1825-2025, la dette d’Haïti a 200 ans !

Lettre ouverte commune au président de la République demandant la reconnaissance et la réparations de la dette imposée à Haïti en 1825

Haïti n’est pas simplement le sujet et le lieu d’une guerre lointaine et vieille de 200 ans. Cet anniversaire doit être celui de la reconnaissance et de la réparation d’une faute lourde commise par la France à l’encontre du peuple haïtien. Véritable rançon imposée par la France du roi Charles X et reprise par les Etats-Unis plus tard, la dette a été le prix à payer par les Haïtien-ne-s pour avoir mis fin à l’esclavage et conquis leur indépendance.

La Plateforme française de solidarité avec Haïti, la Plateforme des associations haïtiennes de France (Pafha), France-Amérique latine, le Collectif Haïti de France, la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains) et la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ont adressé au président de la République la lettre suivante :

 

M. le Président de la République,

Le mois prochain marquera le bicentenaire de ce que le New York Times a appelé en mai 2022 la « Rançon d’Haïti ». C’est en effet le 17 avril 1825 que, par une ordonnance du roi Charles X, la France a imposé une indemnité écrasante de 150 millions de francs-or aux habitants d’Haïti pour prix de leur indépendance – une indépendance qu’ils avaient pourtant gagnée les armes à la main depuis plus de vingt ans, après avoir infligé au Premier consul Napoléon Bonaparte sa première défaite militaire.

Ramenée finalement à 90 millions de francs-or en 1838, cette somme a servi à indemniser les anciens colons (puis leurs descendants, créanciers, ayant-droits…) qui avaient tiré profit de l’esclavage colonial à Saint-Domingue en continuant à faire travailler pour eux, pendant des décennies, le peuple d’Haïti qu’ils avaient exploité. Haïti a intégralement payé cette somme exorbitante, en s’endettant à plusieurs reprises auprès de la France, permettant à l’ancienne puissance coloniale de remettre la main par ce biais sur l’économie de son ancienne colonie.

L’ordonnance de Charles X et ses suites forment l’une des plus grandes injustices de l’Histoire, qui a ajouté aux crimes contre l’humanité de l’esclavage et de la colonisation l’indécence d’une spoliation inique, modèle de toutes les prédations néocoloniales des deux derniers siècles.

M. le Président de la République,

Nous, représentants d’associations, de fondations, de syndicats de France, d’Haïti, solidaires des Haïtiennes et Haïtiens et conscients de ce que ce peuple a apporté au monde, pensons qu’il est temps que la France reconnaisse officiellement cette injustice, et en tire toutes les conséquences.

D’abord dans les mots : nous vous demandons, le 17 avril prochain, de demander pardon au peuple haïtien au nom de la France pour plus de cent ans de colonisation, de traite et d’esclavage, et pour l’injustice redoublée qu’a été ensuite pour lui l’imposition de cette « double dette » qu’il a intégralement remboursée, à force de sacrifices.

Ensuite dans les actes : car cette reconnaissance doit engager la France à agir en faveur d’Haïti dans un esprit de réparation, d’abord pour aider le pays à sortir de la crise actuelle, et ensuite pour l’accompagner sur le chemin de sa reconstruction.

Cette démarche de réparations doit d’abord être celle de l’Etat, parce que l’ordonnance a été un acte résultant d’une volonté de l’Etat, le premier d’une longue série pendant tout le 19ème siècle, et parce que c’est finalement au Trésor Public français qu’est allé, au siècle suivant, le reliquat des sommes trop versées par Haïti pour rembourser sa double dette.

Cette démarche de réparations doit aussi associer les institutions financières et bancaires qui ont ensuite organisé la captation des revenus d’Haïti pour payer la « double dette » : d’abord la Caisse des Dépôts et Consignation, qui l’a gérée pendant exactement cent ans, de 1825 à 1925, et ensuite toutes les autres institutions françaises qui se sont enrichies en prêtant à Haïti durant cette période.

Cette démarche de réparations doit enfin être aussi celle des sociétés françaises et haïtiennes elles-mêmes, en mobilisant tous les moyens possibles pour transmettre la mémoire de cette histoire commune et en partager le sens que nous voulons lui donner : celui de la justice et de la solidarité, par-delà les blessures du passé.

La forme que prendront ces réparations doit être débattue, dans un dialogue organisé entre la France et Haïti, auquel devront être associées des représentants des sociétés civiles des deux pays ainsi que de la diaspora haïtienne. Nous sommes prêts à participer à ce dialogue, et nous vous invitons à créer les conditions pour qu’il s’engage effectivement, dès cette année.

M. le Président de la République,

Le 17 avril prochain, vous avez la possibilité de poser un geste historique, dont l’écho sera mondial. Ne ratez pas cette occasion de mettre un peu plus de progrès, d’espoir et de fraternité dans notre monde qui en manque tant.

C’est comme cela que nous continuerons de faire vivre le message universel de liberté et d’égalité que la Révolution Haïtienne a porté dans le monde en étant la première à renverser l’esclavage et la colonisation, il y a plus de deux siècles.

Vous comprendrez que nos organisations signataires et la Plateforme française de solidarité avec Haïti aient décidé de rendre publique cette lettre.

Mackendie Toutpuissan
Président d’honneur de la Plateforme des associations haïtiennes de France (Pafha)

 Fabien Cohen
Secrétaire général de France-Amérique latine

 Ornella Braceschi
Présidente du Collectif Haïti de France

 Patrick Baudouin
Président d’honneur de la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains)

 Nathalie Tehio
Présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme).

Paris, le 26 mars 2025

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