Le 4 octobre prochain se tiendra une nouvelle consultation sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
La Nouvelle-Calédonie a beaucoup changé depuis 1988 et la célèbre première poignée de mains entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur dans le jardin de l’hôtel Matignon en présence du Premier ministre Michel Rocard. Trente ans de paix ont permis des avancées significatives de la situation du peuple Kanak, comme de celle des descendants des autres communautés caractérisées comme « victimes de l’histoire » aux entretiens de Nainville-les-Roches de 1983. Plus de 1500 cadres, aux deux tiers Kanak et descendants des victimes de l’histoire aux origines diverses (bagne, déportés politiques, travailleurs « tonkinois », autrement dit originaires du Vietnam, Javanais, Arabes, Japonais…) pour le troisième tiers, ont bénéficié de formations professionnelles de haut niveau et se sont insérés et investis dans des responsabilités institutionnelles, administratives, industrielles, commerciales diverses pour servir leur pays dans son difficile combat pour accéder à la souveraineté, qui reste un objectif incontournable. De même, l’accès à l’éducation et à l’enseignement est aujourd’hui universel pour tout jeune entre 3 et 16, voire 18 ans, avec un réseau dense de collèges et de lycées publics sur l’ensemble de la Grande terre et aux îles Loyauté, tandis qu’une université de plein exercice, ouverte en 1999 avec une antenne inaugurée ces derniers mois en province Nord, permet un large accès de proximité aux études supérieures sur place.
Même si beaucoup reste à faire, le rééquilibrage politique est une réalité incontestable : depuis 1989, les Kanak exercent majoritairement les responsabilités avec d’autres Calédoniens à la tête de deux des trois provinces volontairement conçues comme des collectivités aux compétences générales, et cette formulation signifie qu’elles les exercent toutes à l’exception de celles que des mesures légales prises démocratiquement ont maintenu ou transféré à d’autres institutions, communes ou gouvernement local.
Fait unique, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie rassemble onze membres à la tête de départements ministériels importants et les diverses forces politiques disposant d’élus-es au Congrès y sont représentées. Le Sénat coutumier, exprimant la « Coutume » pour le compte des 8 « aires coutumières », pays Kanak, districts, chefferies, tribus et clans a vu ses compétences élargies.
La revendication principale de restitution aux Kanak des terres dont ils avaient été spoliés, longtemps ignorée, est aujourd’hui satisfaite à 90 ou 95 % même si diverses incertitudes retardent encore les dernières mesures qui seront prises alors même que l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (Adraf) ne relève d’ailleurs plus de l’Etat aujourd’hui mais du gouvernement local.
Néanmoins, le rééquilibrage économique, largement illustré par l’emblématique « usine du Nord » qui a entraîné aussi la création de milliers d’emplois directs et indirects en province Nord, de même que le rééquilibrage « social » qui mettra fin à des disparités de revenus et à des situations très contrastées sont loin d’être achevés. Ainsi sont crûment et cruellement exprimées les difficultés du processus volontaire d’une décolonisation originale et pacifique voulue par les signataires des accords Matignon en 1988 et ceux de l’accord de Nouméa en 1998.
Ces disparités se sont même aggravées dans divers domaines, celui du logement entre autres étant le plus visible avec les « squats » ceinturant l’agglomération nouméenne qui à certains égards font penser aux bidonvilles de la banlieue parisienne des années cinquante.
La décolonisation reste un processus inachevé en dépit d’avancées majeures.
La consultation électorale de novembre 2018 s’était déroulée dans le calme. Alors que la campagne officielle pour la (deuxième) consultation électorale du 4 octobre bat son plein, la cristallisation des positions entre les deux blocs indépendantiste et « loyaliste » (selon le terme que se donnent les Calédoniens attachés au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France) est extrême, entraînant un climat délétère et la réapparition de discours haineux, parfois même racistes, que les citoyens calédoniens pensaient ne plus jamais entendre, avec la construction méthodique et patiente du « destin commun » entreprise depuis plus de trente ans. Dans les deux camps, des discours extrémistes tendent à chauffer à blanc la population et la crainte de troubles graves est palpable au sein de celle-ci en dépit de quelques signaux qui permettent d’espérer que la raison prévaudra et que le calme sera restauré sans violences physiques.
Quel que soit le verdict des urnes au soir du 4 octobre, que le « OUI » à la pleine souveraineté conduisant à l’indépendance ou que le « NON » l’emporte, et pour sortir par le haut d’une situation devenue explosive, nous considérons que l’urgence absolue est le rétablissement du dialogue entre les deux blocs et leurs composantes.
A cet égard, outre les dépôts de plaintes systématiques lorsque des provocations racistes avérées ont été commises ainsi que les positions développées par rapport à la crise sanitaire mondiale actuelle, qui à ce jour épargne encore la Nouvelle-Calédonie, les interventions de la Ligue des droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie visent la promotion d’un vivre-ensemble démocratique, réfléchi, concerté, respectueux des personnes, de leurs droits et libertés. L’enjeu central aujourd’hui est aussi le combat contre les inégalités sociales.
Au soir du 4 octobre, il ne doit y avoir ni vainqueurs ni vaincus mais des citoyennes et citoyens responsables qui devront à nouveau s’asseoir ensemble autour de la même table, arrêter une guerre des postures lourde de dérapages gravissimes, juguler des inégalités criantes.
Construire une société plus juste dans une perspective maintenue de décolonisation qui reste à parachever dans un dialogue constructif renouvelé est plus que jamais indispensable. Du choix exprimé, dépendront les rythmes et modalités d’une évolution inéluctable. Nos deux Ligues veilleront dans ce processus au maintien d’acquis durement consolidés dont trente ans de paix.
Le 1er octobre 2020