Tribune commune signée par Patrick Baudouin, président d’honneur de la LDH et de la FIDH
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Alors que trois prisonniers de conscience viennent d’être condamnés à la peine capitale par les mollahs, un collectif d’avocats et de présidents de fondations alerte sur l’absence de réaction de la France, qui poursuit ses relations diplomatiques avec le régime au mépris des principes républicains et de nos engagements internationaux pour les droits humains.
La nouvelle est tombée, glaciale, la semaine dernière, à quelques jours d’intervalle : trois condamnations à mort prononcées par les mollahs. Trois prisonniers de conscience. Behrouz Ehsani, Mehdi Hassani, et Mohammad Javad Vafaï. Aucune mention dans nos médias. Sommes-nous devenus insensibles aux horreurs qui nous entourent ? Impuissants face à tant de crimes qui défilent sous nos yeux ? Trop absorbés par nos préoccupations locales pour devenir indifférents au sort des autres nations ?
Le peuple iranien ne s’est pas laissé intimider
Notre monde, paradoxalement, se referme sur lui-même à l’heure où la cybernétique nous rapproche. Nos destins sont pourtant liés. Avons-nous déjà oublié combien le peuple iranien nous a bouleversés lors du soulèvement de 2022, après la mort tragique de Jina Mahsa Amini ? La litanie des morts ne s’est pas arrêtée là : 750 jeunes et enfants ont été tués dans les rues pour avoir manifesté. Depuis, les exécutions se multiplient dans l’indifférence quasi complice de nos médias et de nos gouvernements.
Devant tant d’horreur, nous désespérons. Devant tant de cruauté, nous nous sentons impuissants. Peut-être avons-nous cru que le soulèvement inachevé de 2022, maté dans le sang, et qui n’a pas renversé les mollahs, justifiait notre désintérêt. Mais le peuple iranien ne s’est pas laissé intimider. Chaque mardi, des prisonnières et des prisonniers en Iran entament des grèves de la faim pour exiger la fin des exécutions. Ce mouvement connu sous le nom des Mardis contre les exécutions prend de l’ampleur, et dans les prisons comme sur les murs des villes, le slogan évolue dans le pays, de «Femme, Vie, Liberté» vers «Femme, Résistance, Liberté».
Ces tortures ont été perpétrées avec une intention génocidaire
Le message que ces courageux Iraniens et Iraniennes nous envoient est clair : pour atteindre la vie et la liberté, la femme doit tracer son chemin par la résistance, épaulée par l’homme qui s’insurge contre l’oppression des mollahs. Alors que le président de ces derniers, Massoud Pezeshkian, s’est rend au siège de l’ONU à New York où il s’est entretenu avec le président français, ces prisonniers ne sont pas dupes et crient chaque mardi : «Réformateurs, conservateurs, votre jeu est terminé.» Un message qui nous est également adressé : ne soyons pas trompés par ce jeu de dupes orchestré par les obscurantistes qui gouvernent l’Iran.
Depuis l’arrivée de Pezeshkian, soi-disant «modéré», au moins 255 personnes ont été exécutées. Les crimes de ce régime demeurent impunis depuis trop longtemps. Le dernier rapport de l’ONU, daté de juillet 2024 et présenté par le professeur Javaid Rehman, ancien rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran, dénonce des décennies de «crimes d’atrocités» : crimes contre l’humanité, génocides, exécutions sommaires, arbitraires et extrajudiciaires de milliers d’opposants politiques emprisonnés.
L’auteur du rapport exhorte les Etats à exercer leur compétence universelle et extraterritoriale concernant les crimes de droit international commis en Iran, notamment durant les années 80 (entre 1981 et 1988). Selon ce rapport, il existe des preuves accablantes que les massacres, tortures et autres actes inhumains commis contre des opposants en particulier les membres des moudjahidin du peuple (Ompi) ont été perpétrés avec une intention génocidaire.
Nous devons montrer que nous refusons d’être des complices
Ces crimes continuent en toute impunité. Les médias et les gouvernements en Occident et partout ailleurs dans le monde, ont la responsabilité de ne pas passer sous silence les récentes condamnations à mort de Mohammad Javad Vafaï, 29 ans, champion de boxe, Mehdi Hassani, 48 ans, et Behrouz Ehsani, 69 ans, arrêtés pour leur participation au soulèvement et leur appartenance à l’Ompi, considérés par le régime comme des «apostats» ou des «monafeghin» («hypocrites»). Le pouvoir judiciaire de mollahs poursuit ses crimes en jugeant sept autres militants accusés d’appartenir également aux unités de résistance. Eux aussi risquent la mort.
Nous devons mobiliser toutes nos forces pour empêcher ces exécutions et montrer que nous refusons d’être complices des souffrances infligées au peuple iranien. Par ces condamnations à mort, le fascisme religieux au pouvoir en Iran cherche désespérément à instaurer un climat de terreur pour empêcher le prochain soulèvement qu’il craint profondément, en étouffant la colère populaire et les protestations sociales.
Notre silence, tout comme la poursuite des relations diplomatiques avec ce régime d’exécutions, en fermant nos yeux à cette tragédie iranienne, trahissent nos principes républicains et contredisent nos engagements internationaux pour les droits humains. Ces relations doivent être subordonnées à l’arrêt des exécutions en Iran.
Signataires : Dominique Attias, présidente du conseil d’administration de la Fondation des avocats européens ; Patrick Baudouin, avocat et président d’honneur de la LDH et de la FIDH ; William Bourdon, avocat, président fondateur de l’association Sherpa ; Jean-François Legaret, président de la Fondation d’études pour le Moyen-Orient (Femo) ; Jean-Pierre Mignard, avocat et essayiste ; Gilbert Mitterrand, président de la Fondation Danielle-Mitterrand France-Libertés.