Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH, et Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH
Face au regain des discours xénophobes, à l’exploitation politique indigente et délétère des peurs, Politis publie l’appel d’intellectuels et d’artistes en faveur du retrait du projet de loi immigration, et de la création d’un véritable service public d’accueil des exilés.
Nous, signataires du présent appel, exprimons notre consternation devant la teneur du débat qui se mène au Sénat sur la loi immigration. Son indigence réside dans la nature même du texte du ministre de l’Intérieur, aggravé aujourd’hui des concessions auxquelles celui-ci se prête avec complaisance. La question de l’accueil des exilés, qui, plus que toute autre, dessine le visage de la France, mérite mieux que l’opération de basse politique à laquelle se livrent MM. Macron et Darmanin, dont le seul but est de recomposer la droite à leur profit et d’intégrer le Rassemblement national dans une majorité de gouvernement.
Alors que l’immigration est loin d’être la préoccupation principale des Françaises et des Français, qui s’inquiètent de l’inflation, des effets des désastres climatiques, de la dégradation du service public d’éducation, des déserts médicaux, des discriminations, le gouvernement est prêt à toutes les compromissions pour séduire une droite extrême et une extrême droite qui veulent dicter leur logique identitaire. Pour cela, MM. Macron et Darmanin n’hésitent pas à instrumentaliser la peur de l’autre et à jouer de tous les amalgames entre immigration et délinquance, entre immigration et terrorisme – laissant entendre que le danger viendrait nécessairement de l’extérieur.
Ce n’est pas en dressant des murs de xénophobie et de haine que la France fera face à des mouvements de population désormais irréversibles, qui, d’ailleurs, concernent moins notre pays que ses voisins. La France, ce pays dans lequel une multitude d’individus, d’origines, de croyances et d’opinions vit ensemble, ce n’est pas ça ! Ce n’est pas cet esprit de forteresse assiégée. Ce n’est pas la remise en cause du droit du sol, l’un des grands acquis de notre histoire. Ce n’est pas sacrifier des droits d’asile inaliénables et indivisibles. Ce n’est pas le recours à la notion floue de « menace à l’ordre public ».
La France que nous voulons, ce n’est pas livrer les exilés à une justice expéditive devant un juge unique. Ce n’est pas la multiplication des obligations de quitter le territoire, avec la seule obsession du chiffre. La France que nous voulons, ce n’est pas, au mépris de toute humanité, interdire aux médecins de prendre en charge les exilés malades avant qu’ils éprouvent une « douleur aiguë » ou souffrent d’un mal incurable. Où est la logique quand on privilégie la médecine d’urgence à la prévention ?
Au prétexte de sécurité et de préférence nationale, le gouvernement attaque le socle de notre État de droit. S’il y a un problème d’intégration des exilés, c’est d’abord un problème social. Nous rejetons toute logique identitaire. Nous nous prononçons pour un véritable service public d’accueil des exilés, les initiant à notre langue et les orientant vers l’emploi dans le respect du droit du travail. Les grands mouvements qui agitent la planète appellent une réponse faite de lucidité, d’ambition, de dignité et de générosité. Avec MM. Macron et Darmanin, nous en sommes loin. C’est pourquoi nous demandons le retrait d’un projet de loi menaçant pour les exilés et dangereux pour toute notre société.
Signataires : Étienne Balibar, philosophe ; Patrick Baudouin, président de la LDH ; Hourya Bentouhami, philosophe ; Amal Bentounsi, militante associative ; Alain Bertho, anthropologue ; William Bourdon, avocat ; Youcef Brakni, militant associatif ; Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières ; Vincent Brengarth, avocat ; Dominique Cabrera, cinéaste ; Fanélie Carrey-Contes, secrétaire générale de La Cimade ; Samuel Churin, comédien ; Alexis Cukier, philosophe ; Valérie Damidot, animatrice de télévision ; Eva Darlan, comédienne ; Laurence De Cock, historienne ; Rokhaya Diallo, journaliste, autrice et réalisatrice ; Samia Djitli, retraitée de la culture ; Elsa Dorlin, philosophe ; Annie Ernaux, écrivaine ; Mireille Fanon-Mendès-France, présidente de la Fondation Frantz-Fanon ; Éric Fassin, sociologue ; Corentin Fila, comédien ; Bernard Friot, sociologue, économiste ; François Gemenne, politologue ; Roland Gori, psychanalyste ; Robert Guédiguian, cinéaste ; Nacira Guénif, sociologue, anthropologue ; Kaoutar Harchi, sociologue, écrivaine ; Jean-Marie Harribey, économiste ; Cédric Herrou, agriculteur et responsable de la communauté Emmaüs de la Roya ; Chantal Jaquet, philosophe ; Gaël Kamilindi, comédien ; Bernard Lahire, sociologue ; Mathilde Larrère, historienne ; Frédéric Lordon, économiste ; Sandra Lucbert, autrice ; Noël Mamère, écologiste ; Corinne Masiero, comédienne ; Henry Masson, président de La Cimade ; Christelle Mazza, avocat ; Médine, rappeur ; Philippe Meirieu, universitaire ; Gérard Mordillat, cinéaste ; Gérard Noiriel, historien ; Émilie Notéris, écrivaine ; Thomas Piketty, économiste ; Jean-Michel Ribes, scénariste, réalisateur ; Michèle Riot-Sarcey, historienne ; Gisèle Sapiro, sociologue ; Catherine Sinet, journaliste ; Maboula Soumahoro, universitaire ; Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice ; Assa Traoré, militante associative ; Enzo Traverso, historien ; Usul, vidéaste ; Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH ; Éric Vuillard, écrivain ; Sophie Wahnich, historienne ; Jacques Weber, comédien ; Catherine Wihtol de Wenden, politiste, spécialiste des migrations internationales.
Le 23 novembre 2023