Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Lire la tribune dans Le Monde
Pour stopper Nétanyahou, il faut suspendre l’accord d’association entre l’Europe et Israël, estime, dans une tribune au Monde, un collectif de personnalités, parmi lesquelles Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme), Pierre Larrouturou, député européen, Raphaël Pitti, médecin urgentiste, et Simone Susskind, fondatrice d’Actions in the Mediterranean.
L’horreur des attentats commis par le Hamas le 7 octobre 2023 ne peut en aucun cas justifier l’horreur de la guerre que subit Gaza depuis quatre mois. Ce n’est pas en ajoutant des morts aux morts, ni en ajoutant de la haine à la haine, que l’on pourra construire la paix et la sécurité dans cette région du monde. Au contraire.
La stratégie déployée par Benyamin Nétanyahou depuis de nombreuses années n’a pas su éviter l’horreur du 7 octobre, « la pire journée pour le peuple juif depuis la fin de la Shoah ». Il est évident que laisser les mains libres aujourd’hui à ce même Nétanyahou amènerait à tuer encore des milliers de Palestiniens innocents et mettrait en danger la sécurité d’Israël, en renforçant ceux qui veulent détruire ce pays. Le scandale est évident et le risque d’embrasement, incontestable. Antonio Guterres a raison : la poursuite des bombardements à Gaza « pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales ».
Voilà pourquoi nous demandons instamment à tous les dirigeants européens, et en particulier au président de la République française, Emmanuel Macron, et au premier ministre belge, Alexander De Croo, qui assure la présidence du Conseil de l’Union européenne jusqu’au 30 juin 2024, d’agir avec force pour obtenir la libération de tous les otages et de tous les prisonniers politiques, obtenir un cessez-le-feu immédiat et durable (respecté tant par l’armée israélienne que par le Hamas), la mise en œuvre d’une force d’interposition sous l’égide des Nations unies et l’organisation d’une conférence internationale de la paix pour mettre en œuvre, enfin, la solution à deux Etats.
Comment faire pression sur le gouvernement d’Israël pour qu’il rompe avec une logique qui a déjà tué des dizaines de milliers d’innocents et conduit la Cour internationale de justice (CIJ) à affirmer qu’il existe un « risque de génocide » ? Quand un ami est devenu fou de colère, il faut le ceinturer pour l’empêcher de tuer un voisin ou de se tuer lui-même. Si le gouvernement d’Israël s’enferme dans une logique mortifère, il faut tout faire pour l’arrêter.
Déjà en 2002, une réponse disproportionnée
En avril 2002, après que des attaques du Hamas avaient conduit le gouvernement d’Israël à une riposte qui avait fait 60 morts, le Parlement européen estimait que cette réponse était clairement disproportionnée et avait voté une résolution qui demandait, outre un embargo sur les armes et la mise en œuvre d’une force d’interposition, la suspension de l’accord d’association signé entre l’Union européenne (UE) et Israël.
Cet accord de stabilisation et d’association négocié avec le gouvernement d’Yitzhak Rabin (1922-1995) dans la foulée des accords d’Oslo et signé le 20 novembre 1995, juste après l’assassinat de Rabin par l’extrême droite israélienne, avait comme objectif de renforcer le camp de la paix. Dès son article 2, cet accord affirme que « les relations [entre l’UE et Israël] doivent être fondées sur le respect des droits de l’homme et les principes démocratiques qui régissent leur politique intérieure et internationale ».
En 2002, hélas, aucune des sanctions demandées par le Parlement n’a été mise en œuvre, et Israël a continué de violer le droit international en ne respectant aucune des résolutions des Nations unies exigeant notamment la fin de la colonisation.
Le rôle décisif de l’UE pour construire la paix
Le 28 janvier 2024, par seize voix contre une, la CIJ demandait à Israël de prendre des mesures « immédiates et efficaces » pour protéger les Gazaouis. Hélas, depuis lors, le gouvernement Nétanyahou fait exactement le contraire et prépare un massacre à Rafah. Pour ne pas être complice de ses crimes, l’Europe doit agir avec la plus grande force pour pousser le gouvernement d’Israël et le Hamas à accepter un cessez-le-feu immédiat et à entrer dans une logique de paix.
Voilà pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et de gouvernement européens la suspension immédiate de l’accord de partenariat signé en 1995, l’embargo sur les armes (aucune arme ne doit pouvoir quitter le territoire européen pour alimenter la guerre entre Israël et la Palestine), l’envoi d’une force d’interposition sous l’égide des Nations unies et la reconnaissance pleine et entière de l’Etat de Palestine par l’UE et par chacun de ses Etats membres.
Cette reconnaissance était déjà prévue par le Conseil des chefs d’Etat européens réunis en mars 1999 à Berlin, qui affirmait : « L’Union européenne demande que les négociations sur le statut définitif reprennent rapidement et ne se prolongent pas indéfiniment. L’Union européenne pense qu’il devrait être possible de conclure les négociations dans un délai qui pourrait être fixé à un an. (…) L’Union européenne déclare qu’elle est disposée à envisager la reconnaissance d’un Etat palestinien en temps opportun. »
C’était en 1999. Vingt-cinq plus tard, comme l’affirmait récemment l’ancien ambassadeur d’Israël Elie Barnavi, « il est urgent que l’Europe montre les muscles pour construire la paix ».
Collectif : Emile Ackermann, rabbin ; Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Anne Hessel, docteure en médecine ; Pierre Larrouturou, député européen, membre de la délégation pour les relations avec Israël et de la délégation pour les relations avec la Palestine ; Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT en charge des questions internationales ; Raphaël Pitti, médecin urgentiste de retour de Gaza ; Johann Soufi, avocat spécialisé en droit pénal international ; Marc Stenger, évêque honoraire, coprésident de Pax Christi International ; Simone Susskind, ancienne députée bruxelloise, fondatrice d’Actions in the Mediterranean.