Tribune collective signée, entre autres, par Malik Salemkour, président de la LDH
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La droite et l’extrême droite israéliennes tentent de faire passer la critique de leur politique pour de l’antisémitisme, d’où l’opération lancée voici cinq ans autour de la définition Ihra. Le ministère israélien des Affaires stratégiques s’efforce depuis de la faire voter par les institutions, municipalités, parlements et gouvernements.
Contraire au droit international, la politique d’occupation, de colonisation et d’annexion de la Palestine est condamnée par la très grande majorité des États du monde et de l’opinion internationale.
C’est pourquoi la droite et l’extrême droite israéliennes tentent de faire passer la critique de leur politique pour de l’antisémitisme. D’où l’opération lancée voici cinq ans autour de la définition de celui-ci par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste, connue sous son acronyme anglais : Ihra. Le ministère israélien des Affaires stratégiques s’efforce depuis de la faire voter par les institutions, municipalités, parlements et gouvernements.
À première vue, la définition ne pose pas d’autre problème que son insigne médiocrité. Elle décrit l’antisémitisme comme « une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par une haine à leur égard » par le biais de « manifestations rhétoriques et physiques dirigées contre des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte ».
Le piège réside dans les exemples avec lesquels l’Ihra « illustre » sa définition et qui, formellement, selon elle, n’en font pas partie. Lors de son adoption par l’Assemblée nationale, le promoteur de la résolution, le député Sylvain Maillard, a déclaré à la tribune que le vote ne porterait pas sur les exemples. Mais les piliers du réseau d’influence pro-israélien, à commencer par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), ne jurent que par… ces exemples !
Or plus de la moitié d’entre eux sont relatifs à l’État d’Israël. Consciente de l’isolement de ce dernier, l’Ihra avance des concepts bien flous. « L’antisémitisme, affirme un des exemples, peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. »
Cette précision n’empêche pas les propagandistes de Benyamin Netanyahou de qualifier d’antisémite toute critique de l’apartheid, tout appel au boycott et, plus largement toute action de solidarité avec le peuple palestinien. Le Premier ministre a été jusqu’à qualifier d’« antisémite » la décision de la Cour Pénale internationale d’ouvrir une enquête sur les crimes commis dans les Territoires palestiniens occupés.
Le gouvernement du Royaume-Uni fut le premier, dès décembre 2016, à reconnaître la validité de cette définition. Le Parlement européen a suivi en juin 2017, ainsi que le Conseil européen en décembre 2018. En France, après l’Assemblée nationale, le réseau d’influence pro-israélien appelle les villes à adopter – comme Paris et Nice – la définition de l’Ihra. Francfort organise un sommet numérique mondial qui cherche aussi à promouvoir cette définition.
Cette opération suscite néanmoins une forte opposition. Le 13 janvier, l’ensemble des groupes juifs progressistes des États-Unis a affirmé son désaccord avec l’Ihra. En Europe, de très nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme, ONG, organisations juives, disent non. En France, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a mis en garde par deux fois les pouvoirs publics.
Il faut le dire clairement : quand le Premier ministre israélien affirme que Hitler « ne voulait pas exterminer les Juifs », quand il justifie le négationnisme des leaders populistes d’Europe centrale et orientale et le suprématisme de Donald Trump, de quel droit donnerait-il des leçons de lutte contre l’antisémitisme ?
Pour être efficace, le combat contre l’antisémitisme doit refuser tout amalgame et converger avec la lutte contre toutes les autres formes de racisme. Les promoteurs de la définition Ihra ont fait le choix inverse : donner la priorité à la défense inconditionnelle de l’État d’Israël, quitte à affaiblir et à diviser la lutte contre l’antisémitisme.
En tant qu’organisations et personnalités résolument engagés contre le racisme sous toutes ses formes, nous ne céderons jamais à ce chantage. De la même manière que nous dénonçons sans ambiguïté les actes antisémites en France et ailleurs dans le monde, nous affirmons notre droit à soutenir le peuple palestinien, victime d’une politique coloniale et raciste. C’est pourquoi nous appelons toutes les personnes de conscience, les collectivités locales, les institutions à rejeter la définition de l’Ihra.
Premiers signataires
Malik SALEMKOUR, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ; Augustin GROSDOY et Jean-François QUANTIN, coprésidents du Mouvement conte le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) ; Edith BOULANGER et Roland NIVET, porte-paroles, et Nicole BOUEXEL, membre du Conseil National du Mouvement de la Paix ; Boris PLAZZI, membre de la Commission exécutive confédérale, Secrétaire confédéral en charge des relations internationales de la Confédération Générale du Travail (CGT) ; Benoît TESTE, secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) ; Cybèle DAVID et Jérôme BONNARD, porte-paroles de l’Union Syndicale Solidaires ; Bertrand HEILBRONN, président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) ; Jean-Guy GREILSAMER, membre de la coordination nationale de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) ; Pascal LEDERER, fondateur et co-animateur de Une Autre Voix Juive (UAVJ) ; Ivar EKELAND, président de l’Association de Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) ; coordination de la campagne BDS France ; Jean FRANCHETEAU, vice-président du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient(CVPR-PO) ; Danielle BIDART, présidente de l’association « Pour Jérusalem » ; Perrine OLFF-RASTEGAR, porte-parole du Collectif Judéo-Arabe et Citoyen pour la Palestine (CJACP) ; Mouhieddine CHERBIB, président du Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) ; Joumana RICHARD, présidente de La Courneuve Palestine ; Jean-Claude MEYER, porte-parole Alsace de l’UJFP ; Louis DAVID, comité Palestine Israël 44 49 ; Pierre LAURENT, vice-président du Sénat, sénateur de Paris (PCF) ; Jean-Paul LECOQ, député ; Fatiha ALAUDAT, Maire adjointe à la Culture de paix et à la solidarité internationale (Malakoff 92240) ; Gloria BIGOT LEGROS ; Jacqueline BOSC, militante associative ; Rony BRAUMAN, médecin et essayiste ; Gérard CHAOUAT directeur de recherches CNRS émérite ; Lucien CHAMPENOIS, ministre plénipotentiaire en retraite ; Jean-Paul LE MAREC, ingénieur agronome, membre du Bureau national du MRAP ; Khira LAMECHE, universitaire retraitée ; Roland LOMBARD, Dir recherche retraité, ex-président du CICUP ; Jean-Pierre MEVEL ; Raphaël PORTEILLA, Maitre de Conférence à l’Université de Bourgogne, membre du Bureau national du Mouvement de la Paix ; Evelyne REBERG, adhérente UJFP ; Bruno SÉRÈS ; Irène STEINERT ; Eric TRON, médecin biologiste ; Dominique VIDAL, journaliste et historien.
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