Un diplomate tunisien en poste en France impliqué dans une affaire criminelle mettant en cause le général Ben Ali prend la fuite et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international délivré par un juge de Strasbourg.
Le 11 octobre 1996, Madame Z., de nationalité tunisienne est interpellée par des agents de la DST tunisienne et retenue pendant deux jours au commissariat de Jendouba : elle est l’objet d’actes de torture et d’humiliation (suspension à une barre de fer posée entre deux tables et coups de bâtons, violences sur les parties génitales, insultes…) destinés à informer le régime tunisien sur plusieurs individus – dont son époux ayant obtenu le statut de réfugié politique en France en mai 1996 – suspectés d’appartenir à un cercle religieux.
Courant avril 2001, Madame Z. apprend que son tortionnaire, Khaled Ben Said, serait en poste sur le territoire français comme vice-consul au Consulat de Tunisie à Strasbourg. Le 9 mai, une plainte est déposée au parquet de Paris qui se dessaisit en juin au profit de celui de Strasbourg.
Le 4 février 2002, la LDH et la FIDH se sont constituées parties civiles aux côtés de Madame Z.
Incriminé par l’article 222-1 du Code pénal français, le fait de soumettre une personne à des tortures ou des actes de barbarie, est passible de 15 années de réclusion et l’article 689-1 du code de procédure pénale français dispose, qu’en application de la Convention de New York de 1984 contre la torture, l’auteur de tels faits peut être poursuivi et jugé par les juridictions françaises, s’il se trouve en France, même si le fait a été commis en dehors du territoire de la République. La Convention de Vienne sur les relations consulaires ne confère par ailleurs nulle immunité au regard des faits criminels en cause.
Suite à l’enquête préliminaire diligentée à Strasbourg, le procureur a décidé le 16 janvier 2002, estimant qu’il existait des indices graves et concordants contre le vice-consul dans les faits reprochés, d’ouvrir une information pour actes de tortures, avec cette circonstance que l’auteur, fonctionnaire de police, était dépositaire de l’autorité publique et que les faits ont été commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
La plainte déposée par Madame Z. vise tous les responsables de la chaîne de commandement incluant, le cas échéant, le Général Zine Abidine Ben Ali, actuel président de la République tunisienne.
La FIDH dénonce en effet depuis de nombreuses années les actes de torture qui continuent d’être une pratique systématique des divers services de la sécurité tunisienne dans les locaux du ministère de l’Intérieur, ceux de la Garde nationale, des commissariats de police ou des prisons.
Identifié et localisé par la brigade criminelle de Strasbourg, le consul a tenté de se réfugier derrière son statut diplomatique pour échapper à sa responsabilité pénale. Convoqué à diverses reprises par les services du procureur de la République de Strasbourg puis par le juge d’instruction, il a fini par prendre la fuite et fait l’objet depuis le 15 février 2002 d’un mandat d’arrêt à diffusion internationale.
Formée le 1er mars par l’avocat de la plaignante, une demande d’actes adressée au juge d’instruction de Strasbourg vise à faire entendre en Tunisie par le juge et par des policiers français, les témoins directs ou indirects, complices ou co-auteurs du crime en cause. La défense demande par ailleurs à la justice d’ouvrir une enquête supplémentaire fondée sur l’article 434-6 du code pénal français qui réprime le fait de fournir à la personne auteur ou complice d’un crime, un logement, un lieu de retraite, des subsides, des moyens d’existence ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches et à l’arrestation.
Les informations révélées par Madame Z. sont corroborées par un rapport de la FIDH de novembre 1998 « ONU : Comité contre la torture, Tunisie : « des violations caractérisées, graves et systématiques » ainsi que par le rapport du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie intitulé « La torture en Tunisie 1987-2000, plaidoyer pour son abolition et contre l’impunité ». C’est notamment sur la base de ces rapports que le Comité des Nations Unies contre la torture, chargé de vérifier la mise en oeuvre de la Convention de 1984 a, en novembre 1998, souligné la pratique systématique de celle-ci par les agents de l’État à l’époque des faits visés.
La FIDH et la LDH regrettent qu’une information judiciaire n’ait pas été ouverte plus tôt – ce qui aurait permis à Monsieur Ben Said de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés tout en permettant son maintien sur le territoire français. L’avocat de Madame Z. avait pourtant adressé dès le 25 juin 2001 un courrier au procureur général près la cour d’appel de Colmar évoquant le risque évident de fuite du suspect.
La FIDH et la LDH se félicitent néanmoins que la lutte contre l’impunité des crimes commis en Tunisie franchisse ainsi une étape historique.
Après différentes tentatives judiciaires infructueuses c’est en effet la première fois qu’un mandat d’arrêt international, fondé sur le principe de compétence universelle, est délivré contre un tortionnaire tunisien.