Ce 23 mars 2002, à l’initiative de la CDA, environ 500 personnes, représentant une centaine d’associations et une cinquantaine de départements, après avoir fait le constat de la dégradation dramatique des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, ont lancé un appel aux pouvoirs publics et à l’opinion.
Alors qu’on compte en France moins de demandeurs d’asile aujourd’hui qu’à la fin des années quatre-vingt, la condition qui est réservée à la plupart d’entre eux atteint un niveau de dégradation inacceptable. Celles et ceux qui sont engagés auprès d’eux au quotidien peuvent en témoigner : la carence du dispositif d’accueil et l’insuffisance, voire l’inexistence de moyens de survivre décemment prennent parfois un caractère dramatique lorsque les délais entre l’arrivée et la fin de la procédure d’asile atteignent jusqu’à trois ans. L’asile territorial, créé en 1998, s’est révélé une nasse inefficace et dangereuse pour ceux chez qui il avait fait naître l’espoir.
Le constat n’est plus à faire, la rencontre du 23 mars l’a démontré. Il est d’ailleurs largement partagé. Divers rapports de source administrative font état des dysfonctionnements, voire de la violation régulière du droit sur lesquels les associations, les premières, ont attiré l’attention. Des aménagements du dispositif d’asile sont en préparation. Il est à craindre qu’il ne s’agisse, une fois de plus, que de cache misère.
Car ne nous leurrons pas : ces dysfonctionnements ne sont que les symptômes du désordre général qui caractérise ce qu’il faut bien qualifier d’absence de politique d’asile en France.
C’est pourquoi, au-delà des améliorations matérielles qui doivent être immédiatement apportées dans l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile, c’est toute la politique d’asile qu’il faut repenser, en France et en Europe : il n’est pas acceptable que soit assigné au réfugié du XXIème siècle le rôle de la « patate chaude » dont on cherche à se débarrasser, d’un pays à l’autre d’abord, d’une préfecture à l’autre ensuite, d’un centre d’hébergement d’urgence à un hôtel social enfin. Il n’est pas acceptable qu’au vu des multiples conflits qui déchirent la planète, une si faible proportion de ceux qui frappent à notre porte trouvent accueil et protection stable. Il n’est pas acceptable que l’hypocrisie qui consiste à ne pas renvoyer les déboutés les condamne à la précarité physique, psychologique et sociale, voire à la clandestinité.
La convention de Genève relative au statut des réfugiés, qui a permis de fournir protection à cinquante millions de personnes dans le monde depuis 1951, est aujourd’hui mise en péril en Europe : les travaux que mènent les Etats membres de l’UE pour rapprocher leurs politiques d’asile – dont les organisations non gouvernementales comme les parlements nationaux sont souvent tenus largement à l’écart – sont déterminés par le contrôle des flux migratoires. Destinés à définir des normes communes à l’horizon 2004, ils ont prioritairement porté sur des mesures propres à entraver l’accès des demandeurs aux procédures d’asile (sanctions aux transporteurs, réseau de fonctionnaires de liaison), à éviter d’avoir à examiner leur demande (convention de Dublin, accords de réadmission) et à mettre en place des formules de protection au rabais (protection « subsidiaire », protection « temporaire »).
Appel :
Environ 500 personnes, représentant une centaine d’associations et une cinquantaine de départements, rassemblées le 23 mars 2002 à Paris en appellent aux pouvoirs publics pour que, quelle que soit l’issue des prochaines consultations électorales, une réforme globale de la politique d’asile soit au plus vite engagée, sur la base des dix conditions pour un réel droit d’asile en France de la CDA.
Compte tenu du contexte européen, cette réforme ne peut consister uniquement en une modification de la législation nationale. Elle doit inspirer et accompagner le processus d’élaboration des normes communautaires actuellement en discussion dans les domaines de l’asile et de l’immigration. Il faut mettre un terme à l’opacité qui a caractérisé jusqu’à présent en France les négociations menées entre les Etats membres. Sait-on par exemple que la France est le seul État membre à refuser d’appliquer les garanties prévues pour les demandeurs d’asile aux personnes qui se présentent comme tels à la frontière ? La réforme doit associer toutes celles et ceux qui sont impliqués auprès des réfugiés et des demandeurs d’asile, mais aussi de ceux qui ont été rejetés dans la clandestinité du fait d’une interprétation trop restreinte des principes posés par la convention de Genève, et d’autres engagements internationaux de la France en matière de protection des droits de l’Homme.
Très rapidement, en vue de s’inscrire dans cette démarche européenne, une convention nationale doit être mise en place, qui réunira, au-delà des représentants de l’administration qui ont la charge de ces questions, des parlementaires, les ONG impliquées, les organisations professionnelles des acteurs du dispositif, les représentants des instances internationales, etc. Elle se donnera pour mission d’orienter les choix et les positions de la France dans ses discussions avec ses partenaires de l’Union européenne relatives à la politique d’asile et d’immigration.
Parallèlement, il est indispensable que soient prises, dans les plus brefs délais, des dispositions en vue de mettre fin aux problèmes les plus criants auxquels sont aujourd’hui confrontés les demandeurs d’asile. Ces mesures concernent tous les demandeurs, quel que soit le type d’asile demandé. Elles ne remplacent pas la réforme en profondeur mentionnée ci-dessus. Ainsi,
– l’accès aux procédures peut être amélioré par le simple respect des textes en vigueur en matière de domiciliation ;
– les délais d’attente peuvent être ramenés à des proportions raisonnables par l’augmentation des effectifs prévus pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les préfectures et l’admission au séjour des demandeurs dès la première présentation en préfecture ;
– la capacité d’accueil en CADA doit être augmentée de façon substantielle de façon à répondre aux besoins d’hébergement collectif en assurant l’égalité d’accès à l’accompagnement social et juridique ;
– les moyens de vivre dignement peuvent être apportés par la réévaluation, au niveau de l’équivalent du RMI, de l’allocation versée aux demandeurs, pendant toute la durée de la procédure, et par l’accès à la formation professionnelle et au droit au travail pour les demandeurs d’asile.
A l’échelle des déplacements mondiaux de population, la France, dans l’Europe, n’accueille qu’un nombre infime de demandeurs d’asile. Comment pourrions-nous, sans vergogne, continuer à nous revendiquer comme défenseurs des libertés fondamentales si la politique d’asile que nous mettons en œuvre marque un recul par rapport à nos principes républicains et à nos engagements internationaux ?