16 juillet 2004 : « Cap Anamur », cap au pire : l’Europe contre l’asile se fait sous nos yeux

Le Cap Anamur, bateau d’une ONG allemande, est  autorisé « pour raisons humanitaires » à entrer dans le port de Porto Empedocle (Sicile) : soit vingt jours après avoir sauvé les 37 passagers (36 Soudanais du Darfour et 1 Ethiopien) d’un bateau pneumatique en perdition dans les eaux internationales entre la Libye et l’île de Lampedusa. Les autorités italiennes lui interdisaient leurs eaux territoriales depuis le 1er juillet.

 

Les réfugiés sont transférés pour identification au CPT d’Agrigente (l’un de ces non-lieux d’enfermement des étrangers) et risquent l’expulsion ; le capitaine, l’officier en second et le président de l’ONG sont arrêtés pour avoir « favorisé l’immigration illégale » (art 12 de la loi Bossi-Fini). Le bateau est mis sous séquestre. La police fait courir le bruit que les réfugiés sont ghanéens et non pas soudanais, allégation immédiatement démentie par plusieurs religieux présents à bord, et non moins immédiatement reprise par la télévision italienne et certains médias européens, qui s’étaient jusque là désintéressés de l’affaire.

 

Roberto Castelli, ministre de la Justice, déclare, dans une paranoïa nationaliste somme toute en accord avec l’air du temps, qu’il est facile de feindre l’urgence pour tester la capacité de résistance des pays européens.

 

Par ce refoulement aux frontières maritimes, l’Italie a bafoué ses obligations internationales (violation de la Convention de Genève, principe de non-refoulement selon lequel quiconque se présente à une frontière a droit de présenter une demande d’asile). Elle a aussi tordu dans son sens le règlement Dublin II : afin de déterminer l’Etat compétent pour l’examen de la demande d’asile, il aurait d’abord fallu que la demande ait été déposée dans un Etat de l’UE. Et, dans cet Etat – l’Italie -, le Parlement doit adopter une loi sur l’asile qui n’est donc pas en vigueur. Il a ainsi délégué à la police l’admission à la procédure d’asile des réfugiés contraints à l’immigration clandestine.

 

L’Italie s’est ensuite livré à un obscène jeu de « patate chaude » avec l’Allemagne et Malte (où le Cap Anamur s’était arrêté), chacun se renvoyant la responsabilité, tandis que des vies étaient en péril (matériel et psychologique) et que la Convention de Genève, la Charte de Nice et la Constitution italienne étaient niées. C’est tout juste si ces trois Etats membres de l’UE, avec le silence complice des institutions européennes, ont consenti à évoquer l’« urgence humanitaire », tout en précisant qu’il leur était impossible d’y répondre sous peine d’instaurer un « dangereux précédent qui ouvrirait la voie à de nombreux abus ». C’est dire assez que, dans cette gestion policière qu’est devenue la politique d’asile, les hommes et les femmes n’existent pas.

 

Le HCR, l’ONU et le Vatican s’étant tardivement émus, l’accostage fut finalement autorisé en Sicile, ce qui permit à l’Allemagne de se retirer du jeu en rejetant toute la responsabilité de l’accueil et de l’examen de la demande d’asile sur l’Italie.

 

Le gouvernement italien utilise maintenant la doxa européenne, assimilant à la criminalité organisée le fait de sauver des vies en mer, et considérant les réfugiés comme des terroristes potentiels.

 

En Italie, les ONG, les associations, les activistes, la société civile, présents dès le premier jour, ont lancé des appels, informé, mobilisé, proposé la création de commissions ad hoc, et préparent un recours auprès la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

C’est cette mobilisation et les droits des réfugiés et des migrants que les associations et militants européens doivent soutenir et relayer, en dénonçant à leur tour une politique européenne de déni du droit qui, ne visant qu’à dissuader par la force les réfugiés, transforme les frontières de l’UE en cimetières.

 

Le 16 juillet 2004

 

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