Lettre ouverte à la ministre de la Justice signée par la FIDH, le CCR (Center for Constitutional Rights), l’ECCHR (European Center for Constitutional and Human Rights), et la LDHLa Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), ses organisations affiliées aux Etats-Unis, le Center for Constitutional Rights (CCR) et en France, la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH), ainsi que le European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ont envoyé aujourd’hui une lettre ouverte à la Ministre française de la Justice. La lettre demande à Madame Rachida Dati d’instamment intervenir auprès du Procureur Général près la Cour d’ Appel de Paris afin que soit révisée sa position du 27 février 2008, accordant à l’ancien Secrétaire américain à la Défense, M. Donald Rumsfeld, une immunité de juridiction pénale pour actes de torture. La lettre a également été envoyée à M. Bernard Kouchner, Ministre des Affaires Etrangères.
Le 25 octobre 2007, ces organisations avaient déposé une plainte auprès du Procureur de Paris contre M. Rumsfeld à l’occasion de sa visite privée à Paris. Cette plainte allègue que M. Rumsfeld, en violation de la Convention contre la Torture ratifiée par la France et intégrée en droit français, est responsable d’avoir directement et personnellement élaboré et ordonné le recours à des méthodes d’interrogatoire dites “musclées”, constitutives d’actes de torture. La plainte, accompagnée de centaines de pages de preuves, allègue également que ces techniques ont été mises en œuvre sous sa supervision, notamment à Guantanamo et Abou Ghraïb (Irak). Dès 2002, M. Rumsfeld a personnellement organisé en détails plusieurs séances de torture infligées à des personnes soupçonnées d’activités terroristes.
Les organisations plaignantes avaient contesté la décision de classement sans suite du Procureur de la République, qui accordait ainsi une immunité à M. Rumsfeld en se fondant sur une opinion donnée par le Ministère des Affaires Etrangères, auprès du Procureur Général, sans succès, puisque celui-ci a maintenu cette décision.
La Lettre ouverte adressée à la Ministre de la Justice, Madame Rachida Dati, démontre en particulier que les décisions rendues par les autorités judiciaires du Parquet de Paris ne contiennent aucun point de droit justifiant l’octroi de l’immunité à M. Rumsfeld, en sa qualité d’ancien Secrétaire d’Etat à la Défense, qu’elles méconnaissent le principe selon lequel il n’existe aucune immunité pour des crimes internationaux aussi graves que la torture, et enfin qu’en conférant l’immunité à des anciens hauts dirigeants coupables de tels crimes, elles contredisent directement la législation française qui intègre les dispositions de la Convention contre la Torture.
Dans sa décision, le Procureur Général se réfère au jugement rendu par la Cour Internationale de Justice dans l’affaire Yérodia, en 2002, qui n’a retenu une immunité pour un Ministère des Affaires Etrangères, que pendant l’exercice de ses fonctions. Or, M. Rumsfeld est un ancien Ministre de la Défense qui se rendait en France en visite privée.
Quant à savoir comment la position actuelle pouvait être réconciliée avec la précédente demande du Procureur de Paris d’extrader l’ancien Président Augusto Pinochet, le haut magistrat a prétendu, incroyablement, que les allégations de torture contre M. Rumsfeld “ne sont pas détachables” de ses fonctions officielles, ce qui n’était pas le cas du Général Pinochet, qui était accusé de crimes graves tels que assassinats et enlèvements.
Mais comme le démontrent les signataires, aussi bien en droit français qu’en droit international : «Il est bien établi que l’immunité personnelle des anciens hauts dirigeants ne couvre que les “actes officiels” accomplis alors qu’ils exerçaient leurs fonctions, et non pas l’accomplissement de crimes internationaux dont on ne peut sérieusement considérer qu’ils rentrent dans l’exercice des fonctions officielles. »
La lettre à Madame Rachida Dati poursuit : «L’extension du bénéfice de l’immunité … conduirait à conférer une impunité permanente pour les crimes internationaux, non seulement au profit des chefs d’Etat et ministres des Affaires Etrangères, mais par extension à tous les ministres d’un gouvernement, aussi bien pendant la durée de leur mandat qu’après la cessation de leurs fonctions. »
Cette immunité revient à accorder de facto l’impunité aux anciens dirigeants responsables de crimes internationaux, et à ériger le territoire français en havre de paix pour les tortionnaires. Elle n’a pour objet que de privilégier les relations diplomatiques et politiques entre Etats au détriment du droit et de la justice.
C’est « afin d’éviter une application sélective, et pire encore réduite comme une peau de chagrin, de la lutte contre l’impunité » que les organisations plaignantes ont choisi aujourd’hui d’en appeler à Madame la Ministre de la Justice.
La lettre ouverte est disponible sur le site de la FIDH. Cliquez ici
Paris, le 21 mai 2008