Tribune signée par Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Dominque Sopo, président de SOS Racisme et Augustin Grosdoy, co-président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)
Que pouvait-on attendre du Beauvau de la sécurité sur les rapports entre la police et la population ? Une rupture salutaire. Faut-il le rappeler, les impatiences étaient au rendez-vous, c’est même elles qui avaient provoqué l’initiative. Trop d’affaires, trop de bavures, trop de violences, trop de soupçons de racisme assumé ont fini par rendre impossible le statu quo silencieux qui étouffe les missions de service public de la police et dégrade, tant moralement que matériellement, les conditions de son exercice. Le président de la République a donc annoncé le 8 décembre 2020 la tenue du Beauvau de la sécurité et, fin février, son Premier ministre précisait que l’initiative devait permettre rien moins qu’une « mise en perspective, une approche sociétale, une démarche participative qui viennent éclairer les pouvoirs publics sur les politiques de sécurité ».
Mais, contrairement aux propos du Premier ministre, le « Beauvau de la sécurité » a exclu la société civile, manifestant ainsi un refus de tout dialogue rationnel et tout débat démocratique sur ces politiques.
Et le programme annoncé n’a pas été tenu, loin s’en faut. Mais faut-il s’en étonner ? La doctrine politique d’exercice du pouvoir régalien de maintien de l’ordre légitime des politiques de maintien de la paix publique de plus en plus restrictives et attentatoires aux libertés ; elle s’appuie sur des lois récentes, dont le caractère liberticide est tel que plusieurs de leurs dispositions majeures ont été annulées.
C’est le cas de la loi dite « Sécurité globale », censurée sur plusieurs points majeurs par le Conseil constitutionnel, notamment ceux concernant la photographie de policier en activité et le transfert de tâches nationales aux policiers municipaux. C’est également le cas du « Schéma national de maintien de l’ordre », dont une partie a été annulée par le Conseil d’Etat.
Corrélativement à cette orientation funeste, un bras de fer s’est engagé entre l’exécutif et des syndicats de policiers, à leur initiative, pour, au prétexte de « soutien aux forces de l’ordre », déporter le débat public en manifestant pour stigmatiser la justice et réclamer de pouvoir prendre le pas sur elle. La « mise en perspective », « l’approche sociétale » et la « démarche participative » en ont fait les frais.
Le « Beauvau de la sécurité » n’a guère pratiqué qu’un entre-soi institutionnel et s’est rétracté sur les seuls enjeux d’une « modernisation » des moyens techniques, très loin d’un projet de rétablissement des liens de confiance de la population en un service public « gardien de la paix » et par conséquent plus loin encore de toute velléité d’aborder les violences policières, les comportements racistes et discriminatoires des forces de l’ordre. Retour à la case départ, donc, aggravé d’une poursuite imperturbable de la philosophie du continuum de sécurité entre les forces régaliennes (police et gendarmerie), les polices municipales et les sociétés privées de sécurité qui est le cœur du Livre blanc de la sécurité.
Rétablir la police dans son rôle de service public au service des droits et des libertés reste donc plus que jamais une urgence républicaine et démocratique. Il est plus que jamais nécessaire de dresser un bilan de la multiplication des interdits, des délits et des politiques répressives menées au regard de l’efficacité sur les causes et objectifs publics poursuivis. Un tel chantier légal et institutionnel, indispensable pour mettre fin aux pratiques discriminatoires et remédier aux défauts d’encadrement et de formation, suppose une réflexion et une concertation large avec l’ensemble de la société.
Les débats sont anciens et ils ont fait émerger des propositions valides, en état de permettre une amélioration des rapports police-population en intégrant l’amélioration des conditions de travail, d’encadrement et de formation jusqu’à la redéfinition qualitative des missions, qu’il s’agisse de l’accueil dans les commissariats, des opérations de maintien de l’ordre, des contrôles d’identité et les dérives qui les accompagnent les transforment trop souvent en des « contrôles au faciès », ou encore de la politique « du chiffre », toujours à l’honneur. Voilà ce dont il aurait fallu mettre en débat, afin d’affirmer un changement de doctrine politique d’exercice du pouvoir régalien de maintien de l’ordre. Avec ces propositions, il s’agit bien de replacer l’Etat de droit, la garantie des droits fondamentaux et le respect des personnes au cœur des préoccupations politiques et policières. La police peut y regagner la confiance de la population et corrélativement, voir les conditions d’exercice de ses prérogatives valorisées et facilitées.
Le gouvernement a choisi de les ignorer. Son déni silencieux ne fera qu’exacerber les problèmes sur le terrain et rendre encore et toujours plus difficile d’échapper aux dynamiques du pire. Nous continuerons donc à alimenter le débat public.
Signataires :
Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Dominque Sopo, président de SOS Racisme
Augustin Grosdoy, co-président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)
Paris, le 20 juillet 2021
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