Tribune collective signée par Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH
Face à la faillite de la politique de l’enfance, le prochain gouvernement doit comporter un ministère de plein exercice pour avancer de manière globale sur cette cause, jugée « prioritaire » par le président de la République.
Le Président réélu avait conclu le débat de l’entre-deux-tours en évoquant sa volonté de faire de la « protection de l’enfance » une priorité de son prochain quinquennat. L’actualité a illustré depuis lors, sur plusieurs registres, les failles immenses de la politique de l’enfance auxquelles il s’agit sans nul doute de remédier.
Un marqueur décisif et dramatique de cette urgence réside, selon une étude du Lancet et pour la première fois depuis l’après-guerre, en l’augmentation ces dix dernières années du taux de mortalité infantile en France. Si la prudence s’impose au stade des hypothèses, les déterminants de cette hausse sont à rechercher selon les spécialistes du côté de pathologies maternelles (obésité, tabagisme) souvent en lien avec des conditions socio-économiques défavorables, du défaut d’accès aux soins touchant des femmes d’origine étrangère ou en situation de précarité sociale ou encore de fragilité psychologique.
Serait aussi incriminée une dégradation globale de la prise en charge des soins et du suivi en période périnatale : pénurie croissante de tous les professionnels de la périnatalité, fermeture de 221 maternités sur 717 ces vingt dernières années, affaiblissement du réseau de la protection maternelle et infantile marqué notamment, selon un rapport parlementaire en 2019, par une baisse de plus de 30% des visites à domicile des sages-femmes auprès de femmes enceintes entre 2004 et 2016. Tous ces probables déterminants de la hausse de la mortalité infantile seraient pourtant accessibles à une politique de l’enfance, vigoureuse et déterminée de la part des pouvoirs publics, sur les plans humain, financier, de l’organisation des soins et de la recherche.
Dès 2018 des juges tiraient la sonnette d’alarme
Alors que le Président met en avant «la priorité» de la protection de l’enfance, des témoignages nombreux et convergents, émanant tant d’associations de protection de l’enfance que de juges des enfants et de professionnels de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) mettent en lumière une dégradation des capacités d’accueil du dispositif pour les enfants : délais d’exécution des décisions judiciaires ou administratives de plusieurs mois voire plus d’un an qui ruinent le sens des mesures aux yeux des parents et des enfants quand ils n’accroissent pas le danger qu’encourent ces derniers ; crise du recrutement de travailleurs sociaux, d’assistants familiaux entraînant l’allongement des listes d’attente, conjugué aux phénomènes d’usure professionnelle voire de maltraitance institutionnelle dans un contexte de fonctionnement en sous-effectif et d’appel à des professionnels peu qualifiés…
Pourtant les alertes sur ces situations ne datent pas des seules dernières semaines, ainsi dès 2018 les juges des enfants du tribunal de Bobigny tiraient la sonnette d’alarme «sur la forte dégradation des dispositifs de protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis [due] à un manque flagrant de personnel, lié aux restrictions budgétaires, dans un contexte où la dégradation des conditions du travail éducatif et social en Seine-Saint-Denis rend plus difficiles les recrutements». Ils concluaient : « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. » Propos qui illustrent la situation actuelle de la protection de l’enfance dans toute la France à laquelle la récente loi sur la protection des enfants n’a pas apporté les réponses d’ampleur, nécessaires et attendues. Là encore, une politique résolue de l’enfance, menée par l’État en coopération étroite avec les départements, serait seule à même de relever le défi.
Autre exemple de la faillite de notre politique de l’enfance, la situation de déshérence de la pédopsychiatrie, dénoncée de toutes parts, et que les suites de la crise sanitaire ont mis cruellement en évidence : les professionnels de psychologie et de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dressent le constat unanime de l’augmentation très notable des dépressions et très alarmante des tentatives de suicide chez les jeunes. Dans son rapport de novembre 2021 et son interpellation de la Première ministre le 1er juin dernier, « la Défenseure des droits et son adjoint Défenseur des enfants » appellent « à mettre en place un plan d’urgence pour la santé mentale des jeunes » en prenant « la pleine mesure de la gravité de la situation et [en agissant] urgemment pour sortir des approches fragmentaires et strictement sanitaires ».
Donner une suite authentique à cette « priorité »
L’urgence impérieuse d’une politique universelle, globale et ambitieuse pour l’enfance pourrait s’égrener à travers de multiples autres enjeux aujourd’hui trop laissés en jachère : la prise en charge et l’inclusion dans toutes les sphères de la société des enfants touchés par les handicaps, la lutte inflexible pour extirper trois millions d’enfants et leur famille de la pauvreté, la revitalisation de l’ensemble des services publics pour l’enfance, l’urgence de la prévention en santé environnementale dès la prime enfance, l’investissement public dans le champ de la culture et des loisirs pour tous, le soutien au pouvoir d’agir des enfants et le respect intégral des droits des enfants… A cet égard, Monsieur le Président, une politique éthique pour l’enfance ne peut que répondre favorablement à l’appel unanime des défenseurs des droits de l’enfant et des Droits de l’homme en rapatriant immédiatement et sans conditions les enfants détenus dans les camps du Nord-Est syrien.
Le premier gouvernement nommé par le Président réélu n’est pas à la hauteur de toutes ces exigences : nomination d’une secrétaire d’État à la protection de l’enfance placée au 28e rang protocolaire du gouvernement, attributions des politiques de l’enfance éparpillées entre divers ministères sans impulsion ni coordination instituée. Si le Président entend donner une suite authentique à sa «priorité» pour l’enfance, il devra, lors de la nomination du prochain gouvernement, incarner son portage par un ministère de plein exercice, situé à due hauteur de cette priorité politique reconnue à l’enfance dans la hiérarchie gouvernementale : un ou une ministre stratège qui à la fois impulse, articule, veille et pèse pour s’assurer de l’effectivité d’une politique globale favorable à la cause des enfants.
Lire la tribune dans Libération
Signataires : les membres du collectif Construire ensemble la politique de l’enfance qui regroupe une centaine d’organismes œuvrant dans tous les champs de l’enfance : Natacha Chartier Association nationale des professionnels et acteurs du sanitaire, social et médico-social pour l’enfance et la famille (Anpase), Laurent Chazelas Association française des psychologues de l’Education nationale (Afpen), Emmanuel Cixous Syndicat national des pédiatres en établissement hospitalier (SNPEH), Carla Dugault Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), Françoise Dumont Ligue des droits de l’Homme (LDH), Martine Maurice Association enfance et musique, Irène Pequerul Fédération nationale laïque de structures et d’activités éducatives, sociales et culturelles (les Francas), Fabienne Quiriau Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), Pierre Suesser Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI) et Céline Truong ATD Quart Monde.
Construire ensemble la politique de l’enfance est l’auteur de : Enfance, l’état d’urgence. Nos exigences pour 2022 et après aux éditions Erès (2021).