Monsieur le Président, Depuis plusieurs années, la France se livre à un effort de mémoire. Certes, cela ne va pas sans difficultés ni déchirements, mais vous avez vous-même souligné que notre pays ne pouvait vivre en harmonie avec lui-même si son passé, en ce qu’il a de grand mais aussi tous ses errements, n’est pas pleinement assumé ni donc connu. Ce devoir de mémoire est encore plus impérieux lorsqu’il intéresse également des peuples avec lesquels nous partageons une histoire commune. Ainsi en est-il des évènements d’Algérie, trop tardivement reconnus pour ce qu’ils ont été : une guerre. Durant 8 ans, s’est déroulée une guerre coloniale où la torture est devenue une pratique généralisée au même titre que les disparitions ou les exécutions sommaires. La torture n’est jamais admissible, quelles qu’en soient les circonstances ou les justifications. Sans jamais renvoyer dos-à-dos dominants et dominés, l’État colonisateur et les peuples colonisés, nous devons exprimer notre condamnation sans réserve de ce mal absolu qui a touché toutes les parties au conflit. Daniel Mayer, alors président de la Ligue, n’a eu de cesse de dénoncer, aux côtés d’autres, ces actes qui, 40 ans après, suscitent à nouveau l’émotion au fur et à mesure que se révèle leur étendue. Aujourd’hui des généraux s’expriment, des victimes disent leurs souffrances, une chape de plomb a été soulevée. Nous ne pouvons en rester là et encore moins à une vérité très partielle qui se fait jour au travers des seuls médias. Les témoignages recueillis, leur confrontation avec les archives qui doivent être ouvertes sans restriction pour cette période, doivent permettre aux historiens, comme à toute personne concernée, d’établir l’entière vérité. A partir d’elle se pose la question de l’impunité qui n’est pas dissociable de celle de la justice qui doit être rendue aux victimes. Est-il supportable qu’un général de l’Armée française évoque devant des millions de téléspectateurs, sans exprimer le moindre remord, la torture pratiquée et les exécutions sommaires auxquelles il a eu recours ? Est-il tolérable qu’un autre général tantôt se vante, tantôt nie contre toute évidence ? Cette impunité, presque revendiquée par les intéressés, n’est pas acceptable. Si les recours judiciaires sont aléatoires, il doit être dit, sans plus attendre, que de tels actes sont intolérables, hier comme aujourd’hui. Ils constituent une atteinte à l’honneur de l’armée française et de notre pays. C’est pourquoi, nous vous demandons, en votre qualité de Grand maître de l’Ordre de la Légion d’honneur de bien vouloir entamer les procédures nécessaires pour que le général Aussaresses, ainsi que tous autres – civils ou militaires -, fassent l’objet d’une procédure de retrait des décorations qu’ils ont obtenues. Pour symbolique qu’elle soit, cette démarche montrera que le France n’entend pas éluder les responsabilités de ceux des siens qui se sont livrés à de tels actes ou les ont ordonnés. Mais, les responsabilités encourues ne sauraient se limiter à celles des militaires ou des membres des forces de l’ordre. Elles englobent aussi un pouvoir civil qui, à supposer qu’il n’ait pas donné de directives précises, a couvert et, de fait, encouragé de telles pratiques. Parce que la responsabilité des plus importantes institutions est engagée, nous pensons que c’est au président de la République que nous devons en appeler. Nous vous demandons de condamner publiquement la pratique massive de la torture et des exécutions sommaires pendant la guerre d’Algérie. Compte tenu de la nature de notre démarche, vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.