Tribune de Michel Tubiana, président de la LDH, publiée dans
Pour la deuxième fois, le général Aussaresses revendique à haute voix ses crimes : tortures et assassinats ont été, en Algérie, le lot quasi quotidien de ce que ce militaire reconnaît avoir été un escadron de la mort.
Depuis plusieurs années, la France se livre à un effort de mémoire. Cela ne va pas sans difficultés ni déchirements, mais le président de la République a lui-même souligné que notre pays ne pouvait vivre en harmonie avec lui-même si son passé, en ce qu’il a de grand mais aussi tous ses errements, n’est pas pleinement assumé ni donc connu.
Ce devoir de mémoire est encore plus impérieux lorsqu’il intéresse également des peuples avec lesquels nous partageons une histoire commune. Durant huit ans s’est déroulée, en Algérie, une guerre coloniale où la torture est devenue une pratique généralisée au même titre que les disparitions ou les exécutions sommaires. Sans jamais renvoyer dos-à-dos dominants et dominés, l’État colonisateur et les peuples colonisés, nous devons exprimer notre condamnation sans réserve de ce mal absolu qui a touché toutes les parties au conflit.
Daniel Mayer, alors président de la Ligue, n’a eu de cesse de dénoncer, aux côtés d’autres, ces actes qui, quarante ans après, suscitent à nouveau l’émotion au fur et à mesure que se révèle leur étendue. Nous ne pouvons en rester là et encore moins à une vérité très partielle. Les témoignages recueillis, leur confrontation avec les archives qui doivent être ouvertes sans restriction pour cette période, doivent permettre aux historiens, comme à toute personne concernée, d’établir l’entière vérité. A partir d’elle se pose la question de l’impunité qui n’est pas dissociable de celle de la justice qui doit être rendue aux victimes.
Les responsabilités encourues ne sauraient se limiter à celles des militaires ou des membres des forces de l’ordre. Elles englobent aussi un pouvoir civil qui, à supposer qu’il n’ait pas donné de directives précises, a couvert et, de fait, encouragé de telles pratiques. Elles touchent de la même manière des formations politiques qui existent encore aujourd’hui ou en sont les héritières.
Cette impunité, judiciaire et politique, n’est pas acceptable. Certes les recours judiciaires sont aléatoires : la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les crimes contre l’humanité et d’autres considérations juridiques peuvent y faire, aujourd’hui, obstacle. Rien ne s’oppose, en revanche, à ce que, dès aujourd’hui, les responsabilités politiques soient établies et reconnues.
Le président de la République, parce qu’il représente la France, a le pouvoir de dire, sans plus attendre, que ces actes sont intolérables, et d’accomplir les gestes nécessaires pour marquer notre refus commun de l’insupportable. Dire que ce qui s’est passé hier constitue une atteinte à l’honneur de l’armée française et de notre pays. Marquer dès aujourd’hui que le temps n’est pas signe d’impunité en saisissant le Conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur qu’il préside, d’une procédure de retrait des décorations accordées au général Aussaresses, ainsi qu’à l’égard de tous autres – civils ou militaires – que l’enquête pourrait révéler.
Pour symbolique qu’elle soit, cette démarche montrera que le France n’entend pas éluder les responsabilités de ceux des siens qui se sont livrés à de tels actes, les ont ordonnés ou les ont cautionnés. Se taire et ne rien faire seraient incompréhensible et injustifiable.