Résolution adoptée par le 81e congrès de la LDH, Limoges – 2, 3 et 4 juin 2001
En l’espace de quelques années, la constitution de la République a été modifiée plusieurs fois : durée du mandat du président, asile territorial, mise en adéquation au traité de Maastricht. D’autres réformes sont restées en suspens; d’autres encore sont pensées comme nécessaires mais restent à l’état de réflexion ou sont mises de côté. Notre République aurait-elle besoin d’un grand chambardement ?
Sans aucun doute, la réforme des institutions est une nécessité : les défauts de la Constitution de 1958, dénoncés dès son adoption, sont toujours plus visibles : poids de l’exécutif au détriment d’un parlement qui continue à être perçu comme une chambre d’enregistrement, faiblesse du débat et du contrôle démocratique, par exemple.
La crise des institutions est accrue par l’accumulation d’organes de régulation, consultatifs ou décisionnels, à qui sont transférés une partie du pouvoir sans aucun réel contrôle démocratique et selon des modes de nominations contestables : conseil constitutionnel, conseil supérieur de l’audiovisuel, commission informatique & libertés, commission des opérations de bourse, conseil de la concurrence, comité d’éthique, etc.
Au niveau local, les lois de décentralisation ont donné infiniment plus de pouvoirs et de moyens aux collectivités locales, sans que, pour autant, les processus de contrôle démocratique aient été développés au même degré.
Parallèlement, la crise sociale et économique a entraîné la mise à l’écart de millions de personnes pour lesquelles la citoyenneté s’est abîmée dans la nécessité quotidienne de survivre : celles-ci sont, alors, exclues de toute participation à la vie de la Cité et sont, au mieux, entendues lorsque leur mise à l’écart les conduit à refuser avec violence l’enfermement dans lequel elles sont tenues. Pour d’autres, comme les étrangers non communautaires, c’est la loi elle-même qui organise leur exclusion.
L’inquiétude de tous est accrue par le constat que les centres de pouvoirs s’éloignent au gré des transferts de souveraineté, de fait ou de droit, qui accompagnent l’intégration européenne ou la mondialisation économique. L’empilement des nouveaux lieux de décision accentue l’illisibilité du système.
L’espoir d’un changement revendiqué comme urgent se heurte à un consensus sur une raison économique qui vient compléter la raison d’État. A quoi bon voter si les choix sont définis d’avance par des sondages et si les médias contribuent à la banalisation politique par leur charge de papier et d’image convenus ? De moins en moins de contre pouvoirs, de plus en plus de consensus producteur de pouvoir supplémentaire. Le Politique doit redevenir le cœur de la société car c’est le primat de toute démocratie.
Les citoyens ressentent que, moins qu’avant, la démocratie ne se résout à l’exercice du droit de vote de manière régulière et répétée : la représentation ne suffit pas, si tant est qu’elle ait jamais suffi, à mettre le Politique au cœur de la société. Accroissement du niveau d’éducation et d’information, montée de l’autonomie individuelle, affaiblissement considérable de toutes les institutions privées qui offraient un cadre et des règles (famille patriarcale, religion, partis et syndicats de masse, etc.) se conjuguent pour rendre la délégation de moins en moins supportable à des individus de moins en moins dociles et de moins en moins enclins à se lier à des démarches collectives susceptibles d’aliéner leurs libertés. De moins en moins formés, aussi, au fonctionnement des règles collectives qui conditionnent la démocratie, notamment par une école souvent submergée par d’autres problèmes. Les acteurs de la représentation sont affaiblis dans leur légitimité comme dans leurs pouvoirs réels.
La conjugaison de l’exclusion de millions de personnes et du sentiment de l’inutilité d’un système qui n’exprime plus efficacement les demandes des citoyens, n’est plus vécu comme porteur d’écoute et conduit à une désaffection à l’égard des pratiques citoyennes dont la plus marquante et le taux d’abstention aux élections. L’obligation de faire figurer des femmes sur les listes électorales n’a, par exemple, pas réglé la vieille question de la place et de la représentation des femmes en démocratie.
D’autres phénomènes viennent expliquer ce constat mais, tous conduisent à nous interroger sur le fonctionnement de la démocratie en France.
Il serait erroné, à cet égard, de borner cette interrogation aux seuls aspects constitutionnels. Au delà des querelles théoriques sur le fonctionnement des institutions, l’impuissance dans laquelle nous sommes de les réformer tout en ayant conscience de leurs insuffisances, traduit un questionnement bien plus profond.
De quelle démocratie avons nous besoin ?
Cette question mérite d’être posée à plusieurs niveaux tant il est vrai que la démocratie est, par définition, un système complexe où s’entremêlent des pouvoirs différents qui s’articulent entre eux de manière polymorphe.
Au point de départ de cette interrogation, cependant, se trouvent les prémices de toute démarche démocratique : la liberté, individuelle et collective, et l’égalité des droits mais aussi la primauté du politique. Nous en avons besoin pour que tous se sentent respectés et entendus. Nous en avons besoin pour donner à tous ceux qui vivent en France la volonté de participer à leur avenir.
C’est en s’appuyant sur ces principes qu’il est possible de cerner les termes du débat.
Manifestement, le simple fait de déléguer son pouvoir à un représentant ne suffit plus à exprimer la participation des citoyens au fonctionnement de la démocratie. La volonté de participer plus directement aux choix que font les représentants élus pose une double question.
D’une part, comment organiser cette participation ? Ceci conduit à formuler plusieurs interrogations ou se mêlent plusieurs niveaux d’interventions. Comment favoriser l’expression des citoyens face aux pouvoirs locaux, nationaux et européens, voire internationaux ? Comment introduire dans le processus démocratique l’expression du mouvement social dans son ensemble ? Comment, aussi, ne pas laisser cette expression citoyenne être confisquée par ceux qui ont accès aux moyens de communication ?
D’autre part, quelle est l’articulation entre la participation de chacun ou des différents corps intermédiaires et l’expression de la souveraineté ? Autrement dit, comment reconstruire l’intérêt général en conjuguant l’indispensable légitimité du suffrage universel et l’apport de multiples actions concrètes et quotidiennes des citoyens dans l’espace public ?
Comment dès lors reconstruire le lien de légitimité entre société civile et pouvoirs gouvernants ? Comment organiser une démocratie plus effective dans une société de réseaux et de groupes en recomposition ? Comment ouvrir des débouchés politiques aux initiatives civiques et sociales émergentes, c’est à dire développer des espaces pertinents de citoyenneté et poser les questions de l’égalité des droits qu’elle soit politique, sociale ou territoriale. Nous devons réfléchir aux diverses manières d’introduire l’expression du mouvement social dans le processus civique et le processus civique dans le mouvement social. Il ne s’agit pas seulement ici de « démocratie participative ». Ce qui est à organiser c’est, avec bien plus d’ambition, une réappropriation du pouvoir par les citoyens. Ces dernières années montrent qu’il existe des formes d’action rénovées. Pour être en prise avec ces mouvements de la société et y prendre toute sa place, la LDH doit plus que jamais être un contre-pouvoir.
Quelle démocratie voulons nous ? C’est au nom de l’intérêt général que la LDH propose de prospecter l’avenir. Celui-ci n’est pas bouché. Les principes existent et les solutions sont largement à inventer. A nous d’ouvrir, avec tous les acteurs, un lieu de débat. Pour que la démocratie au lieu de se recroqueviller, s’approfondisse. Pour la République reste porteuse de changement, d’intégration de tous ceux qui participent de cultures différentes. Tous citoyens !
Résolution adoptée à l’unanimité, moins une voix contre et 6 absentions.