Analyse de l’article 17 du projet de loi par l’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création de la LDH
Il s’agit d’un projet de modification des articles 32 à 39 de la loi du 17 juin 1998 « relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs ».
La loi de 1998 institue un mécanisme de contrôle des documents audiovisuels permettant à l’autorité administrative d’interdire, sous peine de sanctions pénales, la diffusion de ces documents aux mineurs, « en raison de son caractère pornographique ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciales, à l’incitation, à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ».
Sont concernés tous les documents qui peuvent être fixés sur des CD, cassettes, DVD et autres jeux électroniques sont concernés. Concernant les contenus, il s’agit de tous les documents à l’exception des films ayant obtenu le visa d’exploitation de l’article 19 du code de l’industrie cinématographique. Ce peut donc être un livre sur CD, un documentaire, une archive, un film porno. Cela ne change pas dans l’article 17 du projet de loi.
La loi de 1998 avait mis en place une commission administrative composée de membres du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation, des représentants de l’administration, des professionnels des secteurs concernés et des personnes chargées de la protection de la jeunesse. L’existence de cette commission chargée de la surveillance et du contrôle de ces documents destinés à la jeunesse ne représentait pas une grande garantie, le ministre n’étant pas lié par les avis rendus par cette dernière. Mais elle avait le mérite d’exister et de permettre une discussion.
En pratique, le rôle de cette commission était tel face à la quantité de documents à surveiller qu’elle ne s’est réunie que deux ou trois fois et s’est auto dissoute.
L’article 17 du projet de loi supprime cette commission, ce qui signifie que le ministre de l’intérieur, en tant qu’autorité administrative, n’a plus aucun avis à demander.
Dans la loi de 1998, si « le document mentionné au premier alinéa présente un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciales, à l’incitation à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants » le ministre de l’intérieur pouvait, par arrêté motivé et après avis de la commission mentionnée à l’article 33, interdire :
-de proposer, de donner, de louer ou de vendre à des mineurs, les documents présentant un danger pour la jeunesse.
-de faire en faveur de ce document de la publicité par quelque moyen que ce soit.
Toutefois, la publicité demeure possible dans les lieux dont l’accès est interdit aux mineurs.
Ces interdictions pouvaient être cumulées.
Dans l’article 17 du projet, les films représentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère pornographique ne suivent pas le même régime que les documents représentant un danger en raison de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciales, à l’incitation à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants.
Les films « classés X » (présentant un danger pour la jeunesse à raison de leur caractère pornographique) doivent comporter une mention obligatoire, « mise à disposition des mineurs interdite » qui emporte, automatiquement, interdiction de proposer, donner, louer ou vendre le produit en cause aux mineurs. Cette interdiction emporte censure de tous les documents comportant un risque pornographique.
Les films pouvant comporter un risque pour la jeunesse en raison de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciales, à l’incitation à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants, font quant à eux l’objet d’une signalétique spécifique, dont les caractéristiques sont fixées par le ministre de l’intérieur, au regard du risque. Cette signalétique est destinée à en limiter la mise à disposition à certaines catégories de mineurs, en fonction de leur âge. Aucune interdiction automatique ne découle de cette signalétique.
La mise en oeuvre de ces obligations incombe à l’éditeur ou à défaut, au distributeur chargé de la diffusion en France du document. Cette précision qui n’existe pas dans la loi de 1998, permet de savoir directement quelle responsabilité engager, en cas de non respect.
L’autorité administrative (ministre de l’intérieur) a la possibilité d’interdire (cumul possible des interdictions) :
-Pour les documents représentant un danger autre que pornographique, de proposer, de donner de louer ou de vendre à des mineurs (même interdiction que dans l’article 32 de la loi de 1998.)
-Pour tous les documents, de les exposer à la vue du public en quelque lieu que ce soit. Toutefois, l’exposition demeure possible dans les lieux où l’accès est interdit aux mineurs (nouvelle interdiction qui condamne les documents concernés à être vendus par correspondance.)
-Pour tous les documents, de leur faire de la publicité par quelque moyen que ce soit. Toutefois, la publicité demeure possible dans les lieux dont l’accès est interdit aux mineurs (même interdiction que dans l’article 32.)
Dans la loi de 1998, l’éditeur, le producteur, le distributeur chargé de la diffusion en France du support soumis à l’interdiction, peut demander à en être relevé. Il s’agit d’une garantie. Dans l’article 17 du projet de loi sur la protection des mineurs, ce recours n’est plus mentionné.
Dans l’article 35 de la loi de 1998, la mention des interdictions prononcées doit être apparente sur chaque unité de conditionnement des exemplaires et insérée dans le document lui-même.
Dans le projet sur la protection des mineurs, cette mention n’apparaît plus, curieusement.
Les sanctions pour ne pas s’être conformées aux dispositions précédentes sont les mêmes.
La loi de 1998, s’inscrit dans la logique de la loi du 16 juillet 1949 « sur les publications destinées à la jeunesse ». Les régimes institués par les lois de 1949 et de 1998 permettent évidemment de censurer certaines publications pour des motifs purement politique (cf interdiction de l’hebdomadaire Hara-Kiri, arrêtés des 4 novembre et 1er décembre 1970).
Commentaires : la censure passe désormais par l’autocensure. C’est le distributeur ou l’éditeur qui décideront si le document (dont on rappelle qu’il peut être une oeuvre de création : documentaire non sorti en salle, livre enregistré, oeuvre d’artiste multimédia) présente un risque pour la jeunesse, critère flou et subjectif s’il en est. La commission était un mince garde fou qui saute, et les ambitions du ministre de l’intérieur de contrôler toutes les oeuvres (il cumule désormais le contrôle des publications) (et de la littérature en particulier), et de tous les documents audiovisuels ou enregistrés sur support, n’est désormais contrarié que par les compétences du ministre de la culture en matière de délivrance du visa pour la sortie en salle des films.
On revient, sous couvert de protection de l’enfance, à des règles qui ressemblent à celles qui ont valu à Flaubert un procès pénal en janvier 1857, et qui sont une menace évidente pour la liberté d’expression et pour la liberté de création. Qu’il y ait un contrôle de la violence exprimée dans les jeux vidéos n’a rien de choquant en soi. Que ce contrôle serve de prétexte à surveiller les oeuvres est inadmissible.