Diverses études publiées récemment en France montrent que les conditions d’une reprise de l’épidémie à VIH sont aujourd’hui réunies : recrudescence des pratiques sexuelles à risques, augmentation du nombre de MST (gonococcie, syphilis, etc.). Par ailleurs, les associations de lutte contre le sida dépeignent depuis de nombreux mois ce contexte propice à une reprise de l’épidémie en France, et elles n’ont cessé d’en alerter les pouvoirs publics.
Cette inquiétude est confortée par la recrudescence du nombre d’infections à VIH nouvellement diagnostiquées dans un certain nombre de pays européens parmi lesquels le Royaume-Uni, l’Irlande ou encore la Belgique.
Dans ce contexte particulièrement alarmant, la France a choisi de piloter sa réponse à l’épidémie de VIH en plein brouillard…
En effet, la surveillance de l’épidémie est construite sur la notification des cas d’entrée dans la maladie sida et le calcul du nombre de personnes séropositives se fait sur cette base. Avec l’introduction des trithérapies qui retardent l’entrée dans la maladie, ce système donne une image erronée du développement de l’épidémie. Or, pour mieux la combattre, il est indispensable de pouvoir répondre à des questions aussi simples que : Pourquoi devient-on séropositif aujourd’hui ? Quels sont les groupes les plus touchés ? Comment mieux cibler les campagnes de prévention ? A toutes ces questions, le système de surveillance de l’épidémie, basé sur les cas déclarés de sida, ne peut plus prétendre répondre après 1996.
C’est pourquoi, le gouvernement a publié un décret le 6 mai 1999, instituant la déclaration obligatoire des cas de séropositivité, système permettant aussi de documenter de manière précise les modes de contamination afin d’adapter les stratégies publiques et associatives de lutte contre le sida.
Les associations ont fortement critiqué ce décret qui ne garantissait pas l’anonymat de la transmission des données. Et après avoir obtenu ces garanties, les associations réunies au sein d’un comité de pilotage ont approuvé les modifications apportées au système de surveillance de l’épidémie. Deux décrets étaient alors publiés… deux ans après, le 23 mai 2001.
Mais, il manque toujours l’arrêté permettant la concrétisation matérielle de cette déclaration.
Rien n’a été mis en œuvre par le gouvernement qui invoque des difficultés techniques… imputables au système de cryptologie, des difficultés juridiques… imputables à la législation sur l’informatique et les libertés, ou encore des difficultés opérationnelles… imputables à la passation des marchés publics pour le matériel d’encodage des données.
Mais, bien évidemment, aucune responsabilité des pouvoirs publics !
Et, voilà qu’on prétend nous inviter, le 28 février prochain, à une séance d’information sur la mise en place du système de surveillance de l’épidémie à VIH… pour nous dire ce que nous avons déjà compris : que le système de surveillance des nouveaux cas de séropositivité ne verra le jour que vers la fin de l’année 2003 ou au début de 2004, et que compte tenu du délai de montée en charge du système il n’y aura pas en France de données fiables sur l’évolution de l’épidémie avant la fin de l’année 2005! Dans ce pays moderne qui est le nôtre, il faut plus de 6 ans pour mettre en place un nouveau système d’information sur une épidémie !
Voici donc la honteuse exception sanitaire française, car tous les autres pays européens, même ceux moins prospères que nous, et qui ont aussi des lois sur la cryptologie, des codes des marchés publics, et des lois sur l’informatique et les libertés, y sont parvenus depuis bien longtemps ! Notre pays est le lieu d’un scandale de santé publique, comme si en cette matière nous n’en avions pas eu assez !
Nous n’accepterons pas d’entendre des arguments vingt fois entendus, dont l’objectif est toujours de renvoyer à plus tard un système de surveillance de l’épidémie chaque jour de plus en plus indispensable. Il nous faut plus que jamais ce système qui doit impérativement garantir l’anonymisation irréversible des données.
Mais, nous n’avons pas l’habitude de nous dérober à nos responsabilités et nous ne manquerons pas de nous rendre au rendez-vous du 28 février pour faire entendre notre protestation et pour exiger que soient mis en place en urgence des indicateurs, comme la notification simple des cas de séropositivité que l’on avait jugé judicieux de supprimer dans la perspective de la mise en place du nouveau système, et aussi de nouveaux indicateurs ad hoc de type « sentinelle » pour des populations spécifiques à même de diagnostiquer et de donner rapidement l’alerte sur les évolutions de l’épidémie.
Au moment, où nous nous apprêtons tous à faire des choix politiques, nous voulons rappeler que nous, acteurs de la lutte contre le sida, convaincus de l’utilité de la santé publique, nous ne cautionnons pas les choix de ceux qui se réfugient dans l’abstention coupable.