Il y a un an, le Conseil de l’Union européenne rejetait la proposition britannique d’installer des centres de traitement des demandes d’asile au-delà des frontières européennes. Aujourd’hui, l’« externalisation » par l’Europe de la procédure d’asile revient en force avec une initiative italo-allemande rendue publique le 12 août. Sous le nom de « portails d’immigration » il s’agirait, aux dires du ministre de l’Intérieur allemand, de créer une « institution européenne » chargée du tri, dans des camps situés hors des frontières de l’Union, des demandeurs d’asile et des migrants souhaitant accéder au territoire européen.
Ce projet devrait être examiné lors des prochaines discussions du conseil des ministres de l’immigration des vingt-cinq Etats membres de l’Union européenne. Mais, dans le même temps, on apprend que, sur une initiative italienne, seront mis en place sans attendre – « d’ici à deux mois » – des centres de transit en Libye, pour organiser l’expulsion des migrants qui passent par ce pays, afin d’éviter qu’ils ne poursuivent leur route vers l’Europe. Et l’on sait déjà que le futur commissaire européen chargé des questions d’asile et d’immigration, Rocco Buttiglione, apporte son soutien à l’idée de camps délocalisés pour demandeurs d’asile.
Depuis cinq ans, les instances européennes (Conseil, Commission, Parlement) travaillent, avec difficulté, à l’élaboration d’un dispositif d’asile harmonisé sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne – dispositif caractérisé il est vrai, par un affaiblissement perceptible des garanties et même de l’accès aux procédures pour les demandeurs. On ne peut que s’inquiéter de voir qu’il suffit d’une initiative bilatérale – fut-elle validée à l’avance par un représentant de la Commission – pour remettre en cause ce difficile processus de communautarisation ?
L’externalisation des procédures d’immigration et d’asile, associée à la gestion centralisée des candidats réfugiés dans des camps hors d’Europe, est inacceptable. Affichée comme la solution aux « problèmes complexes et dramatiques de l’immigration clandestine et du trafic des êtres humains », elle n’est en réalité que l’expression renouvelée d’une politique restrictive de l’accès au territoire européen, elle-même première cause de ces drames et appliquée sans nuance aux demandeurs d’asile en recherche de protection comme aux migrants.
Ce projet ne fait que traduire la tendance, déjà ancienne, des Etats occidentaux à s’affranchir de la responsabilité qui leur incombe en vertu de la Convention de Genève relative aux réfugiés de garantir aux demandeurs l’accès à leurs procédures d’asile. Etroitement lié à la collaboration souvent contrainte de « pays-tampons » auxquels l’Union assigne, notamment en Afrique du Nord, la fonction de « cordon sanitaire », il est lourd de risques pour les personnes qui cherchent une protection internationale. Pense-t-on raisonnablement que les autorités libyennes, même si elles ont été récemment adoubées alliées indéfectibles de l’Union dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale, sont en mesure d’assurer la sécurité et le traitement équitable dont les candidats réfugiés peuvent se prévaloir ? Comment imaginer un traitement juste et approprié des migrants par un pays comme la Tunisie, dont sont originaires nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés en Europe ?
Il y a une cinquantaine d’années, au sein des Nations unies et du Conseil de l’Europe, les Etats occidentaux ont souscrit des engagements mutuels pour le respect des droits de l’homme et des réfugiés. Il s’agissait de tourner définitivement la page après les heures sombres que l’Europe venait de vivre. En rejetant les étrangers vers des camps installés hors de ses frontières, l’Union européenne prendrait la responsabilité, dans un terrifiant retour en arrière, de signer le reniement de ses engagements et des idéaux qui ont présidé à sa construction.
La CFDA dénonce fermement les projets d’« externalisation » des procédures d’asile, qui auraient pour conséquence la généralisation d’un traitement au rabais des demandes, ainsi que la mise en place, que ce soit dans l’Union européenne ou hors de ses frontières, de camps pour demandeurs d’asile et pour migrants, comme il en existe déjà à Lampedusa et à Malte. Elle appelle les gouvernements des Etats membres, ainsi que les parlementaires nationaux et européens à s’opposer à toute mesure de ce type, et à réorienter de toute urgence la politique d’asile de l’Union dans le sens du respect du principe de protection.
24 août 2004
Premières organisations de la Coordination française pour le droit d’asile signataires : ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Act-Up Paris, Amnesty International section française, Cimade (Service oecuménique d’entraide), FASTI (Fédération des associations de solidarité avec les immigrés), GAS (Groupe accueil solidarité), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), LDH (Ligue des droits de l’homme), Association Primo Levi (soins et soutien aux victimes de torture et de violence politique)