entre six et seize ans, qu’ils soient français ou étrangers, dès l’instant où ils résident sur le territoire français. Les personnes responsables, au sens de l’article L.131-4 du Code de l’éducation, d’un enfant de nationalité étrangère soumis à l’obligation scolaire, sont donc tenues de prendre les dispositions prévues par la loi pour assurer cette instruction. En outre, la convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par la France, garantit à l’enfant le droit à l’éducation en dehors de toute distinction qui tienne à sa nationalité ou à sa situation personnelle. […] les dispositions législatives relatives à l’obligation scolaire imposent à toute personne exerçant une simple autorité de fait sur un enfant la charge d’assurer son instruction (article L.131-4 du Code de l’éducation). Dans ce cas la preuve que l’enfant est régulièrement confié à cette personne peut être effectuée par tout moyen (lettre des parents, notoriété publique…). L’inscription dans un établissement scolaire ne peut donc être subordonnée à la présentation par la personne qui inscrit l’enfant d’un acte de délégation de l’autorité parentale. Si l’enfant se présente seul et, d’une manière générale, en cas de présomption d’enfant en danger, il conviendra de procéder à un signalement selon les procédures en vigueur (cf. titre II de la circulaire n° 97-119 du 15 mai 1997).
Cette demande à la Halde évoquait le sort des jeunes isolés à Mayotte suite à l’expulsion de leurs parents et qui se voyaient refuser l’accès à l’école car dans l’impossibilité de fournir les pièces demandées.
L’association solidarité Mayotte qui aidait les jeunes demandeurs d’asile alertait sur le temps passé à remettre à niveau les jeunes avant qu’ils puissent entrer au lycée car il y a un véritable examen d’entrée pour tester leur niveau.
Qu’en est-il en 2014 ?
Si la Défenseure des enfants a bien examiné en 2009 le cas de la non-scolarisation à Mayotte[3] aucune réponse n’a été donnée sur les trois obstacles soulevés dans la demande inter associative qui n’a jamais été mentionnée et elle n’a répondu qu’à une saisine complémentaire du Sgen qui rejoignait les signataires de la précédente saisine.
On lit sur le site Mom : « La Défenseure des enfants a été saisie par le Sgen-CFDT, de la situation de non scolarisation d’enfants mineurs et de jeunes majeurs étrangers à Mayotte.
Cette problématique a fait l’objet d’une réunion de travail le 6 mai 2009 avec la Halde, également saisie. Une consultation est en cours auprès des services du vice-rectorat et d’une dizaine de communes de Mayotte au sujet de la liste des pièces à fournir par les familles étrangères pour l’inscription de leurs enfants dans les établissements des 1er et 2nd degrés.
La Défenseure des enfants est intervenue auprès du vice-recteur de Mayotte au sujet de l’impossibilité pour les enfants étrangers d’être admis dans un établissement scolaire faute de pouvoir passer un test de niveau. Cette autorité rectorale a indiqué qu’à partir de la rentrée 2009, la commission d’évaluation pourra se réunir chaque trimestre de l’année scolaire grâce à l’arrivée de 2 inspecteurs, ce qui évitera à ces enfants d’attendre la rentrée suivante pour être scolarisés. La Défenseure des enfants en a pris note avec satisfaction »
En 2013 le Défenseur des droits publiait une série de recommandations[4] sur les mineurs isolés à Mayotte et constatait que l’article 28 de la Cide n’était pas respecté à Mayotte. Il signale que « 700 mineurs ne seraient pas scolarisés » et « 20% des élèves scolarisés dans le second degré sont des mineurs dont les parents sont en situation irrégulière » Une telle mention est pourtant contraire au Code de l’éducation
Il constate que 60 primo-arrivants de 6 à 16 ans ne sont pas scolarisés et que des obstacles existent notamment dans l’inscription et la continuité des études pour les jeunes étrangers. Il constate aussi que l’inscription reste préoccupante « certaines mairies opposant un veto à l’inscription des enfants comoriens ».
On peut s’interroger sur ces chiffres sans doute aussi peu fiables que ceux publiés en Guyane pour la non-scolarisation. Il s’appuie visiblement sur les chiffres établis par le sociologue Guyot en 2012[5] qui fait état de 18% de mineurs isolés non scolarisés et 7% déscolarisés. Il ajoute « L’accès à l’éducation devrait également être favorisé pour les 692 enfants jamais scolarisés ou déscolarisés ».
Pourtant aucune des recommandations que fait le Défenseur des droits ne répond à la disparition des obstacles identifiés depuis 2008.
En 2014 la situation n’a pas évolué comme on peut le lire dans deux rapports sur Mayotte.
Selon les rapports de deux associations Solidarité Mayotte [6] et Solidarité Laïque la situation n’a absolument pas changé malgré la départementalisation et Mayotte continue à s’exonérer du droit commun préfigurant notre avenir.
Dans son bilan sur l’accompagnement des mineurs isolés à Mayotte l’association Solidarité Mayotte dresse un réquisitoire pour les soixante-trois mineurs isolés qu’elle a suivis en 2013. On sait que suite aux différents rapports et à la violence des événements de 2012 à Mayotte où le rôle prétendu de ces milliers de jeunes, voire très jeunes, mineurs isolés à Mayotte a été relevé, un dispositif spécifique a été mis en place pour les mineurs étrangers non comoriens « Originaires pour la majorité de la Région des Grands Lacs africains (République Démocratique du Congo : Nord et Sud Kivu, Rwanda), les mineurs isolés accompagnés par notre association sont arrivés à Mayotte dans le but d’entamer une procédure de demande d’asile suite aux persécutions qu’ils subissaient dans leur pays ». On les appelle les mineurs isolés demandeurs d’asile (Mida).
L’absence d’accès aux soins suite au refus d’étendre l’AME à Mayotte et les difficultés d’accès à l’éducation y sont dénoncées :
« L’accès à la scolarisation est subordonné à Mayotte au passage d’un test véritable concours d’entrée mis en place par le vice-rectorat pour les élèves nouvellement arrivés à Mayotte. La préparation de ce concours d’entrée mobilise beaucoup d’énergie pour l’association. Très peu de jeunes arrivent à aller au bout de leur formation par absence de moyens : beaucoup quittent l’école pour subvenir à leurs besoins. »
Le rapport de Solidarité laïque, qui a engagé une campagne en faveur du développement de l’éducation à Mayotte, via la MAIF, du type humanitaire « Un cahier et un crayon. Avec les enfants de Mayotte ».
Le dossier de presse insiste sur le refus du droit à l’éducation à Mayotte concernant de nombreux enfants « dont les parents sont en situation irrégulière » – où l’on voit se créer cette redoutable catégorie, contraire effectivement aux droits fondamentaux, mais dont on peut craindre l’extension.
« Ces enfants, dont les parents sont en situation irrégulière, se voient très souvent refuser leur droit à l’éducation sous des prétextes contraires au droit commun français et à la Convention Internationale des droits de l’enfant. Ces exclus se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes, sans protection. »
Très peu sont scolarisés en maternelle et beaucoup entrent directement en CP.
Un des films tournés à Mayotte intitulé droit à l’éducation montre que l’attestation officielle de responsabilité de l’enfant continue à être exigée : plusieurs familles témoignent du temps qu’il faut à Mayotte pour obtenir du juge ce document d’autorité parentale et plusieurs années peuvent se passer avant son obtention ; l’enfant qui avait 6 ans en a alors 8 ou 9 et est déclaré non scolarisable compte tenu de son niveau !
Ce rapport confirme l’existence d’un examen de passage pour entrer au lycée : « Poursuivre ses études au collège puis au lycée n’est pas une évidence pour tous les jeunes mahorais : échec à l’examen de passage, retard scolaire, etc. »
Il nous apprend que Mayotte a institué la « rotation » pour faire face à la demande de scolarisation : « L’île possède de très grands complexes scolaires. Malgré cela et une politique forte de construction, il y a « moins de salles que de classes ». La moitié des écoles ont recours à la rotation : les élèves ont cours le matin, ou l’après-midi, à tour de rôle. Les rythmes ne sont donc pas adaptés aux besoins des enfants. »
Ce rapport aborde aussi la question des langues :
« Relever le défi du multilinguisme »
« Les Mahorais parlent le shimaoré, le shibushi, langues majoritaires […]. Or le français est la langue d’enseignement. Apprendre dans une autre langue que sa langue maternelle est difficile. De plus, l’illettrisme en français est fort dans la population adulte, car trois personnes sur 10 n’ont jamais été à l’école. »
Les manques et oublis de ces rapports :
Solidarité laïque n’a pas lu le rapport de l’Insee[7] qui dit que ces enfants sont majoritairement nés à Mayotte et ne viennent pas des îles voisines où leurs parents sont été expulsés en leur déniant leur droit à la régularisation ou à la nationalité auxquels ils étaient éligibles très souvent. Mais l’absence de recours suspensif contre les expulsions est la principale cause de l’isolement de ces enfants.
« Près de quatre étrangers sur dix sont des mineurs, nés à Mayotte, qui pourront accéder à la nationalité française à leur majorité ».
Selon cette étude « Mayotte [est] le plus jeune département de France où une personne sur deux a moins de 17 ans »alors que la proportion d’étrangers diminue, et, bien que Mayotte compte 40% d’étrangers comoriens majoritairement, le solde migratoire est positif compte tenu du départ de très nombreux jeunes mahorais.
Il reste aussi que Mayotte est le seul département d’outre-mer où les langues maternelles des enfants sont interdites à l’école.
Mayotte en dehors du droit pour l’éducation et la santé : un exemple à étendre pour nos gouvernants dans les années qui viennent ?
[1] La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a disparu au profit de liInstituition du Défenseur des droits en 2011 et l’archivage des rapports antérieurs n’est pas fait. http://web.archive.org/web/20100708002151/http://www.halde.fr/-Deliberations-.html
[2] http://www.migrantsoutremer.org/Exclusions-de-l-acces-a-l
[3] http://www.migrantsoutremer.org/Mayotte-l-acces-aux-soins-et-la
[4] http://www.defenseurdesdroits.fr/decisions/ddd/MDE-2013-87.pdf
[5] http://www.migrantsoutremer.org/Les-mineurs-isoles-a-Mayotte-en
[6] http://www.migrantsoutremer.org/Bilan-du-dispositif-Accompagnement
[7] http://www.migrantsoutremer.org/Mayotte-departement-le-plus-jeune