Tribune collective signée par la LDH
Alors que le tribunal administratif de Paris doit se prononcer ce mardi 17 octobre sur le recours contre l’arrêté préfectoral interdisant les distributions alimentaires dans le nord de Paris, un ensemble d’associations demande l’abandon de cet arrêté et la mise en place de solutions dignes et pérennes. « Rien, dans un contexte où 3,5 millions de personnes ne mangent pas à leur faim en France, ne peut justifier une telle interdiction. »
À partir de ce mardi 10 octobre, journée internationale de lutte contre le sans-abrisme, la préfecture de Police de Paris a décidé d’interdire pendant un mois les distributions de denrées alimentaires dans une dizaine de rues de la capitale. Selon la préfecture, ces distributions viendraient « stimuler la formation de campements » et généreraient « des troubles à l’ordre public ».
Rien, dans un contexte où 3,5 millions de personnes ne mangent pas à leur faim en France, ne peut justifier une telle interdiction.
Cet arrêté s’inscrit dans une politique globale de harcèlement, dite de « zéro point de fixation ». Elle consiste à ne laisser aucun répit aux personnes à la rue, à démanteler de manière systématique tout rassemblement et à entraver l’aide humanitaire. Dans ce cadre, nous observons notamment la dégradation, la destruction et le vol de biens des personnes, le recours à des violences verbales et physiques ainsi que l’entrave aux acteurs associatifs et riverains solidaires.
Au-delà de développer la peur, la solitude, la fatigue, la faim et la soif chez les personnes sans abri, cette méthode a pour impact d’accroître les situations de violence, d’errance, de détresse et d’extrême précarité.
À Paris, depuis près de deux ans, plusieurs centaines de personnes ont trouvé refuge sur ce bout de trottoir entre les stations de métro La Chapelle et Stalingrad. Malgré les interventions répétées de la préfecture de police, qui s’intensifient à l’approche des Jeux Olympiques, le secteur est resté un point de repère pour les personnes majoritairement afghanes, soudanaises et érythréennes arrivant à Paris et souhaitant déposer une demande d’asile en France.
À cet endroit, des centaines de riverains, de bénévoles et d’associations se mobilisent quotidiennement afin d’apporter une aide matérielle et alimentaire d’urgence et assurer une présence solidaire et bienveillante. Cette aide est vitale.
Selon l’étude « Les oubliés du droit d’asile » de 2021 réalisée par neuf associations, 25% des personnes arrivées récemment à Paris sont en situation de « faim sévère ». Une enquête de la Mairie de Paris de janvier 2023 établit elle-même que 35% des personnes à la rue à Paris n’ont pas accès à un repas quand ils en ont le besoin (+ 50% par rapport à 2022). Ces derniers mois, au moins 3 personnes réfugiées ont mis fin à leurs jours dans les rues de Paris, venant rejoindre la liste non exhaustive des 400 personnes sans-abri décédées en France depuis le début de l’année décomptées par le Collectif Les Morts de la Rue.
Avant d’entraver cette solidarité, aucun échange n’a été proposé par la préfecture de Police avec les associations qui agissent dans ce secteur, démontrant l’absence de volonté à trouver des solutions viables à long terme et qui protègent les personnes.
Si elles étaient mises à l’abri, elles ne seraient pas à la rue. Au lieu de cela, l’État force à l’errance en dispersant les lieux de distribution alimentaires. Pourtant, la loi confère à toutes et tous le droit d’accéder à un hébergement d’urgence et l’accueil des personnes fuyant l’Ukraine l’a prouvé, nous avons les moyens d’accueillir et d’héberger dans des conditions dignes.
Si nous comprenons le désarroi des riverains face à cette carence de l’État dans ses obligations humanitaires et sociales, invisibiliser ces situations d’extrême précarité n’apporte aucune solution.
Cet arrêté n’interdit pas seulement la distribution d’une barquette de riz et d’un thé chaud à des milliers de personnes à la rue et sans ressources, il s’inscrit dans un système de maltraitance généralisée consistant à bafouer les droits fondamentaux des personnes et à accentuer la violence générale de notre société.
À Calais, ces mêmes arrêtés anti-distribution avaient déjà été déployés dès fin 2020, la préfecture les renouvelant chaque mois avec un périmètre élargi. En octobre 2022, après deux années d’entrave, le tribunal de Lille avait finalement mis fin à ces entraves « manifestement inadaptées et disproportionnées ».
Nous, associations, demandons à la Préfecture de Police et à l’ensemble des parties prenantes de faire en sorte d’abandonner cet arrêté et de travailler à la mise en place d’un dialogue constructif et de solutions dignes et pérennes, y compris en perspective des Jeux Olympiques.
Les distributions alimentaires doivent pouvoir reprendre immédiatement.
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Edit à 16h30 : Le tribunal administratif de Paris a suspendu l’arrêté du préfet de police ce 17 octobre : « Saisie par plusieurs associations sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative1, la juge estime qu’il existe un doute sérieux quant à la nécessité de la mesure prise par le préfet de police pour préserver l’ordre public. »
Signataires : Collectif Accès au droit (CAD), Collectif Les Morts de la Rue, Emmaüs France, L’Un Est l’Autre, La Chorba, La Cimade, La Fédération des Acteurs de la Solidarité, La Fondation Abbé Pierre, Le CEDRE, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Les midis du mie, Médecins du Monde, Maraude, P’tits déjs solidaires, Pantin solidaire, Paris d’Exil, Refugee Food, Secours Catholique – Délégation de Paris Secours populaire de Paris, Solidarité Migrants Wilson, Tara, Tendre la main, Utopia 56, Watizat