Manifeste de l’Association nationale des journalistes reporters photographes et cinéastes : Quand des photojournalistes se voient empêchés de montrer des sans-papiers menottés reconduits de force à la frontière, quand le parquet de Paris attaque les journaux qui publient les photographies des victimes de l’attentat du RER Saint Michel en juillet 1995, ou lorsqu’est frappée d’interdit la photographie du corps de Claude Erignac, premier préfet assassiné depuis Jean Moulin… le droit à l’information prévaut-il encore en France ? La liberté d’expression établie par la loi du 29 juillet 1881 a-t-elle perdu son sens ? Etrange époque qui cherche à blâmer celui qui montre plutôt que de s’interroger sur ce que l’image révèle. Les reporters photographes ont quotidiennement l’ingrate mission de montrer le monde tel qu’il est, mais on assiste aujourd’hui à une privatisation de l’espace public, du fait d’une dérive marchande du droit à l’image. Cette création jurisprudentielle française, fondée sur des arguments subjectifs, entraîne une multiplication des procès intentés par des personnes photographiées. Une forme de censure insidieuse frappe dorénavant la presse, et entrave quotidiennement les photojournalistes qui assument seuls dans bien des cas de lourdes condamnations. Le photojournaliste a pour vocation de « rester en prise directe avec la réalité » rappelait récemment Henri Cartier Bresson. Pourtant, face à des reportages qui ne nous offrent plus que des visages masqués, des images factices, des scènes virtuelles… et confrontés à des magistrats pour qui documenter le quotidien sans autorisation est un acte illicite, les milliers de photographes qui se reconnaissent dans son héritage seraient-ils des braconniers ? Revendiquer le droit d’ingérence de l’œil, c’est privilégier une attitude morale qui fait l’honneur de notre profession, pour que prévale le droit de mémoire. Face à cette situation intenable, nous interpellons les autorités publiques afin que soit restaurée une information digne, respectueuse des valeurs de la République, pour qu’on cesse de dresser des paravents entre le réel et le citoyen. La liberté d’expression et le droit à l’information sont les garants des libertés publiques et un élément de pérennité pour notre démocratie.