Résolution adoptée par le 82ème congrès de la LDH, Evry – 7, 8 et 9 juin 2003
L’Europe reste à faire. Quelque 50 ans après le traité de Rome, après de multiples extensions de ses compétences, alors que dix pays s’apprêtent à adhérer à l’Union et que la Turquie manifeste, à juste titre, la même intention, il n’est pas acceptable que l’Europe reste, plus longtemps, un espace économique, à la démocratie confisquée et repliée sur elle-même.
Nous avons trop longtemps accepté demi-mesures et faux-semblants au nom de la nécessité de fonder et parfaire l’Europe pour compromettre encore. Si nous voulons que l’Europe existe, qu’elle cesse d’être le jouet des intérêts économiques, qu’elle réponde aux aspirations de ses citoyens et qu’elle offre au monde le meilleur de ce que son histoire a porté, nous devons construire un autre projet européen que celui qui nous est proposé.
Nous voulons une Europe démocratique. Aujourd’hui, les institutions européennes balancent entre le pouvoir des gouvernements, les pouvoirs de la commission européenne et les pouvoirs singulièrement limités du Parlement. Seul ce dernier est élu au suffrage direct. La loi européenne s’élabore trop souvent, notamment dans le domaine essentiel qui est celui des libertés, hors de tout débat et de tout contrôle démocratique. Les principes mêmes qui fondent les institutions européennes restent très en deçà de nos attentes : la charte des droits fondamentaux, octroyée par les gouvernements, ignore bien des domaines et le projet de constitution actuellement discuté ne pourrait que renforcer le poids des États au détriment du pouvoir des citoyens. L’Europe doit se conformer aux valeurs qu’elle prétend défendre. Une véritable charte des droits doit faire l’objet d’un débat ouvert à tous les citoyens et doit affirmer les principes d’universalité, d’indivisibilité et d’effectivité des droits civils, économiques, politiques, sociaux et culturels de tous les résidents européens, quelle que soit leur nationalité. L’Europe doit aussi adhérer en tant que telle à tous les instruments internationaux de protection des libertés et des droits économiques et sociaux. C’est, enfin, un réel système démocratique qui doit être adopté où le Parlement légifère, l’exécutif gouverne et l’institution judiciaire règle les conflits, y compris ceux qui opposent les citoyens à l’Union. Pour cela, elle a besoin d’une véritable constitution qui assure aux citoyens une garantie et des recours quant au respect de leurs droits et de leurs libertés. L’Europe doit bâtir des institutions qui permettent l’expression active et participative de ses citoyens.
Nous demandons que les associations et les syndicats soient considérés comme des interlocuteurs à part entière des institutions européennes et que leur place soit reconnue. Il n’existe pas de démocratie sans participation active des citoyens, sans que le désir et les moyens d’être citoyens ne soient présents. Imaginer des contre-pouvoirs au niveau européen, inciter fortement à construire des représentations citoyennes qui dépassent l’assemblage d’intérêts nationaux, voilà ce qui doit être une des priorités de toutes les instances européennes et des sociétés civiles de l’Union. Pour sa part, la LDH entamera les démarches nécessaires pour élargir l’association européenne de défense des droits de l’Homme (FIDH-AE), au-delà des associations qui y adhèrent déjà, à tous les résidents européens.
Nous voulons une Europe respectueuse de la diversité qui la compose. Construire l’Europe, ce n’est pas nier les communautés nationales qui existent, ou édifier des institutions qui, éloignées des citoyens, finissent par offrir le visage désincarné d’une bureaucratie sans légitimité. Les nations et les peuples doivent pouvoir s’exprimer au sein de l’Europe, et il est donc nécessaire de définir les prérogatives de l’Union et des États. S’il ne nous appartient pas de déterminer précisément quelle doit être cette répartition des compétences, nous entendons rappeler avec force qu’elle doit répondre aux exigences suivantes :
-
Ne jamais porter atteinte à l’égalité des droits au prétexte du principe de subsidiarité.
-
Rapprocher, autant que possible et nécessaire, les lieux de décisions des citoyens et permettre à ceux-ci d’identifier les responsabilités de chaque institution. Ne jamais réduire les droits dont les citoyens bénéficient dans leurs propres États.
-
Respecter la diversité au sein de l’Union européenne, mais dans une ambition de progrès partagé qui ouvre à tous le bénéfice des législations les plus avancées.
Nous voulons une Europe sociale. Il n’appartient pas à la LDH de définir un modèle économique. Il lui appartient, en revanche, de rappeler que tout système économique doit respecter les droits économiques et sociaux. L’Europe doit réaffirmer, tout d’abord, la prééminence de ces droits sur l’économie, qui ne se confondent pas avec la charité. Nous récusons un modèle économique qui va à l’encontre du développement durable de l’Union. Nous récusons un modèle économique qui produit du chômage, marginalise des millions de personnes, fait de la spéculation et du profit l’alpha et l’oméga de nos sociétés et méprise l’environnement. L’Europe doit cesser de s’aligner sur le moins disant social et fiscal, ou consentir les exceptions réclamées par ceux qui tentent de mettre l’Union aux services d’intérêts économiques, alors que l’économie doit être mise au service du développement social. Cela passe par la définition d’une politique économique, sociale et fiscale qui ne doit plus être tributaire d’organes, comme la banque centrale européenne, qui exercent leur mission sans contrôle démocratique. L’Europe doit reconnaître la nécessité et le rôle des services publics, essentiels à sa cohésion sociale et territoriale et à la satisfaction des besoins primordiaux de tous les citoyens.
Nous voulons une Europe ouverte sur le monde. Notre continent a théorisé les droits de l’Homme et leur universalité ; l’ensemble des pays qui constituent l’Union européenne sont des démocraties, souvent depuis longtemps. Mais l’Europe a porté aussi le colonialisme, a engendré deux guerres mondiales et un génocide. L’Europe n’a donc aucun titre à se poser en exemple, mais elle a vocation à mettre en commun avec les autres peuples du monde son expérience. Nombre de pays attendent de l’Union européenne qu’elle partage son expérience, notamment ceux avec qui nous avons tissé des liens tout au long de l’histoire. C’est notre responsabilité d’Européens de promouvoir un système international fondé sur la mondialisation des droits, sur l’égalité et la solidarité. Pour cela, il faut que l’Europe s’ouvre au monde et offre un autre visage que celui d’une forteresse assiégée. L’Union doit respecter le droit de chacun à circuler librement, et elle doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que, dès que possible, la liberté d’installation soit effective. Dès maintenant, elle doit reconnaître la citoyenneté de résidence de tous les étrangers y habitant et respecter pleinement le droit d’asile. L’Europe culturelle est déjà une réalité dont il faut amplifier la richesse et la diversité, notamment pour empêcher l’hégémonie d’une culture fondée sur un modèle dominant. Il nous appartient à tous de construire un espace public laïque pour accueillir cette pluralité culturelle qui est la marque de notre époque.
Nous savons que l’Union européenne, aujourd’hui, est loin d’atteindre le minimum de nos exigences. La division survenue au sujet de l’Irak, le néo-libéralisme qui sévit, tant au niveau de plusieurs gouvernements que de la commission européenne, montrent que l’Europe politique et sociale est encore loin devant nous. Nous en sommes convaincus : c’est seulement en nous engageant dans cette voie que l’Europe réunira les citoyens des pays qui la composent autour d’un projet fondateur d’une nouvelle citoyenneté. Nous en sommes convaincus : c’est à cette condition que l’Europe pourra participer à la construction d’une société internationale qui rejette la guerre, l’inégalité et les nationalismes.