Tribune d’Arié Alimi, vice-président de la LDH
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Alors que les prisons françaises battent des records historiques de population carcérale, le pouvoir poursuit avec une surenchère de lois répressives. Un mouvement que rejoignent d’autres pays dirigés par l’extrême droite.
L’exploitation du désir de vengeance et de la volonté de punir mine la démocratie. Face à cela, il faut protéger la justice et le droit.
Laxisme judiciaire. Juges rouges. Avocats complices des criminels. Les bandeaux des chaînes d’information ou les manchettes de journaux (pas uniquement celles des médias du groupe Bolloré ou des bulletins d’extrême droite) relaient les accusations contre l’institution judiciaire et ses auxiliaires devenus, par un retournement idéologique, complices du crime. Poser la question revient déjà à imposer le narratif mettant la justice sur le banc des accusés. Pourtant, à rebours des sondages d’opinion, les statistiques de la criminalité ne permettent pas de penser à une augmentation telle qu’elle pourrait susciter une légitime inquiétude populaire.
Le taux d’homicide a été divisé par deux entre 1990 et 2015 et resterait stable depuis. On assiste néanmoins à une augmentation récente des tentatives d’homicide, des agressions graves et des violences sexuelles. Des variations qui doivent prendre en compte les modalités d’établissement des statistiques et surtout la violence économique et sociale qui influe sur les conditions de la criminalité. Mais surtout des variations sans commune mesure avec l’extrême sensibilité de l’opinion publique lors de faits divers, comme celui du meurtre de Lola en 2022 ou celui de la mort de Thomas dans le village de Crépol, en 2023. Des évolutions qui ne rendent pas intelligibles les accusations portées contre les avocats intervenant dans le domaine des narcotrafics ou du droit des étrangers. Certes, le désir de vengeance est aussi vieux que la structure sociale. La régulation de la violence vindicative s’est notamment inscrite à travers la ritualisation judiciaire censée mettre un terme au cycle de vengeance. C’est à travers le droit pénal, le jugement et la peine que l’État sanctionne les délits et les crimes. L’histoire et la philosophie de la peine sont celles de la punition, ce que l’on peut regretter, là où d’autres voies de réparation auraient pu être envisagées pour permettre aux victimes d’être considérées dans leur douleur. Aujourd’hui comme à d’autres époques troubles de l’histoire, la volonté de vengeance et de punir est manipulée idéologiquement et politiquement pour exacerber la colère populaire. À quelles fins ? Accroître l’adhésion aux thèses d’extrême droite identifiant l’immigration à la criminalité.
Effacer l’humanisme judiciaire, qui, à l’instar de la croyance fondamentale de Robert Badinter, fait primer la possibilité et le droit de tout être humain à devenir meilleur. Mais plus encore pour fragiliser les fondements mêmes de la justice et de l’État de droit, piliers des mécanismes démocratiques. Susciter et exacerber les plus bas instincts de nos sociétés pour ébranler l’édifice judiciaire et tenter de remplacer le droit et la justice par la loi du plus fort, la démocratie par l’autoritarisme ou la dictature. Cette lutte qui oppose deux visions de la société n’est pas nouvelle. Elle implique de protéger la justice et le droit, sans pour autant renoncer à critiquer ses dysfonctionnements et ses évolutions sécuritaires, signes précurseurs d’un affaiblissement démocratique.
Partager la publication "13 février 2025 – Tribune de Arié Alimi « Peut-on sortir du populisme pénal ? L’exploitation du désir de vengeance et de la volonté de punir mine la démocratie. Face à cela, il faut protéger la justice et le droit. » publié dans L’Humanité"