Tribune collective à l’initiative du Collectif Vietnam Dioxine, signée par la LDH et publiée sur Libération.fr
Le 25 janvier se tiendra à Evry le procès intenté par l’ancienne journaliste et militante franco-vietnamienne contre dix-neuf firmes chimiques ayant produit ou commercialisé l’Agent Orange.
Tribune. 59 ans. Plus de 59 ans déjà depuis le premier épandage de l’Agent Orange-dioxine, un puissant défoliant déversé sur la jungle vietnamienne et laotienne le 10 août 1961 par l’armée américaine. Aujourd’hui encore, les effets de l’Agent Orange-dioxine se répercutent sur la population vietnamienne et l’environnement dans l’iniquité la plus totale. Avec près de 80 millions de litres d’herbicides déversés et plus de 2 500 000 hectares contaminés, ces épandages ont détruit 20% des forêts du sud du Vietnam et pollué 400 000 hectares de terres agricoles. S’y ajoutent la destruction de plus d’un million d’hectares de forêt tropicale et la disparition d’une faune abondante.
L’Agent Orange-dioxine, en plus d’avoir détruit une partie de la jungle vietnamienne, s’est avéré très toxique pour l’être humain. Son dérivé de fabrication, la dioxine, est tératogène et lipophile : elle s’accumule dans les graisses et engendre de graves malformations chez les nouveau-nés. Jusqu’à 4,8 millions de personnes ont été directement exposées au défoliant et plus de 3 millions en subissent encore les conséquences selon l’Association vietnamienne des victimes de l’Agent Orange-dioxine (Vava). Des centaines de milliers d’enfants, des 3e et 4e générations d’après-guerre, vivent avec ces malformations (absence de membre, cécité, surdité, tumeur externe), sans parler des fausses couches, des mort-nés et des naissances prématurées qui s’accentuent dans les régions les plus touchées
Un procès intenté par Tran To Nga qui dure depuis 2014
L’histoire a occulté cette guerre chimique, pourtant la plus importante de l’histoire de l’humanité, en présentant l’Agent Orange-dioxine comme une arme parmi d’autres. Les effets de l’Agent Orange-dioxine, un « phénomène insidieux, silencieux, invisible, qui se déroulerait sur plusieurs décennies », s’étalent dans le temps et les générations tandis qu’il s’efface de la mémoire collective. Porter ce sujet à la connaissance du plus grand nombre est le long chemin qu’a entrepris Tran To Nga, pour que ce crime ne reste pas impuni.
Depuis 2014, année où Tran To Nga a déposé une plainte au Tribunal judiciaire d’Evry (Essonne), la procédure avance lentement mais sûrement. Elle a été rendue possible par une loi autorisant une ressortissant·e français·e à poursuivre une personne physique ou morale étrangère pour des faits commis en dehors de l’Hexagone. Par sa double nationalité, son statut de victime de l’Agent Orange-dioxine, Tran To Nga réunit les conditions nécessaires pour porter plainte contre les sociétés américaines qui ont produit ou livré ces produits phytosanitaires.
Le 25 janvier, au rang des prévenus seront présentes 19 des 26 firmes assignées ayant fabriqué ou livré l’Agent Orange, notamment Dow Chemical et Bayer-Monsanto. Tran To Nga est défendue par William Bourdon, célèbre pour avoir plaidé la cause de victimes chiliennes de la dictature du général Pinochet ou durant le génocide rwandais, et ses confrères Bertrand Repolt et Amélie Lefebvre. Face à eux, une trentaine d’avocats défendent les entreprises responsables d’avoir produit ou livré l’Agent Orange-dioxine à l’armée américaine. Six ans. C’est le temps qu’il a fallu pour enfin arriver aux plaidoiries qui pourraient permettre d’obtenir la condamnation de ces sociétés.
Une responsabilité qui tarde à être reconnue
Depuis quarante-cinq ans, ni le gouvernement américain, ni les fabricants de l’Agent Orange-dioxine n’ont reconnu leur responsabilité vis-à-vis des victimes vietnamiennes. Alors que les vétérans américains ont été indemnisés à hauteur de 180 millions de dollars dès 1984, aucune reconnaissance d’ordre juridique n’a abouti pour les victimes vietnamiennes qui ont été déboutées en 2009 par la Cour suprême des Etats Unis.
Les voix des victimes vietnamiennes, muselées par l’absence de moyens juridiques, ne sont toujours pas entendues. La guerre reste asymétrique jusque dans le traitement des victimes, où Tran To Nga, franco-vietnamienne, journaliste en contact direct avec le défoliant pendant la guerre du Vietnam, est devenu un symbole de résistance.
Un combat pour la justice environnementale
L’écocide, compris comme « la destruction permanente et irrémédiable d’un écosystème », notion née à la suite de la guerre du Vietnam et de l’usage de l’Agent Orange-dioxine, ne détruit pas seulement la terre, mais aussi les personnes habitant celle-ci. De ces guerres contre les corps et les sols, on pourrait citer l’utilisation massive du chlordécone (pesticide toxique) dans les bananeraies en Guadeloupe et en Martinique des années 70 à 90, les essais nucléaires des années 60 qui ont fait au moins 30 000 victimes algériennes, ceux en Polynésie française de 1966 à 1996…
L’écocide relie les peuples dans leurs revendications pour une justice environnementale. Cette justice environnementale doit être sociale, raciale et solidaire pour mener à la réparation, la réaffirmation d’une souveraineté des peuples sur leurs terres et la réappropriation des écosystèmes.
Les enjeux d’un procès historique
Comme pour les procès américains contre le Roundup (produit phare de Monsanto), plusieurs des entreprises incriminées auraient proposé à Tran To Nga une compensation financière, pour éviter de véritables poursuites judiciaires. Cette fois-ci, l’argent n’achètera pas la paix. Tran To Nga veut obtenir condamnation des firmes afin qu’elle fasse jurisprudence pour toutes les victimes de l’Agent Orange-dioxine.
L’écocide commis lors de la guerre du Vietnam nous rappelle le lien intrinsèque entre écocide et génocide, redéfinit les termes de « scandale sanitaire », « arme de guerre » comme « crime ». La réussite du procès de Nga ne se limitera jamais à sa propre réparation. Elle s’étend à la reconnaissance juridique d’une responsabilité des firmes pour les victimes de l’Agent Orange mais aussi à l’invention d’une nouvelle jurisprudence saisissable pour toutes les victimes d’armes chimiques et pesticides.
Nous appelons ainsi à soutenir massivement Tran To Nga dans ce procès en relayant cette tribune et en participant à la mobilisation. Le lundi 25 janvier 2021 n’est qu’une étape. Le combat de Tran To Nga sera encore long et douloureux : elle aura besoin de nous à ses côtés jusqu’à ce que justice soit rendue.
Justice pour toutes les victimes de l’Agent Orange-dioxine !
Premiers signataires : Association Vivre ; Collectif Stop Monsanto-Bayer ; Collectif Zéro ; hlordécone Zéro Poison ; Combat Monsanto ; Les Amis de la terre France ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Notre affaire à tous ; Nous voulons des coquelicots ; SOS Racisme ; Unef ; Union syndicale Solidaires ; Youth For Climate Paris
Saphia Aït Ouarabi, Vice-présidente de SOS Racisme
Julien Bayou, Secrétaire national EELV
Valérie Cabanes, Juriste internationaliste, autrice de Un nouveau Droit pour la terre, pour en finir avec l’écocide
Eric Coquerel, Député de Seine-Saint-Denis (LFI)
Daniel Cueff, Maire de Langouët
Camille Etienne, Militante à On est prêt
Malcom Ferdinand, Chercheur au CNRS
Grace Ly, Autrice, réalisatrice, cocréatrice du podcast Kiffe ta race
Akim Omiri, Humoriste
Fatima Ouassak, Militante antiraciste
Jessica Oublié, Autrice de bande dessinée
Eric Piolle, Maire de Grenoble
Dilnur Reyhan, Présidente de l’Institut ouïghour d’Europe
Maxime de Rostolan, Entrepreneur écologiste et militant
François Ruffin, Député de la Somme (LFI)
Marie Toussaint, Co-fondatrice Notre affaire à tous, Députée européenne EELV
Mathilde Panot, Vice-Présidente du groupe parlementaire La France insoumise