La LDH, au sein d’une délégation des fédérations et associations nationales du collectif « Urgences et réfugiés », a été reçue à Matignon le 30 octobre par Jacques Rigaudiat, conseiller social du Premier ministre, et Mme Danièle Jourdain-Menninger, conseillère technique. La délégation leur a remis les textes collectifs de la journée nationale d’action organisée sur l’urgence sociale et l’accueil des réfugiés, statuaires ou non, et a présenté des preuves écrites de pratiques administratives inadmissibles. Le nombre de personnes seules et de familles à la rue est intolérable !
Des constats
– Des personnes à la rue de plus en plus nombreuses
Cette année, la situation s’est très fortement aggravée ! Et ce drame s’accroît chaque jour ! Par exemple, dans un centre d’accueil d’urgence d’une capitale régionale, le taux d’occupation en août était de 106%… comment repousser encore les murs pour l’hiver ? Ailleurs, dans une ville moyenne de province, l’augmentation de l’accueil des femmes seules avec ou sans enfant est de 40% en 4 ans ; et pour les couples avec ou sans enfants, elle est de 97%.
La situation de Paris et de l’Ile de France est encore pire que les années précédentes, malgré l’augmentation de 60% des capacités d’accueil en un an.
Le numéro national d’appel d’urgence 115 a reçu, quant à lui, 500.000 appels en novembre 1999, et deux millions en mai 2001.
– Une situation difficile pour les réfugiés, statutaires ou non
De plus, ces dernières années, l’augmentation du nombre des demandeurs d’asile conventionnel (22.400 demandes en 1998, 38.700 en 2000), ainsi que l’augmentation des durées de procédures, ont entraîné la saturation complète du dispositif national d’accueil spécifique (7.000 places seulement).
A l’issue des procédures d’asile, le nombre de déboutés du droit d’asile ne cesse de croître (plus de 80% sont déboutés).
Toutes ces personnes, demandeurs d’asile, déboutés, sans-papiers, étrangers en situation précaire, isolés ou en famille, sont venues grossir les rangs des personnes à la rue sollicitant les divers centres d’hébergement.
– Pour les personnes à la rue, y compris pour les réfugiés, il faut dépasser l’accueil humanitaire
Nous accueillons et venons en aide, dans le cadre de nos missions respectives, à ces personnes à la rue, à ces demandeurs d’asile, à ces déboutés ou sans-papiers : c’est dans notre rôle. Nous continuerons de le faire, mais pas à n’importe quelles conditions.
Certes, des efforts sont faits, chaque année, par les pouvoirs publics pour donner des moyens supplémentaires aux associations et organismes chargés de prendre en charge ces différentes catégories de personnes. Mais au-delà des efforts saisonniers, notamment au début de l’hiver, ou sporadiques, en cas de saturation exceptionnelle des systèmes d’accueil, il manque un véritable plan national pluriannuel, suffisamment dimensionné, de renforcement des dispositifs de veille sociale, pour accueillir, loger et accompagner l’ensemble des personnes et familles à la rue.
Un effort de prévention des situations qui amènent à la rue doit parallèlement être poursuivi et renforcé. Il est par ailleurs absolument nécessaire et urgent de revoir le traitement des demandes d’asile, et plus largement l’accueil des réfugiés, statutaires ou non, à l’échelon français et à l’échelon européen.
Les instances européennes (Commission, Parlement) doivent appeler à la responsabilité les Etats membres qui, contrairement à leurs engagements solennels, semblent engagés dans une course vers la restriction des protections accordées avant l’échéance de 2004, date de l’harmonisation des politiques.
Face à cette situation d’urgence, l’accueil des personnes à la rue, d’une part, la question des réfugiés, statutaires ou non, d’autre part, les fédérations et associations signataires de ce document ont décidé de s’unir pour alerter les pouvoirs publics français et européens.
Des propositions générales pour accueillir l’ensemble des personnes et familles à la rue
En ce qui concerne l’accueil des personnes à la rue (SDF, mais aussi femmes victimes de violences, jeunes errants, familles expulsées, réfugiés statutaires ou non, etc.), la mise en place de la veille sociale prévue par la loi « exclusions » sur chaque territoire doit être effective.
Nous demandons aux pouvoirs publics :
- une prise en compte de ces questions non pas au fil des urgences saisonnières, mais dans le cadre d’un véritable plan national d’action pluriannuel, d’une ampleur suffisante pour ne pas se laisser dépasser au moindre imprévu ;
- un plan d’action qui ne se contente pas d’assurer le gîte et le couvert, mais permette d’aller de l’urgence à l’insertion, par une offre d’accueil et d’accompagnement adaptée, y compris par une mise « en activité » lorsque cela est nécessaire ;
- un accueil immédiat et inconditionnel en structures adaptées aux différentes situations, mais avec :
- un statut clair et stable des établissements : centres d’hébergement et de réinsertion sociale [CHRS], polyvalents ou spécialisés (centres d’accueil des demandeurs d’asile [CADA], centres provisoires d’hébergement [CPH], foyers pour femmes victimes de violence…), action sociale conventionnée, ateliers d’adaptation à la vie active, etc. ;
- un encadrement suffisant,
- un accompagnement social et juridique de qualité, adapté aux situations rencontrées,
- un accès facilité à la domiciliation, pour toute démarche nécessaire (Couverture maladie universelle, aide sociale à l’enfance, RMI, demande d’asile, etc.),
- une répartition de l’offre géographiquement équilibrée, privilégiant le logement et l’hébergement diffus, évitant les concentrations de population (pas de nouveau Sangatte) ;
- une généralisation des CAO (centres d’accueil et d’orientation) sur l’ensemble des agglomérations du territoire, en les dotant, ainsi que les services 115, de connaissances et de ressources pour l’accompagnement spécifique des différentes catégories de personnes accueillies, notamment pour les demandeurs d’asile conventionnel ou territorial et les irréguliers ;
- un logement, un hébergement et une prise en charge différenciés et adaptés, pour les couples ou les familles avec enfants, ainsi que pour les personnes isolées ;
- un recours mesuré aux chambres d’hôtel, solution souple et intéressante pour certaines personnes, mais coûteuse et inadaptée pour les familles avec enfants ;
- une plus grande mobilisation pour le repérage et l’accès du logement en diffus, y compris par la réquisition de logements disponibles dans certaines villes ;
- des conditions précises de mise à disposition des bâtiments publics disponibles :
- des bâtiments correctement réhabilités : sécurité, hygiène et confort respectant la dignité des personnes et des familles,
- l’accueil d’un nombre raisonnablement limité de familles ou personnes,
- l’implantation dans des zones proches des lieux de démarches, d’ouverture des droits, et des possibilités d’insertion et d’autonomisation ultérieures.
Des propositions spécifiques pour l’accueil des réfugiés, statutaires ou non
L’État français doit mobiliser tous les moyens matériels et humains nécessaires aux différentes structures pour accueillir dignement ces personnes, dans le respect de leurs droits, conformément aux engagements de la France dans le cadre de la Convention de Genève et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
– Pour les demandeurs d’asile
L’accueil humanitaire réduit au gîte et au couvert ne doit pas faire office de traitement de la demande d’asile !
En ce qui concerne les demandeurs d’asile, quel que soit le type d’asile demandé, nous émettons les recommandations suivantes :
Priorité au besoin de protection
- l’admission sur le territoire doit être la règle pour les demandeurs d’asile,
- un recours suspensif doit être institué en cas de refus,
- le système de responsabilisation d’un État membre pour l’examen des demandes d’asile (« Dublin ») doit être modifié pour que la demande puisse être examinée dans le pays où elle est déposée,
- les zones d’attente doivent respecter les étrangers et leur demande,
- les demandeurs d’asile ne doivent pas être pénalisés en l’absence de documents de voyage, ou du fait des sanctions aux transporteurs.
Correction des dysfonctionnements de la demande d’asile
À chaque étape (demande en frontière, sur le territoire, première instance, recours) le demandeur doit :
- être effectivement entendu,
- disposer d’un conseil et d’un interprète au besoin,
- bénéficier, en cas de refus, d’une possibilité d’appel avec recours suspensif.
L’instruction des demandes ne doit qu’exceptionnellement dépasser six mois. Cela suppose :
- la mise en place de moyens conséquents aux divers niveaux de procédure,
- de mettre fin à certaines dérives comme la pratique de délais incongrus en préfecture (convocations à 14 ou 16 mois par exemple),
- que la décision d’accorder l’autorisation de séjour soit prise lors de la première démarche de demande d’asile.
Un système d’accueil offrant plusieurs possibilités
Le soutien apporté doit être équivalent dans chacune de ces formules, y compris en matière d’accompagnement socio-juridique spécifique.
Pour manifester une solidarité nationale dans l’accueil, des places en CADA doivent être prévues plus largement sur le territoire, avec des commissions locales d’admission et une instance de régulation nationale. Les candidats doivent être accueillis dans un centre dans les jours qui suivent leur demande en France, en tenant compte de la vie familiale et de l’intérêt de chacun. La réglementation de l’ALT (Aide au logement temporaire) doit être mobilisée davantage pour sortir les réfugiés statutaires des CPH et CHRS.
De plus, puisqu’elle est parfois mobilisée pour l’accueil des primo-arrivants, elle doit être ajustée aux pratiques, par la suppression de l’exigence d’un titre de séjour de plus de trois mois et par la non-limitation de la durée de prise en charge.
Les ressources et le droit au travail
- aide ponctuelle au nouvel arrivant (actuelle allocation d’attente) pour la période de mise en route de l’aide plus pérenne,
- allocation pour vivre dignement (au moins équivalente au RMI) pendant toute la procédure avec prise en compte de la composition familiale (modulable selon les solutions d’hébergement),
- aide pour les besoins liés aux procédures : traductions, bons de transport pour honorer les convocations, frais d’avocat.
L’accès au travail et à la formation professionnelle rémunérée doit être rétabli.
Favoriser la communication et l’autonomie
- l’interprétariat et l’apprentissage de la langue,
- la scolarisation des enfants dès le plus jeune âge,
- l’accès réel à l’environnement social et culturel.
Accompagnement social et juridique
L’accompagnement social et juridique doit être rendu possible pour tous les demandeurs, dans chaque département, tant pour la procédure que pour la vie courante :
- accès à une information de qualité dans la langue comprise par l’intéressé,
- l’aide juridictionnelle accordée sans restriction de régularité d’entrée en France.
– Pour les étrangers irréguliers, déboutés ou sans-papiers
La France qui ne peut ou ne veut les éloigner doit leur accorder une protection :
- en leur procurant des conditions d’existence légale,
- en régularisant les personnes non reconductibles (non expulsables),
- en améliorant l’accès effectif à leurs droits : aide médicale État, aide sociale CHRS, aide sociale à l’enfance,…
Par ailleurs, la façon de traiter les personnes et familles appelées à quitter le territoire français doit respecter les réglementations et être conforme à la dignité humaine, quelle que soit la procédure.
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Signataires : Aftam accueil et formation – Association des cités du secours catholique – Cimade – DAL – Emmaüs France – Fédération de l’entraide protestante – Fédération des oeuvres évangéliques – FNARS – Fondation abbé Pierre – Fondation Armée du salut – Forum réfugiés – GISTI – La raison du plus faible – LDH – MDM – MRAP – UNAFO – UNIOPSS