Texte initié par AIDES, Act Up Paris, le Centre gai et lesbien, Prochoix (fonds de lutte contre l’homophobie) et SOS homophobie : « Les pédés au bûcher ! » : c’est un des appels à la haine entendu parmi d’autres lors d’une manifestation anti-PACS organisée à Paris le 31 janvier 1999. « Pratique de la contamination sidaïque », c’est la traduction du mot PACS qu’a proposée le sénateur Emmanuel Hamel lors du passage du texte au Palais Bourbon. Des injures proférées par des manifestants aux courriers envoyés par Avenir de la culture au Premier ministre en passant par les plaisanteries douteuses imaginées par certains députés et sénateurs de l’opposition, l’année 1999 aura été riche en injures et incitations à la haine homophobes. Jamais l’homophobie n’aura été si clairement énoncée. Elle qui allait de soi au point d’être silencieuse il y a encore quelques mois, fut soudain criée, imprimée et brandie comme l’ultime valeur en péril d’un ordre moral en voie de marginalisation. Pourquoi se priver ? Contrairement au racisme et à l’antisémitisme, l’homophobie est un « sport » parfaitement légal. Là où l’Etat use de sa force symbolique pour tracer la frontière de l’inexcusable et intimider ceux qui tiennent des discours de haine anti-étrangers ou anti-juifs, sa jurisprudence semble donner raison à ceux qui promettent les homosexuels au bûcher. Contrairement à la LICRA ou au MRAP, aucune association représentative homosexuelle n’a la possibilité de se porter partie civile lorsqu’un journal, une organisation ou un groupe tient un discours homophobe. Seul un individu, nommément attaqué, a la possibilité de porter plainte pour diffamation ou injure. Que faire alors contre ces affiches « PACS = pédés » collées le long des manifestations anti-PACS ? Que faire contre ce dessin du journal Présent (proche du FN, tendance catholique traditionaliste) montrant en première page une caricature d’un couple d’hommes en train de tendre les bras à un petit garçon sur le thème : « Viens mon petit, nous allons t’accueillir… à draps ouverts ». Ici, comme toujours, personne n’est cité nommément. Ce sont tous les homosexuels que ce journal accuse d’être pédophiles. Pour qu’une association les représentant puisse se porter partie civile sans craindre d’être jugée irrecevable, il faut modifier la loi. C’est pourquoi nous proposons d’élargir la loi du 29 juillet 1881, ainsi que les articles du Code de procédure pénale s’y rapportant, dans ce sens : « Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits qui se propose par ses statuts de combattre le sexisme ou l’homophobie, ou d’assister les victimes de discriminations fondées sur leur sexe ou leur orientation sexuelle, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les articles 24 alinéa 6, article 32 alinéa 2 et article 33 alinéa 3 ». A savoir tout ce qui concerne l’injure, l’incitation à la haine, les atteintes à l’intégrité ou les discriminations en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle. Bien sûr, nous sommes conscients du pouvoir limité de toute législation allant dans le sens d’une répression du discours haineux. De même que les lois anti-racistes n’ont pas fait disparaître le racisme, les lois permettant aux associations homosexuelles de porter plainte ne mettront pas fin à l’homophobie. Les discours d’exclusion, les réflexes discriminatoires, les a priori et les préjugés font partie d’une mécanique redoutablement plus complexe. Permettre à ceux qui en sont victimes de se défendre nous paraît indispensable mais en aucun cas suffisant. Cela reviendrait à soigner les symptômes d’un mal sans s’attaquer à leur cause. A l’image de pays qui ont entrepris de faire leur auto-critique, nous pensons qu’il est temps que la France réfléchisse en profondeur aux moyens de lutter contre la haine sous toutes ses formes. Éduquer, former, sensibiliser. Voilà les maîtres mots d’un programme qui permettrait à des générations d’apprendre à ne plus fonctionner sur le principe de l’exclusion, de la méfiance vis-à-vis de l’autre. Mais une telle ambition suppose des moyens. La création d’une autorité qui réfléchisse à une stratégie nationale de lutte contre la haine et les discriminations. Des campagnes nationales pour interpeller, expliquer, et enfin déconstruire ce qui génère de l’homophobie, du sexisme, de l’antisémitisme et toute forme de racisme. Des programmes de formation destinés à sensibiliser différents corps professionnels amenés à être en contact – et donc à agir dans un sens soit négatif soit positif – sur toutes ces questions : les policiers, les travailleurs sociaux, les professeurs, etc. Sans parler des moyens nécessaires pour permettre aux associations qui font déjà un travail d’accueil et d’écoute capital de continuer et de remplir leur mission dans de bonnes conditions. Ce que nos demandons, ce n’est pas une simple mesure de protection vis à vis de l’homophobie. Ce que nous voulons, c’est une véritable stratégie – répressive et préventive – contre l’incitation à la haine et les discriminations. Pour en finir avec le rejet, l’intolérance et le mépris. Pour ne plus laisser les victimes de l’homophobie seules avec leur lutte. Et dire enfin clairement ceci : l’homophobie n’est pas le problème des homosexuels. C’est celui des homophobes.