12 mars 2020 – Tribune, dont la LDH est signataire, « Contre la dérive autoritaire en Inde « , publiée sur Mediapart

Tribune collective, dont la LDH est signataire

Alors que l’Union Européenne et l’Inde souhaitent renforcer leurs relations bilatérales, en particulier sur le plan économique, sécuritaire et environnemental, des organisations de la société civile, font part de leurs vives inquiétudes face aux régressions démocratiques et aux violences en cours en Inde. Ils appellent le gouvernement Français à s’exprimer fermement contre ces dérives.

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Cette tribune est le fruit d’un constat partagé et d’une préoccupation collective de nombreux acteurs de la société civile en France : mouvements sociaux, organisations de défense des droits humains, syndicats, organisations de solidarité internationale. Certaines de ces organisations sont néanmoins contraintes de demeurer anonymes et ne peuvent apposer leur signature car cette dernière risquerait de mettre en danger leurs partenaires indiens.

Alors que l’Union Européenne et l’Inde souhaitent renforcer leurs relations bilatérales1, en particulier sur le plan économique, sécuritaire et environnemental à travers la prochaine adoption de leur agenda conjoint de coopération 2020-2025, nous, organisations de la société civile, faisons part de nos vives inquiétudes face aux régressions démocratiques et aux violences en cours en Inde et appelons la France, « amie » et alliée « de confiance » 2 de l’Inde à s’exprimer fermement contre ces dérives.

La relation privilégiée et les liens forts entre l’Inde et l’Union Européenne, sont fondés, selon cette dernière, sur des valeurs communes, aux premiers rangs desquelles un « engagement mutuel en faveur de la démocratie, de l’état de droit et des droits humains »3. — Or, depuis l’accession au pouvoir du BJP, un parti nationaliste hindou, en 2014, la situation des droits humains indienne ne cesse de se détériorer.

En effet, la répression et la violence d’État subies par la société civile, les journalistes, les avocat·e·s ou les syndicalistes ne cesse de croître et se traduit de différentes façons : arrestations et intimidations de militant·e·s, « cas fabriqués » contre des leaders communautaires ou des défenseurs des droits, assassinats de journalistes, traque des ONG critiques, multiplication des accusations de « sédition » et imposition d’un langage et d’un récit stigmatisant, marquant la volonté d’isoler ces forces citoyennes du reste de la nation en les accusant d’être des « traîtres à la partie » ou autres « agents de l’étranger ».

En outre, les attaques contre les législations progressistes obtenues de haute lutte se multiplient, avec la dérégulation des lois de protection des travailleurs, de l’environnement et des communautés marginalisées et historiquement opprimées (dalits, adivasis, minorités religieuses, etc.).

L’Inde ne cesse de régresser dans tous les classements internationaux, quel que soit l’enjeu retenu : 140ème au Classement mondial de la liberté de la presse dev2019, 177ème selon l’Indice de Performance Environnementale de 2018, 129ème selon l’Indice de Développement Humain du PNUD de 2019, 141ème selon l’Indice Global sur la Paix (Global Peace Index) de 2019, etc.

La prise de contrôle des institutions publiques et des contre-pouvoirs (universités, justice, médias) ainsi que les dérives autoritaires du régime nous interpellent, en particulier au moment où des pans entiers de la population indienne, notamment les musulmans, sont mis au ban de la société et sont menacés. La presse française s’est d’ailleurs largement fait écho de cette situation critique, explosive, et du spectre ethno-nationaliste qui plane sur la « plus grande démocratie du monde »4.

« Suivre la situation de très près » ne suffit plus, arguer que ces questions relèvent de la politique intérieure et de la souveraineté nationale indiennes ne tient plus, se cacher derrière la Constitution indienne, qui n’est plus respectée, et des institutions démocratiques prétendument solides ne peut plus nous satisfaire. « Rappeler son attachement au respect des libertés individuelles, dont la liberté de conscience, ainsi que sa condamnation de tout discours de haine contre les minorités5 » est un devoir de la France qui doit mettre en adéquation ses paroles et ses actes. Les intérêts économiques et géopolitiques de la France ne sauraient justifier cette attitude consistant à vanter les mérites du Premier Ministre Narendra Modi et à s’afficher comme un allié privilégié du régime au niveau international.

Nous appelons ainsi le Président de la République Emmanuel Macron et le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian à faire preuve de responsabilité et de cohérence en dénonçant publiquement les violations des droits, les violences contre les minorités marginalisées et les discriminations dangereuses qui détruisent progressivement les valeurs séculaires et démocratiques sur lesquelles l’Inde a été fondée.

Nous réitérons également notre solidarité avec les citoyens et citoyennes, les organisations de la société civile et les militant.es indien.nes qui prennent des risques importants pour défendre les droits humains, les libertés fondamentales et la Constitution indienne. Car ne l’oublions pas, ils et elles sont le véritable souffle démocratique de l’Inde.


Signataires :

Amnesty international France ; Attac – Association pour la taxation des transactions financières et pour l’aide aux citoyens ; Cedetim – Centre d’Études et d’Initiatives de Solidarité Internationale ; CFDT – Confédération française démocratique du travail ; CGT – Confédération générale du travail ; Crid ; FIDH – Fédération internationale pour les droits humains ; FSU – Fédération syndicale unitaire ; LDH – Ligue des droits de l’Homme ; RSF – Reporters sans frontières ; Sherpa ; Solidaires ; SOS Africaines en danger ; Survival International France

Paris, le 3 février 2020

1) Un sommet Union Européenne – Inde devait se tenir les 13 et 14 mars 2020 à Bruxelles, en présence du Premier Ministre Narendra Modi et des chefs d’Etat européens. Ce sommet a été annulé et repoussé à une date ultérieure jusqu’à présent inconnue.


2) https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/inde/relations-bilaterales/


3) https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/73679/india-speech-behalf-hrvp-josep-borrell-european-parliament-india%E2%80%99s- citizenship-amendment-act_en

4) Notamment. Articles de Laure Siegel dans Mediapart du 27 février 2020, « A Delhi, les ultranationalistes hindous mettent des quartiers musulmans à feu et à sang » et du 27 décembre 2019 « L’Inde s’enflamme contre de nouvelles lois qui limitent l’accès à la citoyenneté »

Reportage de Sébastien Farcis dans Libération du 6 février 2020, « Inde : dans les écoles hindouistes de la haine de l’autre » et article du 27 février 2020 « A l’origine des violences, un nationalisme hindou d’Etat »


Editoriaux Le Monde « Menaces sur la laïcité indienne » du 17 décembre 2019 et « L’explosive mise au ban des musulmans d’Inde » du 27 février 2020

Articles de Lina Sankari dans l’Humanité du 5 février 2020 « Inde. Une école militaire pour fascistes en herbe » et du 2 mars 2020 « Inde. À New Delhi, un pogrom anti-musulmans ».

5) http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-25296QE.htm

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