Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
Un collectif d’associations de défense des droits humains s’indigne, dans une tribune au Monde, du recours abusif par la France à l’enfermement administratif des enfants, en violation des conventions internationales.
En 2021, la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour avoir enfermé pendant onze jours une mère et son bébé de quatre mois, au centre de rétention du Mesnil-Amelot, et pour leur avoir infligé un traitement inhumain et dégradant. Le 25 mai 2022, le gouvernement demandait au Conseil de l’Europe de clore le suivi de cette affaire estimant qu’aucune mesure générale n’était requise, refusant ainsi de modifier la loi.
Au même moment, 25 enfants étaient enfermés dans la zone d’attente de Roissy, 6 autres au Mesnil-Amelot. La plupart avaient moins de 13 ans. Depuis 2012 et la première des 9 condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’enfermement d’enfants en centre de rétention, au moins 33 786 enfants ont été placés en rétention (dont plus de 1 460 en métropole et l’immense majorité à Mayotte), auxquels il faut ajouter les centaines d’enfants maintenus aux frontières et les dizaines de mineurs isolés placés en rétention avant une décision définitive sur leur minorité en violation de la loi.
Tous sont enfermés pour de simples raisons administratives, en violation du droit international et du principe d’intérêt supérieur de l’enfant. Pire encore, cette pratique s’est poursuivie durant la pandémie, alors même que plusieurs foyers épidémiques ont été déclarés dans les lieux d’enfermement, où la promiscuité favorise la propagation du virus.
Les impacts dramatiques
L’exposition accrue des enfants à la contamination s’ajoutait alors aux conséquences dramatiques du seul enfermement sur leur santé : repli sur soi, refus de s’alimenter, insomnies, stress et symptômes de stress post-traumatique. Au quotidien, dans les centres de rétention administrative, les enfants peuvent être confrontés à des événements traumatisants (automutilations, suicides, tentatives de suicide, éloignements sous contrainte), et évoluent dans un environnement violent, privatif de liberté matérialisé par une présence policière constante, les appels réguliers aux haut-parleurs, les grillages, les barbelés et le bruit des verrous.
La France se rend responsable de ces maux et de leurs conséquences sur le long terme. Il n’est plus admissible de continuer à faire subir ces conditions insupportables de rétention à des enfants. En mai 2020, le député Florent Boudié (LRM), soutenu par l’ensemble du groupe parlementaire de la majorité présidentielle, déposait une proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention administrative des familles avec mineurs.
Si la portée de ce texte était trop réduite et se cantonnait à encadrer la rétention en métropole, cette initiative parlementaire permettait néanmoins une mise à l’agenda de ce sujet à l’Assemblée nationale, qui aurait pu rouvrir la voie à une interdiction stricte de l’enfermement administratif des enfants – comme l’exige l’application de la Convention des droits de l’enfant. Faute de volonté politique, sa proposition n’a jamais été examinée.
Eviter de nouvelles violations
Nous appelons le gouvernement et les députés nouvellement élus à interdire définitivement l’enfermement administratif des enfants et à élaborer des solutions conformes aux droits de l’enfant. C’est la recommandation clairement énoncée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies.
C’est la seule façon d’éviter de nouvelles violations de la Convention européenne des droits de l’Homme. C’est ce que demandent 177 000 personnes mobilisées lors de nos précédentes campagnes. C’est enfin le sens des contributions écrites que trois de nos organisations transmettent aujourd’hui au Conseil de l’Europe.
Les signataires de cette tribune sont : Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade ; Adeline Hazan, présidente de l’Unicef France ; Flor Tercero, présidente de l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE).
Les cosignataires : Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’Homme ; Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité ; Véronique Devise, présidente du Secours catholique – Caritas France ; Emilie Dewaele, présidente de l’association InfoMIE ; Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss ; Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France ; Colette Duquesne, présidente de l’association Des droits pour grandir ; Michel Guilbert, président de Clowns sans frontières ; Guillaume Lardanchet, directeur de l’association Hors la rue ; Joran Le Gall, président de l’Association nationale des assistants de service social ; Chantal Mir, directrice générale du groupe SOS Solidarités ; Alexandre Moreau, président de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) ; Isabelle Moret, directrice générale de SOS Villages d’enfants, membre de la dynamique « De la Convention aux actes ! » ; Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’Association nationale des assistants maternels assistants & accueillants familiaux ; Jean-François Quantin, coprésident du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) ; Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature ; Antoine Ricard, président du Centre Primo-Levi ; Florence Rigal, présidente de Médecins du monde France ; Vanina Rochiccioli, présidente du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) ; Yves Rolland, président d’ACAT France ; Jean-Luc Rongé, président de DEI-France ; Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d’asile ; Jean[1][1]Claude Samouiller, président d’Amnesty International France ; Pierre Suesser, coprésident du Syndicat national des médecins de PMI ; Noanne Tenneson Lier, directrice générale de l’Association des avocats pour les droits de l’Homme (AADH).