Sur le difficile sujet de la prostitution se développe actuellement, en particulier dans les instances européennes, sous la pression de certains pays qui ont déjà légiféré pour leur compte en ce sens, une position réglementariste : puisque la prostitution existe et qu’elle est impossible à éradiquer, autant l’organiser dans des conditions sanitaires et sociales qui soient les moins mauvaises possibles, rouvrir les maisons closes et donner aux personnes prostituées un statut et des droits comme à tout travailleur. Cette position repose sur la distinction entre « prostitution libre » et « prostitution forcée » : si une femme (ou un homme) décide de se prostituer, c’est son droit ; il ne faudrait lutter que contre la « prostitution forcée », replacée dans le cadre plus général de traite des êtres humains, forme d’esclavage moderne qui est en effet en plein développement. Le Parlement européen et le Conseil de l’Europe ont adopté un texte en ce sens en mai 2000, texte qui n’incrimine que le « trafic » et nie le proxénétisme. Quant à l’OIT, elle a déclaré en 1998 s’intéresser aux revenus de la prostitution, qu’il faudrait intégrer dans les calculs de PNB et surtout ne pas abandonner aux seuls réseaux mafieux.
Cette évolution est inacceptable. Toutes les études montrent que l’immense majorité des prostitué(e)s ont connu dans leur enfance alcoolisme parental, violences, viols, incestes. Le chemin qui mène à la prostitution tient plus à la misère morale et matérielle qu’à l’exercice de la liberté. L’existence de cas marginaux ne dément pas cette vérité générale : que des lycéennes, au Japon par exemple, se prostituent occasionnellement pour s’offrir des cadeaux, ou pour le plaisir de la transgression, met surtout en cause un système moral et éducatif et une société de consommation. Le libéralisme et l’individualisme extrême peuvent conduire paradoxalement à de grands assujettissements.
Nous ne croyons pas que la prostitution soit un métier, exercé par des « travailleuses du sexe », voire des travailleurs, ouvrant droit à des formations, des congés, des assurances, etc. Si pour subsister, il faut vendre son corps, consentir à ce viol, c’est justement qu’on ne peut pas vendre sa force de travail, qu’on n’a rien d’autre à vendre. Prétendre le contraire, sous couvert de l’indépendance économique, permet peut-être aux personnes prostituées de retrouver un semblant de dignité, le temps de le dire ; mais à terme cela conduit à la légitimation d’un système d’exploitation particulièrement destructeur.
La prostitution toute entière est aujourd’hui infiltrée par les réseaux mafieux internationaux, qui achètent et revendent des femmes en Afrique, en Asie et dans les pays de l’est de l’Europe pour les mettre sur le marché. Il s’agit d’un véritable esclavage. Le chantage à la sécurité de leur famille dans leur pays d’origine les met hors d’état de se défendre, sans compter les violences dont elles sont l’objet. Ce commerce mondialisé, contrôlé par des moyens criminels, est extrêmement lucratif. Réglementer la prostitution, la considérer comme une prestation de service, c’est entériner ce trafic où le proxénétisme a changé d’échelle et même de nature, c’est accepter de fait les droits du marché – proxénètes et clients – et la souffrance et l’humiliation des prostitué(e)s. Le proxénétisme doit être au contraire sévèrement réprimé.
Mais refuser le réglementarisme et la légalisation d’une profession n’implique pas de ne pas reconnaître des droits aux personnes victimes de cette situation. Nous souhaitons des mesures sociales pour aider les personnes prostituées, aussi bien celles qui disent vouloir le rester que celles qui veulent sortir de la prostitution, aussi bien les françaises, discriminées par les administrations, que les étrangères sans titre de séjour, qui se trouvent encore plus discriminées : elles ne sont connues des pouvoirs publics que comme clandestines et donc totalement abandonnées.
La prostitution ne doit relever ni d’un droit spécifique ni du non-droit, mais des droits communs à tous, dans une perspective réellement égalitaire : délivrance d’un titre de séjour, droits sociaux, accès aux soins gratuits, droit au logement ; reconnaissance d’un statut de victimes pour les personnes liées à un réseau de prostitution, en même temps que possibilités concrètes de mises à l’abri, éventuellement gérées par des associations agréées. Et cela sans conditions de dénonciations des réseaux et des proxénètes, ni retour forcé dans leur pays d’origine, contrairement au protocole de Vienne (décembre 2000) qui met en place un véritable dispositif de chantage.
Il y aurait, enfin, une hypocrisie certaine à ne pas se préoccuper de l’attitude de ceux qui considèrent que le corps d’une femme, voire d’un homme ou d’un enfant, est un objet de consommation. Si les législations répriment les proxénètes de métier, elles sont, à quelques exceptions près, muettes sur les responsabilités de ces proxénètes de l’instant que sont « les clients ». Sans doute, un souci d’efficacité amène à considérer les solutions répressives comme improductives : elles ne feraient que rejeter dans la clandestinité tous les acteurs, rendant encore plus sordide et dangereux l’acte de prostitution. Il n’en reste pas moins que l’on doit réfléchir aux voies que doit prendre une forme de responsabilité des « clients ». Au-delà, il faut informer et éduquer, combattre les préjugés archaïques et les complaisances sexistes qui encore aujourd’hui, autour des pays théoriquement les plus développés, creusent d’épouvantables zones d’exploitation, de souffrance et d’inégalité.
Texte adopté par les membres du Comité central par 22 voix pour, 4 contre et 7 abstentions.