Par la Plateforme pour les Desc
En 2008, lors de l’examen de la France sur la mise en œuvre du Pidesc, le Comité Desc a adressé à la France quatre recommandations[1] concernent particulièrement les peuples autochtones et groupes minoritaires d’outre-mer : la recommandation 48 sur l’analyse de l’origine des suicides ; la recommandation 49 sur les disparités en matières de réussite scolaire ; la recommandation 50 sur le principe d’égalité devant la loi et la non-discrimination ; et, la recommandation 51 sur la nécessité de préserver et promouvoir les langues en tant que patrimoines culturels, régionaux et minoritaires.
Dans son 4e rapport l’Etat consacre un grand nombre de pages à y répondre en justifiant sa politique vis-à-vis des peuples autochtones en outre-mer. Il reconnait notamment leur existence et les nomme : « Les populations françaises autochtones vivent outre-mer c’est-à-dire en Amérique du Sud (Guyane), en Océanie (Nouvelle-Calédonie, Polynésie Française et Wallis et Futuna) et dans l’Océan Indien (Mayotte). Alors qu’en Guyane, les Amérindiens ne représentent que 5% de la population et qu’en Nouvelle-Calédonie, les Kanak représentent un peu moins de 50 % de la population, à Wallis et Futuna, à Mayotte et en Polynésie française les populations autochtones sont toujours majoritaires dans la population locale »[2].
Cependant, on y note un oubli : celui des populations marron de Guyane que la cour interaméricaine des droits de l’Homme reconnait pourtant comme autochtones, dans son arrêt rendu en 2007 puis en aout 2008 contre le Surinam[3].
On notera aussi que la majorité de la population de Mayotte est considérée par la France comme autochtone alors que c’est à cette population-là que sont déniées dans le nouveau statut de département un grand nombre de droits, concernant l’accès à une identité, à la santé et à l’éducation et concernant le droit coutumier.
Par ailleurs, si en Guyane les « Marrons » ou « Bushinengue » – populations issues de descendants d’esclaves qui ont obtenu leur liberté par des traités dès 1760 – sont bien associées aux rares programmes officiels en faveur des populations autochtones (ils sont représentés au conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengué , constitué par le décret n° 2008-562 du 17 juin 2008 et cité par la France dans son rapport) ; le rapport ignore leur participation prenante au programme des Intervenants en langue maternelle.
Enfin, une erreur grossière fait affirmer à la France que dans son rapport que les populations qui vivent dans la forêt guyanaise sont « essentiellement des Amérindiens » ignorant que les populations bushinengue y sont dix fois plus nombreuses[4]. Ils sont reconnus comme tels par l’association internationale GITPA[5].
Des droits culturels et économiques non reconnus dans la pratique
Contrairement à qu’elle écrit dans son rapport, sur le Parc Amazonien de Guyane « [sa création…] permet aux populations autochtones de maintenir et de valoriser leurs cultures sous leurs aspects matériels et immatériels tout en préservant les ressources naturelles qu’ils exploitent, dans le cadre d’une démarche participative en associant les autorités coutumières à la gestion du territoire »[6], la France n’honore pas ses engagements dans l’outre-mer en particulier à Mayotte et en Guyane.
L’avis rendu en 2012 par le Conseil consultatif des populations amérindiennes et Bushinengué de Guyane sur la charte du Parc national de Guyane[7] apporte un cinglant démenti. Il y est à nouveau rappelé que ce conseil est sans aucun moyen et dans l’incapacité de réaliser la moindre de ses missions. Il a rendu un avis défavorable sur le projet de charte du Parc suite à une insuffisance de reconnaissance des autorités coutumières, à une absence de garantie sur les intérêts des communautés vivant en dehors des limites de la zone cœur du Parc qui leur ont été imposées, alors qu’elles y ont leurs territoires ancestraux, et en ce qui concerne le « partage, la gestion et l’usufruit des différentes zones »[8] en contradiction avec l’article 8j de la Convention sur la diversité biologique que la France a signée .
Ce conseil consultatif réclame une « intégration dans la charte d’une terminologie correspondant aux pratiques culturelles des populations »[9] et une reconnaissance de la « légitimité des Autorités coutumières » ce qui n’est actuellement pas le cas. La France ne saurait donc se contenter de se justifier en revendiquant dans son rapport la création de ce conseil consultatif mis en place en juin 2010.
Par ailleurs, les règlements qui gèrent la vie des peuples autochtones leur sont majoritairement imposés sans que jamais leurs consentements soient recherchés et que les moyens leur soient donnés pour exprimer leur avis. S’en suit une grande détresse des populations amérindiennes du Haut Maroni entrainant une proportion de suicides plus de dix fois supérieures à la moyenne nationale.
Une sécurité des populations non-garantie : orpaillage illégal et empoisonnement au mercure
Les Amérindiens du Haut Maroni, Wayanas, Tekos et Apalai subissent de plein fouet les conséquences de l’échec de la lutte contre l’orpaillage illégal sur leur territoire. Les opérations militaires se soldent par des échecs et la sécurité n’est pas assurée de façon pérenne. Ils subissent de nombreux vols et n’ont plus accès à leurs territoires de chasse et à leurs cultures fruitières et légumières. Les cours d’eau sont si pollués au mercure que les poissons qui constituent leur principal apport de protéine et leur nourriture traditionnelle les empoisonnent systématiquement : les derniers rapports montrent que cette contamination se maintient à des taux élevés bien supérieurs aux recommandations de l’OMS. Les solutions préconisées de renoncer à leur alimentation traditionnelle vont également dans le sens d’une destruction de leur culture.
Les associations ADER, solidarité Guyane et GITPA ont publié en 2014 un rapport sur les peuples autochtones de Guyane[10] où il est mentionné :
« La Guyane est gangrénée par l’orpaillage illégal et les principales victimes sont les peuples autochtones Wayana, Teko et Wayapi des régions du Haut‐Maroni et du Haut‐Oyapock. Les zones de subsistance de ces populations sont gravement polluées par le mercure issu de l’activité des orpailleurs (même au sein du Parc Amazonien de Guyane). Les autorités ont officiellement recensé sur le territoire guyanais 771 sites illégaux (et plus de 12 000 travailleurs clandestins, très majoritairement brésiliens).
Depuis 2004, l’ONG Solidarité Guyane effectue des prélèvements dans les villages amérindiens Wayana du Haut‐Maroni pour déterminer leur niveau d’intoxication par le mercure. Les dernières analyses de novembre 2013 ont atteint des niveaux jamais vus antérieurement. Le taux moyen de mercure des adultes du village de Cayodé est de14, 49 μg/g de cheveu (soit trois fois le nouveau seuil maxi de l’OMS devant être abaissé à 5,5 μg/g). Ces populations sont en risque majeur et les enfants sont les plus touchés. Bon nombre d’entre eux auront leur développement (physique et cognitif) irrémédiablement altéré. A ces problèmes de santé viennent s’ajouter des problèmes de sécurité (menaces de mort régulières par les orpailleurs), le pillage des abattis, la disparition du gibier et la raréfaction du poisson. Les associations « Organisation des Nations Autochtones de Guyane » (ONAG) et « Solidarité Guyane » (ASG) ont, par l’intermédiaire de leur avocat conseil Maître William Bourdon, adressé le 10/12/2013 un courrier au Préfet de Guyane ayant pour objet un ‘Recours préalable à une action en responsabilité contre l’Etat français du fait de la carence fautive de l’administration’ face aux multiples préjudices subis par les populations amérindiennes du bassin du Maroni victimes de la pollution résultant de l’activité d’orpaillage ».
Un manque de reconnaissances et de valorisation des langues régionales
Si le rapport du gouvernement dans l’article 1-II reconnait l’existence « de 75 langues régionales dont « environ 50 langues le sont en outre-mer » suite à la réforme constitutionnelle de 2008 dans l’article 75-1 « les langues régionales font partie du patrimoine de la France » dans l’article 15-1.4.2, les problématiquesliées à l’outre-mer y sont mal appréhendées. S’il détaille l’enseignement des langues régionales et des langues d’origine dans les régions et territoires d’outre-mer, il donne pour la Guyane un renseignement incomplet puisque le dispositif des « médiateurs bilingues » devenus depuis 2001 « intervenants en langue maternelle » concerne aussi les langues Bushinengue.
La diversité de statuts des territoires d’outre-mer a entrainé par ailleurs une diversité des modes de présence des langues régionales. Le dispositif d’intervenants en langue maternelle (ILM) – qui vise à accueillir dans leur langue maternelle des enfants, français ou non, non francophones, aux débuts de leur scolarisation – n’est mis en place qu’en Guyane. L’enseignement des langues dites régionales ne concerne que le créole, les langues tahitiennes, mélanésiennes.
Une organisation de l’éducation maltraitante
Bien que le Comité Desc ait recommandé à la France en 2008 « d’adopter toutes les mesures voulues pour réduire les importantes disparités en matière de réussite scolaire entre les élèves français et ceux qui appartiennent à des minorités raciales, ethniques ou nationales, notamment en étoffant l’offre de cours de langue française pour les élèves qui n’ont pas les compétences linguistiques suffisantes en français et en évitant la surreprésentation des élèves issus de minorités dans les classes pour élèves en difficulté »[11], l’échec scolaire et la déscolarisation continuent à être massifs chez les populations autochtones et est la première cause de leur détresse. Dans une requête au défenseur des droits de juin 2011, à laquelle aucune réponse n’a été apportée[12], des associations signalent que, notamment en Guyane, les modes de scolarisation des enfants autochtones éloignés des établissements ne leur permettent pas de réussir :obligation de quitter dès 11 ans son village pour aller en collège et lycée en internat ou en famille d’accueil mal préparée.
Par ailleurs, l’observatoire de la non-scolarisation recense en juin 2010, plus de 3 000 enfants non scolarisés (plus de 10 % en primaire et plus de 15% en maternelle) alors que le rectorat de Cayenne compte 26 454 élèves. En dépit de certaines avancées (création de l’Observatoire de la non-scolarisation) des freins subsistent : désintérêt de certaines collectivités locales qui refusent de construire des écoles de proximité, imposant des temps de transport énormes ; recensement incomplet des non scolarisés ; non-respect de la loi pour inscrire les élèves ; scolarisation incomplète ou en pointillé ; et, départ prématuré des jeunes sans formation.
Un taux de suicide inquiétant
En 2013, l’association Actions pour le développement, l’éducation et la recherche (Ader), a mis en évidence qu’entre 2009 et 2013, il y a eu 2,6 suicides et 8,6 tentatives de suicide par an en milieu amérindien sur le Haut Maroni pour une population d’environ 1 200 habitants. Le taux de suicide sur le Haut Maroni est donc 13 fois supérieur à celui de la France.
Les hommes sont les plus touchés par le suicide et les femmes par les tentatives de suicide. Autre particularité épidémiologique, les comportements suicidaires touchent pour plus de la moitié les jeunes de moins 25 ans. Enfin, selon Ader, « les modes létaux les plus utilisés sont l’arme à feu et la corde. L’insécurité (l’orpaillage), la pollution des fleuves (le mercure), la sédentarisation, le système éducatif peu adapté, les addictions, le fossé intergénérationnel, la difficulté de l’accès aux soins constituent le terreau dans lequel émergent les comportements suicidaires auxquels sont confrontés, comme tant d’autres peuples autochtones, les habitants du Haut Maroni ».[13]
[1] Comité Desc, Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte, E/C.12/FRA/CO/3, 2008.
[2] 4e rapport sur la mise en œuvre du Pidesc, France, 2013 Para. 1.
[3] Richard Price « Peuple saramaka contre Etat du Suriname », IRD Karthala Ciresc, 2012 p. 211.
[4]Price Insee recensement des populations vivant sur les fleuves de Guyane.
[5] GITPA, Monde autochtones, www.gitpa.org/PeupleFrame.htm.
[6] Rapport sur la mise en œuvre du Pidesc, France, 2013
[7] Ministère des Outre-mer, France, www.documentation.outre-mer.gouv.fr/Record.htm?idlist=84&record=19123984124919411669
[8] Ibid.
[9] Ibid., p. 5.
[10]Havard Jean Pierre, Kulesza Patric, Merlet Rachel, Guyane Françase, 2014.
[11] Codesc, Examen des rapports présentés par les Etats parties, E/C.12/FRA/CO/3, France, 2008, recommandation 49.
[12] Migrants outre-mer, « Dénis du droit à l’école pour les enfants en Guyane », juin 2011
[13] Ibid.