2000 – RAPPORT ANNUEL – 22 juin – Gens du voyage: recours au Conseil d’Etat sur la question de la domiciliation

Cette conférence de presse était organisée par l’ASAV (Association pour l’accueil des gens du voyage), le GISTI, (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés), et la LDH, à propos de la circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets en date du 3 août 1999 relative à la production d’attestations délivrées par des organismes d’accueil en vue d’obtenir certains droits.

TEXTE D’APPEL : 

Nous comptons, à cette occasion, vous informer de notre prochain recours devant le Conseil d’État, à l’encontre d’une circulaire du ministère de l’Intérieur aux préfets, en date du 13 août 1999, relative à la production d’attestations délivrées par les organismes d’accueil aux gens du voyage en vue de l’obtention de certains droits.

Dans cette circulaire, le ministre « rappelle » aux préfets qu’il y a lieu « de refuser les attestations de domicile émanant d’associations, qui seraient produites par des gens du voyage », lorsque ces derniers les présentent pour se faire délivrer des documents administratifs, leur permettant de bénéficier de certains droits (carte nationale d’identité, carte d’électeur, prestations sociales…). 

Nous demandons l’annulation de cette circulaire pour plusieurs raisons :

1) loin d’être un simple rappel de consignes ou de recommandations, cette circulaire revêt un caractère réglementaire, puisqu’elle se présente sous la forme d’un ordre du ministre aux préfets ;
2) cet ordre du ministre dépasse largement le cadre de ses compétences, puisqu’il ne s’agit pas d’un ordre relatif à l’organisation de son service, mais d’une norme nouvelle et générale pour laquelle le ministre n’est pas compétent ;
3) cette norme nouvelle est contraire à la loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion, qui permet expressément la domiciliation des gens du voyage au sein d’associations dans le cadre du RMI ;
4) cette norme nouvelle donne une interprétation erronée de la loi n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l’exclusion en ce qui concerne la délivrance des cartes d’identité et des inscriptions sur les listes électorales ;
5) enfin, cette circulaire viole deux droits fondamentaux, car elle porte atteinte d’une part à la liberté d’aller et venir, et ne respecte pas, d’autre part, le principe d’égalité entre les administrés. 

Les associations d’accueil ou de défense des droits des gens du voyage, bénéficiant d’un intérêt à agir, se sont donc réunies pour former ce recours. Les signataires sont :

  • l’Association d’accueil des gens du voyage (ASAV),
  • le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI),
  • la Ligue des droits de l’homme (LDH),
  • l’Union nationale des institutions sociales d’action pour les Tsiganes (UNISAT),
  • l’Union régionale des associations de la région Île-de-France pour la promotion des Tsiganes et autres gens du voyage (URAVIF),
  • le Centre culturel gitan,
  • l’Association départementale des itinérants (ADI),
  • Emmaüs Alternatives.

Il est essentiel pour nous de préserver la liberté de choix des gens du voyage en matière de domiciliation, chez un particulier, au sein des services publics (C.C.A.S…) ou au sein des associations agréées. Il s’agit bien souvent de la seule adresse dont certaines personnes itinérantes ou semi-sédentaires disposent pour faire envoyer leur courrier. Et, en ce qui concerne les courriers administratifs, notamment les courriers relatifs aux prestations familiales, et à la couverture sociale, la domiciliation au sein d’associations est très importante, car les membres de ces organismes sont en général immédiatement sollicités par les gens du voyage afin de les aider à remplir des dossiers, ou afin de les accompagner dans leurs démarches administratives et aussi dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle. Il faut en effet savoir que les problèmes d’analphabétisme ou d’illettrisme  touchent près de 80% des adultes et des adolescents (source ONISEP, L’École, pour avoir sa place, Validation du comité de pilotage, 28 octobre 1999).

Si cette circulaire est légalement contestable, elle est également critiquable en ce qu’elle fait du ministre de l’Intérieur le ministre compétent en matière de droits sociaux des gens du voyage.

Madame la ministre des Affaires sociales ne s’y est pas trompée puisque par deux réponses elle a clairement contredit Monsieur le ministre de l’Intérieur. D’abord dans une réponse ministérielle (n°18128 JO Sénat Q, 6 janvier 2000, p.47), elle précisait que « rien ne s’oppose bien entendu à ce que le bénéficiaire du RMI soit domicilié dans sa commune de rattachement, mais celle-ci n’est pas légalement opposable pour la domiciliation au regard du RMI, la liberté de choix étant laissée aux intéressés ». Ensuite, dans un courrier à des associations en date du 15 décembre 1999, elle posait le principe selon lequel les gens du voyage devaient être considérés comme sans résidence stable au sens de la loi de 1988 relative au RMI, et pouvaient alors être domiciliés dans ces associations afin d’exercer leurs droits et obligations.

Le 24 mai 2000, Martine Aubry est allée encore plus loin, puisqu’elle a déposé un projet de loi, où elle propose que la domiciliation des gens du voyage au sein d’associations dispose d’un véritable cadre légal.

A l’heure actuelle, ces domiciliations ne sont prévues que dans le cadre d’agréments délivrés par le préfet aux associations qui en font la demande. Cette loi aurait l’avantage de garantir au mieux les droits des associations qui veillent aux intérêts des gens du voyage.

Mais cette loi n’est pas encore adoptée, et en attendant, il est demandé aux administrations de suivre les « recommandations » du ministre de l’Intérieur.

Outre la question des droits sociaux, la circulaire contestée précise que les gens du voyage ne peuvent produire une attestation émanant d’une association ou d’un organisme d’accueil à l’appui d’une demande de carte nationale d’identité ou pour une inscription sur les listes électorales.

Sur le premier point, la circulaire est contraire à la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions qui vise à faciliter l’attribution d’une carte d’identité pour les personnes dépourvues de domicile fixe.

Sur le point relatif à l’inscription sur les listes électorales la circulaire fixe un nouvel obstacle à l’exercice de la citoyenneté pour les gens du voyage en parfaite contradiction avec les textes, et en décalage avec les débats actuels sur la citoyenneté.

Alors qu’on semble s’entendre à gauche sur la nécessité d’étendre la notion de citoyenneté, une nouvelle restriction est posée dans l’exercice du droit de vote des gens du voyage.

Régis par un système d’autorisation préalable municipale, contingentés par un quota légal de 3% de la population municipale comme le stipule la loi de 1969, les gens du voyage voient l’exercice de leur citoyenneté conditionné à un rattachement ininterrompu de trois ans dans la même commune.

Au terme de ces obstacles, ce ne sont pas moins de 75% des gens du voyage qui sont privés du droit de vote (selon le rapport du préfet Delamon au Premier ministre en date du 13 juillet 1990).

La minorité des gens du voyage est en ce moment au cœur d’un débat parlementaire, puisque depuis plusieurs mois, l’Assemblée nationale et le Sénat discutent de la proposition de loi de M. Delevoye, visant à réformer la loi Besson de 1990 qui concerne les aires de stationnement réservées aux gens du voyage.

Le 21 juin, les sénateurs se pencheront à nouveau sur ce thème et voteront le texte modifié par l’Assemblée nationale.

Les questions relatives à la citoyenneté et à la possibilité de se faire domicilier au sein d’associations pour garantir une véritable insertion dans la société française en accédant à la connaissance de ses règles – c’est l’objet des associations d’accueil des gens du voyage que de permettre aux populations d’origine tzigane de mieux connaître les lois, leurs droits et leurs obligations – ne seront pas abordées à cette occasion.

Il faut cependant qu’un débat public ait lieu, tôt ou tard, sur la place de cette minorité française depuis plusieurs générations.

La tendance des pouvoirs publics à élaborer une législation et une réglementation spécifiques concernant cette population est une volonté politique pour faciliter une certaine forme de « gestion » des dossiers et un contrôle social lié à des enjeux d’ordre public. Elle ne correspond pas à la réalité sociologique, ni au désir des gens du voyage, ni au respect de chaque citoyen à la diversité des modes d’habitat et d’exercices professionnels.

Si cette population veut, certes, bénéficier des prestations qui sont offertes à l’ensemble de la population française, et si elle accepte de plus en plus la scolarisation de ses enfants, elle souhaite également perpétrer la tradition d’une certaine forme d’itinérance à travers le territoire.

Même s’ils sont pour l’essentiel français, les gens du voyage peuvent sur bien des points être assimilés aux étrangers : statut dérogatoire au droit commun, citoyenneté limitée, victimes d’un régime policier et de politiques locales ségrégatives.

Incarnant plus que tout autre le sens de la communauté, ils mettent au défi le « creuset français », travaillé par le souci d’effacer les particularismes, de respecter le droit à la liberté d’aller et de venir, le principe d’égalité et la diversité des organisations de vie dans le cadre de la législation de droit commun. Symbolisant comme nul autre la liberté de circulation, ils font sauter les frontières nationales et locales.

Il n’est alors pas étonnant que les pouvoirs publics tentent de les astreindre à résidence et de les sédentariser, parfois au mépris des droits fondamentaux.

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