Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de la CGT du Nord est poursuivi pour apologie du terrorisme suite à un tract publié le 12 octobre à la suite des actes terroristes du Hamas. Comme la secrétaire administrative de l’union départementale, il a subi une interpellation musclée par des policiers cagoulés, devant ses enfants à 6h du matin, avec un menottage humiliant suivi de 6 heures de garde à vue.
Le jeudi 28 mars 2024 avait lieu son procès au tribunal correctionnel de Lille. 6 heures d’audience à décortiquer une phrase d’un tract de la CGT du Nord rédigé collectivement, et assumé par Jean-Paul en sa qualité de secrétaire général. 6 heures à scruter l’intention de ses rédacteurs. 6 heures à tenter, à partir de photos extraites de son profil Facebook, de faire passer Jean-Paul pour quelqu’un de violent, alors qu’il est aide soignant et engagé depuis toujours dans l’aide et le soutien aux autres. 6 heures à tenter de faire dire à des virgules et à des points ce qu’ils ne disent justement pas, là où la parole de la CGT a toujours été celle de ses valeurs historiques, la condamnation de toute forme de violence et l’appel à la paix et à la solidarité. Le sens du communiqué était pourtant clair. Rendre hommage à toutes les victimes civiles de cet enchainement inexorable de violence meurtrière.
La procureure de la République a requis une condamnation à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme. Une réquisition d’une gravité inédite, alors que jamais de telles peines n’ont été requises lors des multiples poursuites judiciaires contre les sorties racistes ou antisémites du rassemblement national. Alors une procédure logique ? Ou bien un procès qui s’inscrit dans un bien étrange moment de répression administrative et judiciaire de l’action syndicale et plus généralement de celle de la société civile ?
Respecter l’institution judiciaire n’implique pas de renoncer à une lecture des dynamiques et des forces qui sont à l’œuvre avant et pendant cette audience. Une audience singulière, car pour la première fois de son histoire, un représentant de la CGT était poursuivi pour apologie du terrorisme. Des poursuites suscitées par le préfet Georges-François Leclerc, ancien préfet du Nord, lui-même plusieurs fois condamné par le tribunal administratif de Nice pour ses mesures illégales contre les migrants à la frontière italienne. Un préfet donneur d’ordre dans l’affaire des violences commises sur Geneviève Legay. Un préfet en conflit ouvert avec la CGT du Nord sur plusieurs mobilisations sociales et notamment celle des ouvrières de Vert Baudet.
Une procédure qui s’inscrit à l’évidence dans la vague d’interdictions de manifestations de soutien aux palestiniens et de poursuites pour apologie du terrorisme à la suite d’une circulaire de la chancellerie ayant incité les parquets à poursuivre massivement les militants sur des projections politiques nauséabondes prêtant à des phrases des intentions contraires à celles de leurs rédacteurs. L’action judiciaire et politique est indispensable contre les comportements antisémites et racistes qui se sont multipliés après les attaques du 7 octobre et contre les glorifications du terrorisme.
Il est pour cela nécessaire que les autorités retrouvent la raison et cessent d’assimiler toute contestation politique ou sociale à du terrorisme. Le terrorisme tue, y compris en France. Le banaliser en traitant certains militants d’écoterroristes ou en en poursuivant d’autres devant les tribunaux c’est grave. A l’heure où certaines voix y compris à l’Onu n’hésitent plus à qualifier de génocide le massacre en cours à Gaza, est-ce vraiment Jean-Paul Delescaut dont il faut faire le procès ? L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques n’est pas qu’une vue de l’esprit ou un moyen de défense. C’est une réalité de plus en plus prégnante et inquiétante.
Le 4 avril dernier, ce fut le tour de Kamel Brahimi, secrétaire général de la CGT 93 d’être interpellé et placé en garde à vue pendant plus de 7 heures pour une simple participation à une manifestation symbolique et pacifique. Ce même 4 avril, Laurent Indrusiak, secrétaire général de la CGT de l’Allier comparaissait au tribunal de Montluçon avec deux autres militant-e-s suite à une opération escargot sans aucune dégradation matérielle. L’action du parquet et de l’Etat font désormais sens. Il s’agit d’entraver l’action syndicale par l’usage de moyens judiciaires disproportionnés et inadéquats.
L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques n’est pas qu’une vue de l’esprit ou un moyen de défense. C’est une réalité de plus en plus prégnante et inquiétante. Nous dénonçons cette nouvelle glissade autoritaire et appelons à raffermir nos liens historiques de solidarité pour faire barrage à toutes tentatives de fragilisation du contre-pouvoir fondamental que constitue la société civile.
Le 18 avril, date de la décision du tribunal correctionnel de Lille, nous, actrices et acteurs de la société civile, appelons avec la plus fermeté à la relaxe de Jean-Paul Delescaut en solidarité avec les valeurs communes de fraternité de la CGT.
Signatures : AZARIA Ana, présidente de Femmes Égalité ; BAUDOUIN Patrick, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; BEN SAID Mohamed, président de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) ; BINET Sophie, secrétaire générale de la CGT ; BUARD Vincent, président de la Confédération internationale solidaire et écologique (CISE) ; GEBUHRER Olivier, co-animateur d’Une autre voix juive (UAVJ) ; LE MARREC Jean-Paul, président d’Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA) ; LE MIGNOT Renée, président honoraire du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) ; PICARD Alice, porte-parole d’Attac France ; STAMBUL Pierre, coprésident d’Union des juifs français pour la paix (UJFP) ; TUAILLON Anne, présidente de l’Association France Palestine solidarité (AFPS) ; TESTE Benoit, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire FSU.