2000 – RAPPORT ANNUEL – Sur la révision des lois de 1994 sur la bioéthique

CNCDH
(Commission nationale consultative des droits de l’Homme)

Avis portant sur LA REVISION DES LOIS DE 1994 SUR LA BIOETHIQUE (adopté par l’assemblée plénière 29 juin 2000)

Préambule: les principes

Cette révision suscite dans la société française des débats aussi riches que complexes. Ils ont fait déjà l’objet de plusieurs études et tentatives de synthèse, ne serait-ce qu’au sein de la Commission elle-même qui avait beaucoup travaillé sur un avant projet. Aujourd’hui, elle est appelée à formuler sa position, à un moment où se sont déjà livrés à des études approfondies l’ Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques , le Conseil d’État et qu’académies et Comité d’éthique vont aussi se prononcer.

Le propos de la Commission n’est ni de perfectionner tous ces travaux ni d’arbitrer entre ceux-ci. Il est de donner au gouvernement un avis en référence aux droits de l’homme. En outre, l’évolution des connaissances scientifiques imposera une révision périodique de la loi.

Parce que nous en sommes , face aux progrès de la connaissance, à imaginer une nouvelle génération de droits, la situation est assez paradoxale. En fait, il n’existe pas encore vraiment un corps de principes à portée universelle et internationalement reconnus par rapport auxquels il faut mesurer les enjeux des réformes. Plus exactement, il existe un début de reconnaissance universelle avec la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme et un début de droit conventionnel avec la convention d’Oviedo que notre pays n’a pas encore ratifiée.

1 – Dans ce contexte , il faut bien constater que, par rapport à l’ensemble du sujet, le travail conceptuel le plus avancé a été fait dans notre pays, au moment où ont été adoptées et soumises au contrôle de constitutionnalité l’ensemble de lois dites de bioéthique qu’il s’agit de réviser.

Par conséquent, en nous reportant aux raisons pour lesquelles ces lois ont été déclarées conformes à la Constitution, nous n’entendons pas prétendre que brusquement le contenu des droits de l’homme doit être recherché dans l’interprétation de la Constitution française. Nous constatons seulement qu’un travail substantiel d’élaboration de principes a alors été fait.

C’est en cela que les bases du raisonnement de notre Conseil constitutionnel nous intéressent. Il a identifié trois principes fondateurs pour son raisonnement , face à l’ ensemble de dispositions très complexe qui lui était soumis, ensemble dont il était admis dès l’origine qu’il était appelé à évoluer avec les progrès de la science.

La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle . La liberté individuelle est proclamée et garantie, mais doit se concilier avec d’autres principes à valeur constitutionnelle. La nation assure à l’enfant et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère la protection de la santé . C’est par la conciliation et la combinaison de ces principes qu’il sera répondu à une série impressionnante d’objections faites à l’époque , et qu’il est ajouté , d’office, que les lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine. Les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Nous formulons l’hypothèse que l’approche ainsi adoptée par le Conseil constitutionnel permet, jusqu’à preuve du contraire, de donner un premier contenu à la notion de droits de l’homme dans le domaine de la bioéthique.

Ce contenu peut s’enrichir des concepts qui ont été débattus et soutenus par la France en vue de l’ élaboration de normes universelles ou européennes. Au moment présent, la Commission peut tirer parti du travail de synthèse qu’implique l’élaboration du projet de Charte européenne des droits fondamentaux. Cette réflexion n’est pas achevée, mais il est possible de s’appuyer, pour identifier les principes utiles au problème posé par la révision des lois de bioéthique, sur les rédactions en cours de discussion .De plus, un avis donné sur le projet par le Groupe européen sur l’éthique de la science et des nouvelles technologies a exploré l’ensemble du champ qui, selon ces experts, devraient relever de droits fondamentaux.

On note ainsi qu’au stade actuel plusieurs principes topiques pour notre sujet se dessinent. Le projet de Charte prend pour premier appui le principe de dignité de la personne humaine. Il affirme le droit de toute personne à son intégrité physique, génétique et mentale. Il proscrit les pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection et l’instrumentalisation des personnes. Il interdit de faire du corps et de ses parties une source de profit, interdit aussi le clonage reproductif des êtres humains. Est posé, en corollaire à la liberté d’expression, celle de la science. Est affirmé le droit de toute personne sur la collecte, l’utilisation et la divulgation des données à caractère personnel qui la concernent. Est interdite notamment toute discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques. La règle du consentement libre et éclairé du patient est solennellement rappelée.

2 – Dans ce contexte, le problème de la révision parait se poser de la façon suivante : Les règles posées par les lois de bioéthique doivent évoluer avec le progrès scientifique ; mais il ne peut en être ainsi qu’en respectant un certain équilibre, qu’avait atteint le législateur de 1994, et qui peut être décrit dans les termes qui suivent.

Les principes qu’il y a lieu de respecter touchent à la fois au fond et au mécanisme de garanties.

Il s’agit avant tout de préserver l’intégrité de la personne et sa dignité et de s’opposer à son instrumentalisation. Face à cela, il s’agit également de faire une place à la liberté individuelle, et à cet aspect important de la liberté d’expression et de pensée qui s’exprime dans la liberté de la recherche. Dans la conciliation qui doit être recherchée, l’adaptation du principe de non discrimination aux connaissances issues de la génétique et aux risques nouveaux créés par le progrès de ces sciences, et la règle selon laquelle le corps humain, ses éléments et ses produits doivent demeurer hors commerce jouent un rôle important. L’accès de tous aux perspectives ouvertes pour la santé et le bien-être, la notion de partage de leurs bienfaits et la préoccupation particulière de l’intérêt supérieur de l’enfant sont également les composantes d’un équilibre qui ne se limite pas aux droits individuels. En ce sens, le socle des droits qu’il s’agit de respecter inclut, au delà de l’individu, sa descendance et appelle à faire rempart contre les pratiques eugéniques

Puisque le respect des droits appelle la combinaison et parfois la conciliation de ces différentes règles de fond, il est également fondamental de poser des règles de procédure ou si l’on préfère de comportement. L’une est topique à quasiment tous les niveaux: si la recherche met en jeu l’homme et le corps de celui-ci, la notion de consentement, et de consentement qui doit être éclairé, est omniprésente. L’autre implique que les praticiens et les chercheurs dont l’activité s’exerce dans le domaine concerné par les lois de bioéthique intègrent une réflexion éthique dans leur pratique, et oeuvrent donc dans un cadre, défini par le Parlement, auquel il appartient de mettre en oeuvre les principes .Cet encadrement est une composante nécessaire du statut du corps humain dans la conception retenue jusqu’ici en France .Les lois qu’il s’agit de réviser ne retiennent pas une conception de l’autonomie de la personne et de la libre disposition de soi qui pourrait inspirer certains droits étrangers.

3 – La Commission estime que le socle de principes qui vient d’être rappelé doit fonder l’avis qu’elle donne sur les différents points soumis à révision. Elle fait à cet égard un constat : pour l’essentiel, ces principes évoquent des normes auxquelles ont été reconnue une portée universelle. Mais la manière dont l’équilibre entre ces préoccupations est assuré dans diverses sociétés n’est pas identique; la part laissée à l’autonomie de la personne pour y répondre diffère. Dans les réponses qu’elle propose sur différents points importants, la Commission a considéré que l’équilibre général reconnu par le législateur et le Conseil constitutionnel en France en 1994 donnait une expression valable de ces principes. Il ne s’ensuit pas, et le fait sera important dans de futures discussions internationales, que ce soit la seule expression valable. Mais il en résulte que la Commission n’estime pas que la révision doit être un bouleversement, et que bien des ajustements évoqués ici et là par les autorités qui ont jusqu’ici fait connaître leur point de vue ne touchent pas à la question de principe et relèvent de l’appréciation du législateur.

L’avis donné se limite donc aux points suivants :

I. – L’assistance médicale à la procréation
II – L’anonymat du don de gamètes
III – Le clonage
IV – La recherche sur l’embryon
V – Le statut et l’utilisation des données génétiques
VI – Le don et l’utilisation des organes et produits du corps humain
VII – Le maintien de la règle selon laquelle le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène humain ne peuvent en tant que tels faire l’objet d’un brevet.

I – L’assistance médicale à la procréation.

L’ensemble du dispositif adopté en 1994 en ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation a traité de cet équilibre en affirmant que la reconnaissance par la société de ces techniques nouvelles était une réponse à la souffrance causée aux couples par la stérilité, principe sur lequel il n’y a pas lieu de revenir, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il privilégie donc une approche thérapeutique de ces interventions et rejette une utilisation de convenance . Il s’ensuit que ce n’est pas le principe de liberté individuelle qui domine; ces activités sont encadrées par la société ; elles sont fondées au départ sur la notion de don des gamètes et non sur leur libre disposition. Les équilibres sont atteints par l’exigence de consentements , et certaines conséquences, comme le recours aux mères porteuses, sont interdites.

Une seconde ligne directrice exprime l’intérêt que la société attache aux droits de l’enfant. Tout est fait pour que le mode de sa procréation n’entraîne aucune discrimination par rapport au statut qui serait résulté d’une filiation naturelle, et c’est à des fins de protection de tels intérêts que le législateur a posé la règle de l’anonymat du donneur, sur laquelle nous reviendrons.

L’évolution scientifique intervenue depuis cinq ans n’a pas apporté d’élément révolutionnant les questions posées et en particulier n’a pas abouti à ce que la généralisation des possibilités de conservation des ovocytes ait déplacé les problèmes concernant la conservation des embryons . Les données nouvelles sont d’ordre social ou sociologique. Le système de contrôle a été mis en pratique; par ailleurs des attentes sinon nouvelles, du moins renforcées par un débat international, ont donné plus d’acuité au dilemme concernant la connaissance par toute personne de ses origines, aspiration que contredit la règle de l’anonymat.

La Commission estime qu’il n’y a pas lieu de revenir sur la conception d’ensemble de cette législation, fortement inspirée de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ce n’est pas un enjeu relevant vraiment du respect des droits de l’homme que de noter que les structures administratives chargées du contrôle pourraient connaître certaines réformes, objectif que la Commission approuverait sans doute, mais dont elle estime que les modalités ne relèvent pas spécialement de son appréciation. En revanche, si elle accepte l’idée sous-jacente à tous ces textes qu’un contrôle est nécessaire pour que les finalités voulues par le législateur soient respectées, elle se doit de relever que ce contrôle devient une dérision si une part très importante des actes d’assistance médicale à la procréation lui échappe. Or c’est ce qui s’est passé du fait de l’évolution technique par la croissance spectaculaire de la technique de micro‑injection de spermatozoïdes (ICSI), qui a représenté une part considérable des actes en cause, sans passer par les contrôles dont la nécessité, au nom du respect des droits de tous, avait pourtant été affirmée

La Commission constate qu’en ce domaine l’être humain a en quelque sorte servi de cobaye dans la mise au point et le développement de l’ICSI.II semble donc souhaitable de soumettre à l’avenir toute nouvelle technique d’AMP à autorisation préalable de l’organisme chargé du contrôle du secteur ;il appartiendrait à celui-ci de veiller que son application ait bien été précédée de recherches pertinentes, respectant le pré requis chez l’animal .Par ailleurs ,cet organisme pourrait mettre au point des indications sur le consentement, qui fassent comprendre aux intéressés, avant même qu’ils s’engagent dans le traitement, les problèmes propres à l’ICSI. Il lui appartiendrait de mettre au point les modalités d’un suivi du devenir des enfants nés de ce mode de procréation. Ce suivi ne peut être mené que sous condition d’un anonymat absolu, sous peine de susciter des discriminations qui pourraient être préjudiciables aux personnes nées par ce procédé.

Sur le terrain des principes, il parait très important que les sujétions, imposées aux couples au nom de l’intérêt général, soient strictement proportionnées au but à atteindre et appliquées également à tous là où la vigilance s’impose ; la découverte d’une nouvelle technique n’est pas une raison suffisante pour se départir de cette discipline.

II – L’anonymat du don de gamètes

La législation française se recommande, sans ambiguïté , du principe de l’anonymat du donneur. Rappelons que cette règle a été avancée dans l’intérêt de l’enfant et de son épanouissement, dans une famille dont l’on souhaite qu’elle se distingue le moins possible de toute autre famille. Elle n’est donc pas tenue d’organiser de relations avec ce donneur, dont le geste est, dans la plupart des cas, facilité s’il reste inconnu. Depuis l’intervention de cette législation, le droit de connaître ses origines est une cause qui a été confortée par plusieurs évolutions. La principale vient du progrès des connaissances , qui donne une importance accrue à la connaissance des données génétiques. La nécessité de préserver toutes les chances d’un enfant ou du futur adulte d’être protégé, s’il est atteint d’une maladie génétique, pèse lourd dans le débat . Mais il se nourrit aussi de l’évolution des pratiques sociales dans des familles plus souvent recomposées , ou encore accoutumées à parler plus ouvertement à l’enfant en cas d’adoption, et cette évolution marque dorénavant de nombreux droits étrangers qui affirment un droit de l’enfant à connaître ses origines , affirmation qui devient dans la Convention internationale des droits de l’enfant « droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux »

La Commission estime que sans revenir sur le principe de l’anonymat, il doit être possible d’organiser la conservation de renseignements sur le tiers donneur, permettant d’en disposer pour des raisons médicales , et que la loi devrait rendre possible cette précaution.

Constatant qu’est réouvert devant l’opinion le débat sur des questions relevant de législations distinctes (connaissance de leur origine par les enfants adoptés ; accouchement sous x ; recherche de paternité par prélèvement sur un cadavre…), la Commission entend rester saisie de ces questions.

III – Le clonage

Avec le thème du clonage, la Commission aborde l’un des chantiers principaux de la révision.

1 – Elle se doit d’abord de clarifier si possible le sujet, que l’évolution des cinq dernières années a plongé dans des controverses technico‑scientifiques qui se reflètent dans le débat sur les droits

Ce n’est pas en tant que technique ou ensemble de techniques consistant à reproduire des êtres vivants génétiquement identiques que le clonage pose de tels problèmes en matière de préservation des droits de l’homme.

C’est d’abord parce que les utilisations qui en ont été envisagées et les finalités ainsi données à la recherche scientifique relèvent dans certains cas d’une instrumentalisation de l’être humain, qui n’est pas tolérable. C’est le cas des motifs avancés pour préconiser le clonage reproductif chez l’homme, avec l’idée de se perpétuer après sa mort par la création de son vivant d’un être identique à soi-même , ou encore de créer un être humain génétiquement identique à soi-même pour servir de réserve d’organes , ou encore faire revivre l’enfant disparu.

La Commission estime que ces finalités sont directement condamnées par la rédaction actuelle de l’article 16-4 du code civil, « nul ne peut porter atteinte à l’espèce humaine », « aucune transformation ne peut être apportée aux caractéristiques génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». Mais compte tenu de l’ampleur des discussions ouvertes sur le plan international, il vaut mieux aujourd’hui formuler explicitement un interdit comme le font la Déclaration universelle sur le génome humain ou le protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe.

Comme l’indique la proposition de rédaction sur ce point du Conseil d’État, c’est le but du clonage qui est illicite, et il doit être reconnu que serait contraire aux droits de l’homme une intervention ayant pour but de faire naître un enfant dont le génome serait identique à celui d’un autre être humain vivant ou décédé. Il en va de même de l’acte qui consisterait à faire se développer un embryon humain pour constituer une réserve d’organes.

2 – L’interdiction du clonage à visée reproductive évoque une autre question sur laquelle la Commission entend se prononcer . Qu’en est il, ce premier point admis, des autres formes de clonage tant que d’autres solutions ne pourront être utilisées (cellules souches adultes, par exemple) ?

La question de savoir si la formulation de cet interdit, qui recueille un large consensus entraîne une suspicion sur tout ce qui touche aux techniques de clonage, est un point‑clé de la révision des lois françaises.

Il a été beaucoup dit en effet que les réactions négatives portées au nom de l’éthique procédaient d’une ignorance sur la portée de ces techniques. Il importe, du point de vue de la Commission, de lever ce malentendu en reconnaissant que ces techniques appliquées à tout être vivant autre que l’homme sont à l’origine de grands progrès dans la connaissance et porteuses de grandes espérances thérapeutiques. Et tout donne à penser qu’il en sera de même de leur application à des éléments du corps humain. Par les possibilités qu’elles ouvrent ces techniques créent des risques du jour où elles s’exercent sur l’homme; mais ce n’est pas en tant que techniques qu’elles comportent violation des droits de l’homme. Les risques devront être évalués au fur et à mesure de l’évolution des connaissances. L’avis de la Commission est que l’autorisation doit être liée  à une utilisation donnée. S’il apparaît de nouvelles utilisations se prêtant à une instrumentalisation du corps humain, elles devront évidemment être condamnées.

IV La recherche sur l’embryon

La révision des lois de 1994 oblige à réexaminer le choix fait alors , pour interdire la recherche sur l’embryon in vitro. L’article 152‑8 du code de la santé reflète, dans sa rédaction, les hésitations de l’époque. Il commence par interdire la conception in vitro d’embryons humains à des fins de recherche. Il en est de même de toute expérimentation sur l’embryon, également interdite. A titre exceptionnel, cependant, l’homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leurs embryons ; ces études doivent avoir des finalités médicales et ne peuvent porter atteinte à l’embryon. L’interprétation très étroite que le pouvoir réglementaire a donnée aux dispositions régissant l’autorisation à donner aux études fait que l’application de ces textes a été quasi inexistante.

Craignant des dérives vers une instrumentalisation de l’embryon, le législateur avait choisi de ne pas ouvrir la voie de recherches, dont il était soutenu déjà à l’époque qu’elles auraient permis de mieux connaître le processus de développement embryonnaire et d’améliorer les techniques d’AMP. Or cet argument a pris de la force depuis cinq ans; les perspectives scientifiques se sont élargies , ouvrant des espoirs thérapeutiques qui ne peuvent être ignorés. Il en est ainsi en particulier des travaux sur les cellules souches, dont l’on espère de grands progrès par les greffes cellulaires ou une meilleure compréhension des mécanismes du cancer. Si les cellules provenant de l’embryon cultivé in vitro ne sont pas les seules qui pourraient constituer un terrain d’analyse, il apparaît en l’état de la science que les projets qui les concernent sont très sérieux.

Tout en respectant l’équilibre qu’il convient de maintenir entre le refus de traiter l’embryon comme une chose et le droit de chacun de bénéficier des meilleures armes contre la souffrance et la maladie, il est possible d’ouvrir davantage la possibilité de telles recherches.

La CNCDH s’est longuement interrogée sur les problèmes moraux posés par cette question, qui ont entraîné des interrogations sérieuses aboutissant à des opinions divergentes qui n’ont pas permis une adoption unanime. Sous cette réserve, et au stade actuel des connaissances, la CNCDH majoritairement se range à une solution mesurée, qui figure dans le rapport du Conseil d’État et rejoint des positions qu’elle avait elle même préconisées dans ses avis antérieurs.

Des recherches pourraient être autorisées, sous condition d’un strict encadrement, s’agissant des embryons in vitro congelés, obtenus à l’occasion d’une AMP, mais qui ne font plus l’objet d’un projet parental, ou qui seraient d’emblée jugés non viables Il s’agirait donc d’embryons qui n’auraient en tout état de cause jamais été implantés et qui n’auraient de ce fait été promis à aucun développement. A condition de s’assurer du consentement des géniteurs, à condition que ces recherches ne puissent déboucher sur une implantation de l’embryon, le principe pourrait en être admis .Chaque projet de recherche, au cas par cas, devrait être préalablement autorisé, par un organe indépendant prenant en compte la dimension éthique du problème.

Cette solution devrait, s’agissant d’embryons qui de toute manière sont voués à la destruction, permettre à la recherche française de prendre sa part aux développements en cours. Elle sera évidemment appelée à être reconsidérée au vu de l’évolution des pratiques d’AMP, qui à juste titre visent à réduire le nombre d’embryons surnuméraires, et au vu des résultats des recherches elles-mêmes.

C’est par contre à l’unanimité que la CNCDH estime qu’il n’est pas question de créer des embryons in vitro, à des fins de recherche.

V – Statut et utilisation des données génétiques

L’évolution scientifique intervenue depuis 1994 n’a fait que renforcer la portée des questions posées par ce statut. Du point de vue des droits de l’homme, elles portent essentiellement sur deux points : la confidentialité de ces données et le risque de voir se développer des pratiques de discrimination fondées sur la connaissance des caractères génétiques, qui porteraient atteinte aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales et à la dignité de l’homme.

1 – Sur le premier sujet, la CNCDH estime d’abord qu’il est indispensable de conforter, la notion de secret médical dans toute la mesure où ces renseignements sont assimilables à des renseignements médicaux. Par là, il s’agit de doter les intéressés d’une protection forte, même s’il doit nécessairement être reconnu qu’il s’agit à la fois de données individuelles et de données communes à plusieurs membres de la même famille.

Le statut des données génétiques ne se réduit pas à leur utilisation thérapeutique . La protection des droits de la personne doit être envisagée , face aux problèmes posés par leur collecte, leur conservation par des banques de données qui sont des tiers par rapport à la personne concernée. De plus, le fait que l’accès à de telles données, même anonymisées, puisse être offert à d’autres personnes et donner lieu à rémunération pose le problème d’une définition des droits des personnes dont elles sont issues. Il faut donc fonder le développement de tels organismes sur des règles de consentement. En outre, la règle de non patrimonialité du corps humain et de ses éléments peut difficilement être passée sous silence, si particulière que soit la connaissance du génome, et s’opposerait à ce que ces personnes puissent être rémunérées.

La CNCDH appelle sur ce point à l’élaboration de normes européennes ou internationales, en vue de donner consistance au principe évoqué par la Déclaration universelle sur le génome humain et selon lequel le génome est, à titre symbolique patrimoine de l’humanité.

2 – La CNCDH, sur le second point, recommande que soient ajoutées à la liste des discriminations prohibées par l’article 225-1 du code pénal celles qui s’appuieraient sur des prédispositions génétiques.

La communication de telles données à des fins qui ne seraient ni thérapeutiques ni liées à la recherche, même lorsqu’elle interviendrait à l’initiative de l’intéressé lui-même, doit de ce fait n’intervenir que dans un cadre fixé par la loi.

La CNCDH recommande que le droit du travail se préserve de ce nouveau risque de discrimination, et que l’article L.122-45 du code du travail soit complété pour qu’aucune personne ne puisse être écartée d’une procédure de recrutement, sanctionnée ou licenciée à raison d’un motif fondé sur des prédispositions génétiques.

La CNCDH recommande en outre que soient interdites la recherche, la transmission et l’utilisation, y compris par les personnes elles-mêmes, d’informations relatives à leur patrimoine génétique aux employeurs, aux prêteurs et aux assureurs quelles que soient leur forme, ainsi qu’aux médecins qu’elles emploient ; cette interdiction couvrirait même l’hypothèse où serait recherchée, par ces informations, la connaissance d’un risque prévisible de maladie.

VI – Don et utilisation des produits du corps humain

L’expérience des cinq dernières années n’a fait que confirmer l’importance de cette utilisation dans la thérapeutique moderne et le cadre juridique qui fonde la disponibilité des organes sur le don et organise sur cette base les transplantations n’est mis en cause par personne .

La question que la CCNDH a du examiner n’est pas à première vue liée aux principes ; elle a été alertée, après bien d’autres institutions , sur les problèmes posés par la pénurie de certains organes ; or il est vrai que relève du droit à la santé et donc d’un droit de l’homme le fait que certains malades n’aient pas accès à une thérapeutique éprouvée et la solidarité de la société, si elle est mal organisée, n’est plus qu’un vain mot.

La règle du consentement présumé, sur laquelle se fonde le régime des prélèvements d’organes sur une personne décédée, a été critiquée, non pas par elle-même, mais parce qu’elle se complète du recours quasi automatique au témoignage de la famille.

La CCNDH ne recommande pas pour autant de révision législative sur ce point. Elle souhaite au contraire que la loi soit appliquée, conformément à sa lettre et à son esprit, sans que la notion de témoignage de la famille ne devienne synonyme d’autorisation.

Le texte en vigueur adapte au mieux possible une notion de consentement qui n’entend pas être l’expression d’un droit de la personne sur son cadavre. Elle répond seulement à la préoccupation que les transplantations se fassent dans le contexte du respect du défunt et de sa famille.

L’issue des difficultés actuelles passe par une action persévérante d’information et d’éducation, à laquelle il convient d’attacher la plus grande importance mais qui n’exige pas de révision de la loi.

En revanche, et comme l’a préconisé le Conseil d’État, le régime des dons d’organes doit être complété pour traiter de façon plus claire et unifiée des situations comme les cellules utilisées à des fins thérapeutiques et notamment les greffes de cellules souches hématopoïétiques d’origine médullaire. Il est important en effet que ne s’introduisent pas trop de subtilités dans le statut du corps humain et de ses produits qui doivent rester hors commerce

VII – Génétique et brevetabilité

La loi avait en 1994, à l’occasion de l’examen de l’ensemble des questions posées par la bioéthique, modifié le code de la propriété industrielle , pour préciser : « le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène humain ne peuvent en tant que tels faire l’objet d’un brevet ».

Comme vient de l’indiquer un avis du Comité national d’éthique , les questions liées à l’application du droit des brevets au gène humain mettent en jeu des principes importants: la règle de non commercialisation du corps humain, le libre accès des chercheurs à une connaissance fondamentale pour l’humanité, le partage de cette connaissance.

La Commission estime qu’en l’état actuel des connaissances et en attendant l’aboutissement du débat international qui devra nécessairement s’ouvrir sur ces questions, il est préférable de ne pas modifier la législation actuelle sur ce point.

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