Tribune signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
Le regard porté sur l’année qui s’écoule n’est guère réjouissant. A l’échelle internationale, la guerre se poursuit en Ukraine avec son lot d’atrocités et un soutien affaibli à la résistance contre l’envahisseur russe. La déflagration liée à la résurgence d’un conflit israélo-palestinien qui bascule dans l’horreur a des conséquences dévastatrices, non seulement pour les populations civiles victimes de massacres et destructions relevant de crimes contre l’humanité, mais aussi dans le monde entier tant se trouvent attisées de multiples tensions entre pays ou communautés, avec montée en puissance de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Bien d’autres situations dramatiques ne doivent pas davantage être oubliées : épuration ethnique des Arméniens au Haut-Karabakh, sort réservé aux minorités et aux opposants en Birmanie qui replonge dans une guerre civile, reprise des combats au Darfour, en Somalie ou en Ethiopie, poursuite des guérillas meurtrières au Congo, sans omettre les violations massives des droits et libertés en Chine, en Iran, dans les trois pays du Maghreb et ailleurs. Il s’y ajoute l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite dans plusieurs pays, y compris européens, comme l’Italie ou les Pays-Bas, avec comme exemple extrême l’élection de Milei, l’homme à la tronçonneuse, en Argentine.
La France ne fait pas tout à fait exception dans ce panorama angoissant. Le début de l’année 2023 a été marqué par la crise sociale liée à la réforme des retraites adoptée le 17 mars avec recours à l’article 49-3 de la Constitution, malgré une mobilisation forte et unitaire. Les manifestations consécutives ont donné lieu à de très nombreuses dérives policières avec multiplication des interpellations abusives, utilisation d’armes de guerre, emploi d’unités de police agressives telle que la BRAV-M. C’est la dénonciation légitime des réactions disproportionnées des forces de l’ordre, notamment à Sainte-Soline, qui a valu à la LDH les foudres successives du ministre de l’Intérieur, puis de la Première ministre, avec menace voilée de suppression des subventions. Après le meurtre du jeune Nahel et les violences urbaines engendrées, le pouvoir a continué de s’en prendre à la liberté de manifester, multipliant les arrêtés d’interdiction dont la plupart ont pu être contestés avec succès par la LDH devant la juridiction administrative. Une autre liberté fondamentale, celle d’association, est également soumise à rude épreuve. Il s’agit d’abord d’une multiplication inquiétante des mesures de dissolution administrative, même si un succès relatif a pu être obtenu devant le Conseil d’Etat qui a annulé, par arrêt du 9 novembre 2023, le décret de dissolution des Soulèvements de la terre. Ensuite, c’est la remise en cause de l’octroi des subventions publiques aux associations contraintes de souscrire un contrat d’engagement républicain dont la validité a été entérinée par une décision du Conseil d’Etat du 30 juin 2023 en dépit des recours déposés par plusieurs associations dont la LDH. La liberté d’expression est elle aussi menacée sous de multiples formes, allant de la concentration des organes de presse entre les mains de quelques groupes financiers aux interdictions de spectacles ou réunions sous prétexte de risque d’atteinte à l’ordre public, et en réalité pour des motifs purement idéologiques.
L’année 2023 se trouve aussi caractérisée par de nombreuses régressions sur le terrain social : outre la loi sur les retraites, on relèvera la diminution des droits des chômeurs, les atteintes au droit du travail, la multiplication des emplois précaires, les poursuites contre des dirigeants syndicaux, le tout dans un contexte de perte de pouvoir d’achat, de précarisation, et d’inégalités de ressources abyssales. Cette injustice sociale croissante suscite mécontentement, voire révolte, qu’accroît le sentiment d’une incapacité de la classe politique à prendre les mesures correctives nécessaires. Ce rejet des pouvoirs successifs profite à l’extrême droite qui utilise une crise profonde de la démocratie pour tenter d’apparaître, de façon aussi paradoxale que démagogique, comme le recours pour y remédier. Cette mouvance surfe également sur une augmentation prétendue de l’insécurité en pratiquant un amalgame odieux entre délinquance et immigration, comme l’a démontré à nouveau l’hystérisation du débat après la mort du jeune Thomas. Le projet de loi immigration maintenu à tout prix par le gouvernement n’a fait qu’envenimer ce climat délétère. Sa reprise de plusieurs des idées de la droite extrême pour une remise en cause sans précédent des droits des étrangers n’est au surplus pas de nature à empêcher la validation du principe selon lequel l’original est toujours préféré à la copie.
Si le bilan de l’année s’avère largement négatif, il contient néanmoins quelques sources d’espoir. Sur le plan international, la résistance à la montée de l’extrême droite a permis son échec aux élections en Espagne et en Pologne. Pour le conflit israélo-palestinien, le degré insoutenable de violences a entamé le réveil, certes timide, d’une communauté internationale qui s’était accommodée du statu quo, et a démontré la nécessité de restaurer le rôle des institutions internationales comme l’Organisation des Nations unies dans la prévention et la solution des conflits. De même, après la Lybie et l’Ukraine, la lutte contre l’impunité bien qu’entravée est apparue indispensable, avec notamment la saisine de la Cour pénale internationale dont l’action doit être soutenue. Sur le plan intérieur commence à émerger la prise de conscience de l’impératif d’un sursaut qui passe à la fois par l’union de toutes les forces démocratiques – partis, syndicats, associations – et l’établissement d’un projet crédible basé sur la justice sociale et l’égalité des droits pour toutes et tous. C’est le sens de l’action que mène la LDH pour rassembler et fédérer au sein d’un collectif « Démocratie, droits et libertés », constitué autour de quatre objectifs : la préservation des libertés publiques fondamentales ; le respect des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux ; le rétablissement des services publics avec des mesures de sauvetage des territoires abandonnés ; et la lutte contre toutes les formes de discrimination. Pour mener ce combat difficile, la LDH pourra compter sur une augmentation importante et enthousiasmante de ses effectifs enrichis en 2023 de 4.000 membres supplémentaires.
Patrick Baudouin, président de la LDH