Dénoncées avec force pendant la guerre d’Algérie, la pratique généralisée de la torture et son institutionnalisation ont fait prendre conscience de l’horreur de cette guerre coloniale. Malgré quelques beaux films et quelques grands livres, le silence, alimenté par l’amnistie du 22 mars 1962, était retombé sur cette tragédie. Quarante ans plus tard, un appel lancé par douze intellectuels (dont Henri Alleg qui survécut à « la question » et Josette Audin, la veuve d’un jeune mathématicien qui succomba) suscite des centaines de témoignages, recueille des milliers de signatures. Des généraux s’expriment : certains avouent et regrettent, d’autres reconnaissent les faits, d’autres continuent à nier. Des consciences sont soulagées. De toute façon, une chape de plomb a été soulevée. La vérité se fait jour à travers les médias.
La Ligue des droits de l’homme, qui garde reconnaissance à Daniel Mayer pour l’intransigeance dont il fit preuve à sa tête depuis 1958, soutient l’initiative des Douze. Il ne s’agit ni de compensation financière, ni de vengeance, ni de repentance. La police qui torturait en Algérie avant la guerre, l’armée française ne furent d’ailleurs pas seules à utiliser des pratiques aussi intolérables. Le peuple algérien comme le peuple français ont droit à une démarche d’entière vérité. C’est elle que nous appelons.
La torture doit être condamnée en toute circonstance, de manière absolue en raison de sa radicale inhumanité. Cela étant acquis et intangible, la LDH tient aussi à déclarer qu’on ne saurait jamais renvoyer dos-à-dos les dominants et les dominés, l’État colonisateur et les colonisés : c’est se conduire en hommes libres que de désigner à chaque moment les responsables et les responsabilités. En République c’est bien sûr le pouvoir politique qui, s’il ne donnait pas les ordres, couvrait et de fait encourageait les pratiques.
Pour que puissent s’affirmer des relations d’entière égalité entre la France et l’Algérie d’aujourd’hui, pour que la République française sorte grandie de cet effort de mémoire, de ce travail d’histoire, la Ligue demande au Président de la République et au Premier ministre (dont les premières réactions ont été encourageantes) de condamner publiquement la pratique massive de la torture pendant la guerre d’Algérie.
Paris, le 25 novembre 2000