Le 10 décembre, la LDH est intervenue lors d’un meeting de soutien à Mumia Abu Jamal à la Bourse de travail de Saint Denis. Texte du discours prononcé par Henri LECLERC, président de la LDH « Si nous voulons sauver Mumia Abu Jamal nous ne pourrons le faire qu’en réunissant nos forces. La mort est là qui le menace, toute proche peut-être. Les reports successifs de la date de son exécution ne doivent pas désarmer l’opinion et le mouvement ne doit maintenant cesser de s’amplifier jusqu’à ce que nous ayons obtenu sa grâce et la révision de son procès. Ce n’est pas le moment de nous disputer, de camper sur nos positions d’organisation, de nous affronter sur les raisons quelquefois différentes qui nous mobilisent. Il nous faut agir, tous ensemble. Pourquoi donc la Ligue des droits de l’homme s’engage-t-elle dans ce combat ? Notre organisation a célébré l’an dernier son centenaire. C’est il y a cent ans, en effet, qu’Alfred Dreyfus fut libéré à la suite du fabuleux mouvement d’opinion qui finit pas s’imposer face à ceux qui, sachant qu’il était innocent, se refusaient à le reconnaître au nom de la raison d’Etat. En 1898 des citoyens avaient décidé de s’unir pour sauver cet innocent injustement condamné, et défendre ceux qui, dénonçant les turpitudes et les mensonges des plus hautes sphères de l’Etat républicain et de l’Etat-major de l’armée, étaient à leur tour, comme Emile Zola, condamnés. Mais la Ligue des droits de l’homme ne voulut pas se limiter à ce combat, elle poursuivit son action pour défendre les libertés menacées, les droits de l’homme violés et l’injustice sociale. Il faut défendre Mumia parce qu’il est le symbole de l’innocence injustement et volontairement condamnée. Dreyfus était juif et officier de l’armée française, c’était un bourgeois. Mais comme le disait Jean Jaurès entraînant les forces du prolétariat dans la lutte pour la révision de son procès « il est innocent ; il n’est plus ni un officier ni un bourgeois, il est dépouillé par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe ; il n’est plus que l’humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir qui se puisse imaginer ». Mumia lui, est noir, journaliste et révolutionnaire, mais c’est aussi et d’abord un innocent injustement condamné. Comme pour Dreyfus, on a fabriqué contre lui de fausses preuves, et faussement prétendu qu’il aurait en secret avoué et il a été victime d’un procès truqué que les autorités se refusent à refaire. C’est au nom de l’humanité qu’il faut le défendre. Mais de plus il est condamné à mort. Il est le symbole de tous les condamnés à mort, des milliers qui attendent aux Etats-Unis dans les couloirs de la mort, ce lieu atroce d’inhumanité, d’être électrocutés sur la chaise, asphyxiés par le gaz ou empoisonnés par la piqûre. En 1999 il y aura eu aux Etats-Unis cent exécutions alors qu’il y en avait moins de cinq par an après le rétablissement du châtiment suprême dans les années 70, entre 10 et 20 dans les années 80, que ce nombre est passé de 30 à 40 de 1990 à 1995 et n’a cessé depuis d’augmenter tous les ans dans d’effrayantes proportions. Mumia est, au-delà de l’intolérable situation américaine, le symbole de tous ceux qui subissent ou attendent de par le monde cette mort donnée par les Etats mais aussi de ceux que l’on tue chaque jour d’une balle dans la nuque en Chine, d’Ocalan dans sa prison de Turquie, des juifs de Téhéran ou des femmes lapidées de Kaboul, quoi qu’ils aient fait, politiques ou non, qu’ils risquent d’être pendus, fusillés, décapités, que sais-je encore ? puisque l’imagination des assassins légaux n’a pas de limites. La peine de mort est une survivance de la barbarie. Et en combattant pour Mumia nous combattons pour qu’elle soit enfin éradiquée de la surface de la terre. Mais il est aussi le symbole de l’atroce justice américaine qui enferme chaque jour des milliers de pauvres après d’iniques procès. Il y a aujourd’hui près de 2 millions de prisonniers aux Etats-Unis. Sept pour mille habitants. Une proportion énorme, unique dans l’histoire, supérieure à celle de l’Afrique du Sud au pire moment de l’apartheid. La population pénale y a triplé en quinze ans. La lutte contre la pauvreté qui touche 35 millions de personnes dans le pays le plus riche du monde, se fait par la réduction des budgets sociaux et l’accroissement inversement proportionnel des budgets pénitentiaires. Les noirs y sont enfermés en nombre infiniment plus grand que leur proportion dans la société américaine. Ceci nous concerne directement puisque les politiques sécuritaires, que l’on préconise en France et en Europe, poussent également à une inflation pénale pour répondre aux délinquances de la misère et emplissent nos prisons de pauvres généralement jeunes avec une proportion importante d’étrangers ou de personnes issues de l’immigration. La pratique américaine nous entraîne. Ici, comme là-bas, on veut enfermer nos « sauvageons ». Mumia est aussi le symbole de la lutte que nous devons mener contre ces dérives qui sont, sans que ceux qui y incitent en prennent toujours conscience, le fruit d’une conception de l’ultra-libéralisme mondial qui réduit les politiques d’aide sociale pour les remplacer par la criminalisation de la misère. Cette politique insensée qui enferme et qui tue les pauvres, cette justice qui écrase les plus faibles sont aussi le symbole du racisme qui envahit la société américaine et peu à peu la nôtre si nous ne résistons pas. Là aussi, Mumia est un symbole. Le rêve américain est devenu cauchemar. En 1927 d’immenses manifestations eurent lieu à travers le monde et particulièrement à Paris pour tenter de sauver Sacco et Vanzetti, anarchistes déjà injustement condamnés aux Etats-Unis pour assassinat et dont la Ligue des droits de l’homme, qui s’engagea résolument dans ce mouvement, disait qu’il s’agissait « d’une affaire Dreyfus aux Etats-Unis ». Sacco et Vanzetti furent exécutés. Mais les choses ont changé. Le monde s’est rétréci. La mondialisation de l’économie pose les mêmes problèmes à tous les peuples qui savent qu’il faut lui opposer une autre conception, fondée sur la justice et lutter ensemble contre la terreur et la misère qui déchirent chaque jour un peu plus la planète, au mépris de cette égalité en droit et en dignité de tous les membres de la famille humaine que proclamait la Déclaration universelle il y a cinquante ans. Le peuple américain doit être présent dans cette révolte de la vie qui se lève. A Seattle, au mois de novembre, il a été prouvé que les citoyens du monde pouvaient agir. Il faut que ce soit une campagne civique universelle qui prenne la défense de Mumia parce qu’il est innocent, parce que sa mise à mort serait, comme toute exécution capitale, un crime, parce qu’il faut faire reculer concrètement le racisme et s’opposer à la criminalisation de la pauvreté. En sauvant Mumia, nous vengerons Sacco et Vanzetti, plus de soixante-dix ans après leur injuste assassinat judiciaire, et poserons la première pierre d’un monde plus juste et plus fraternel. »