Tribune collective signée par Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH
Alors que s’ouvre le procès de deux militants basques ayant participé à la neutralisation de l’arsenal de l’Euskadi Ta Askatasuna (ETA), un collectif comprenant l’avocat Henri Leclerc, le philosophe Edgar Morin et l’écrivaine Marie Darrieussecq, demande à l’Etat, dans une tribune au « Monde », d’« ouvrir la voie au vivre-ensemble »
Les 2 et 3 avril, à Paris, Béatrice Molle-Haran et Txetx Etcheverry seront jugés pour leur implication dans la neutralisation de l’arsenal de l’organisation Eta, le 16 décembre 2016, à Louhossoa. Dans une actualité chaque jour plus marquée par la guerre et les conflits violents, il est plus que jamais nécessaire de préserver la paix au Pays basque. Ce procès aura, en ce sens, une résonance très particulière.
En 2011, trois jours après la conférence internationale d’Aiete [à Saint-Sébastien en Espagne] présidée par Kofi Annan, l’Eta avait en effet annoncé l’arrêt irréversible de la lutte armée. Une fois ce pas franchi, la déclaration d’Aiete encourageait les Etats français et espagnol à ouvrir un dialogue traitant des conséquences du conflit basque.
Ce ne fut pas le cas : les Etats n’ont pas reconnu Aiete comme un acte diplomatique – situation paradoxale s’il en est puisqu’ils ne cessaient d’exiger le désarmement et la dissolution de l’organisation. La France comme l’Espagne ont poursuivi une politique d’exception à l’égard des prisonniers basques – jusqu’à empêcher l’Eta de procéder au démantèlement sécurisé de son arsenal.
Un modèle unique de désarmement
C’est finalement l’opération de désarmement de Louhossoa [Pyrénées-Atlantiques] qui a produit l’étincelle nécessaire : dans la droite ligne de leurs engagements pacifistes, les « artisans de la paix » y ont fait la démonstration de leur conscience citoyenne. Cette action a valu à Béatrice Molle-Haran et Txetx Etcheverry d’être arrêtés et placés en garde à vue « antiterroriste » – et ce bien qu’elle ait été applaudie et soutenue par la société basque et ses représentants, toutes sensibilités politiques confondues. Elle a d’ailleurs fait du modèle basque un modèle unique de désarmement où les élus locaux ont, par la suite, agi main dans la main avec la société civile.
Le 8 avril 2017, à Bayonne [Pyrénées-Atlantiques], une « journée du désarmement » s’est ainsi tenue, d’abord à l’hôtel de ville puis dans le cadre du rassemblement historique d’une foule immense et silencieuse. Ce désarmement a été possible grâce à Bernard Cazeneuve, le premier ministre français de l’époque, qui souhaitait l’inscrire dans le respect de l’Etat de droit – ce qui fut fait, avec la remise des coordonnées GPS des caches d’armes à Samuel Vuelta Simon, procureur de la République de Bayonne et ancien magistrat de liaison à Madrid.
Le 3 mai 2018, l’organisation Eta a annoncé sa dissolution. Dans le même temps, un espace de discussion s’est ouvert avec le ministère de la justice et la présidence de la République française sur la question des prisonniers basques. Des avancées ont eu lieu, qu’il s’agisse du rapprochement des prisonniers ou des décisions de libération conditionnelle. Mais, finalement, l’Etat n’a su répondre que par une logique de confrontation jusqu’à la fermeture du dialogue.
Une aberration
Le procès des participants à l’initiative de Louhossoa n’est qu’une aberration de plus dans le long et difficile parcours entamé, par la société basque, vers son avenir. Ce parcours est exempt de toute volonté de revanche : au contraire, il s’inscrit dans le respect et la reconnaissance à l’égard de toutes les victimes ainsi que des personnes encore incarcérées ou en exil.
Au-delà de la décision du tribunal, qui ne saurait être qu’une relaxe de Béatrice Molle-Haran et Txetx Etcheverry, la question posée relève plus de la sphère politique que du prétoire. L’histoire récente montre en effet que le pouvoir politique ne doit pas se défausser sur l’autorité judiciaire : il doit lancer des rencontres et des espaces de dialogue pour promouvoir un plan de paix. Il ne s’agit pas de légitimer la violence : il s’agit, au contraire, d’ouvrir la voie au vivre-ensemble, d’œuvrer au travail de mémoire – une mémoire collective si ce n’est commune, que le Pays basque doit à ses enfants comme à ses aïeux.
L’Etat ne doit pas attendre que les choses dégénèrent de nouveau pour entrer dans la voie du dialogue : il ne saurait prendre le risque de raviver les braises que les « artisans de la paix » et tant d’autres ont contribué à éteindre.
Liste des signataires : Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international et ancien gouverneur de la Banque de France ; Florence Delay, écrivaine ; Edgar Morin, sociologue et philosophe ; Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, ancienne ministre du logement (2012-2014) et ancienne députée EELV (2014-2017) ; Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Marie Darrieussecq, écrivaine.