Tribune d’Henri Leclerc (publiée dans Libération le 14 février 2000) :
On parle beaucoup aujourd’hui de la responsabilité pénale des élus et des fonctionnaires du fait des imprudences et des négligences commises dans l’exercice de leur fonction et qui ont entraîné un décès ou des blessures. Il est en tout cas une catégorie de fonctionnaires bien protégés de ces mésaventures judiciaires : ce sont les gendarmes.
Un décret très ancien du 20 mai 1903 donne aux gendarmes le droit de faire usage de leurs armes à feu « lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt ». Un gendarme fut un jour heurté volontairement et renversé par un véhicule qui prit la fuite. Il tira deux coups de feu dans la partie basse du véhicule, puis à travers la lunette arrière, de manière quasi horizontale à tir tendu et à hauteur des personnes assises, touchant le conducteur en pleine tête.
La cour d’appel de Grenoble estima que ce gendarme, tant en raison des violences qu’il avait subies que du fait de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait d’immobiliser le véhicule, si ce n’est par l’usage des armes, ne pouvait être poursuivi pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Mais la cour jugea que l’autorisation donnée de faire usage de son arme n’empêche pas les gendarmes d’agir avec prudence et un minimum d’adresse. Elle décida qu’en l’espèce le tir instinctif qui avait atteint la victime avait été « porté de manière particulièrement imprudente et maladroite » quant à sa direction et sa hauteur et qu’il convenait donc de retenir la responsabilité pénale du gendarme pour homicide involontaire.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 janvier 2000, ne conteste pas qu’il y ait eu imprudence et maladresse, mais elle estime que la cause d’irresponsabilité pénale prévue par le décret de 1903 « s’étend aux fautes involontaires commises au cours de l’exécution de l’acte prescrit ou autorisé par la loi ». Et elle casse l’arrêt de Grenoble sans renvoi devant une autre cour d’appel, c’est-à-dire qu’elle rend une décision définitive. Pourquoi donc les gendarmes se donneraient-ils désormais la peine, lorsqu’ils tirent sur une voiture qui s’enfuit, de prendre quelques précautions que ce soit pour que ce délit de fuite ne soit pas puni de la peine de mort ? A chacun d’apprécier.