Les citoyens attendent de la justice qu’elle arbitre les conflits qui traversent la société. Or, en dépit d’efforts budgétaires récents, elle est restée le parent pauvre de la République et, au-delà des moyens, appelle toujours des réformes profondes.
Conscients de cette exigence, les gouvernements qui se sont succédés ces quinze dernières années ont initié des réflexions ayant abouti à des rapports ou à des projets, tantôt consensuels, tantôt rassemblant sur eux une large majorité (rapports Delmas-Marty, Coulon, Truche ou Bouchet ; rapports parlementaires sur la prison ; projets de loi pénitentiaire et sur l’accès au droit et à la justice).
Dominique Perben, ignorant ces travaux, saisit le conseil des ministres d’un projet au titre trompeur d’orientation et de programmation pour la Justice, en ce qu’il laisse présumer une grande ambition pour la justice, alors qu’il contient uniquement une série de mesures qui privilégient une réponse visible à défaut de pouvoir être efficace. Comme l’on n’attend aucun résultat de cette action, c’est l’action elle-même qui est le résultat.
Le projet consacre une justice à plusieurs vitesses, au pénal comme au civil, en favorisant une justice productiviste d’abattage, à bas prix, chargée de juger « sans formalisme » les plus modestes (création d’un « juge de proximité» ; généralisation de la procédure de comparution immédiate), rendue par des juges déqualifiés (le juge de proximité ne présente pas les garanties d’indépendance et de compétence d’un magistrat) ou accablés (surcharge des audiences de comparution immédiate).
Il réduit les garanties de procédure (suppression du droit du mis en examen de demander que son avocat assiste aux auditions de témoin, de partie ou à un transport sur les lieux ; augmentation du délai maximum de détention provisoire de deux à trois ans en matière correctionnelle ; extension de la compétence du juge unique en matière correctionnelle).
Il répond, soit à des demandes corporatistes de certains magistrats pour lesquels le confort du juge peut avoir pour prix la privation de liberté du justiciable (par exemple par l’allongement de la durée de la détention provisoire), soit aux contraintes budgétaires qui paraissent devoir passer avant le respect des libertés fondamentales (par exemple par la suppression du délai d’audiencement d’une année devant la cour d’assises d’appel).
Il met fin à la compétence exclusive du juge des enfants, magistrat spécialisé pour connaître de tout ce qui concerne l’enfance en danger ou délinquante, mettant ainsi gravement en cause la priorité éducative jusqu’alors élevée au rang de valeur de la République.
D’ailleurs, la jeunesse est désignée comme une classe dangereuse contre laquelle la société doit se protéger, y compris en abaissant la majorité pénale à dix ans, rejetant l’idée même d’enfance.
Le ministre consacre la partie la plus importante du projet à la répression des enfants (retenue, détention provisoire, centres fermés, comparution immédiate).
Le Syndicat des avocats de France ne peut donc que condamner un projet inacceptable.
Introduction au rapport du SAF sur les projets.
Avec l’intervention des représentants des organisateurs.