Tribune de Patrick Baudouin, président de la LDH
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Bien que la situation sociale et politique demeure fortement préoccupante dans notre pays, le présent éditorial se doit d’être consacré à l’Ukraine, un an après l’invasion de ce pays par les troupes russes. Rappel doit d’abord être effectué qu’il s’agit d’une guerre d’agression menée à l’encontre d’un Etat souverain. En pareil cas, la Charte des Nations unies, tirant les conséquences des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, donne pouvoir au Conseil de sécurité, afin de rétablir la paix et la sécurité internationale, de fournir et mettre en œuvre tous les moyens d’ordre militaire nécessaires. Hélas le droit de véto dont dispose la Russie rend illusoire cette disposition. C’est pourquoi la Charte des Nations unies a aussi pris soin de réaffirmer le droit naturel de légitime défense de chacun des membres de l’ONU, dans le cas où il est l’objet d’une agression armée.
La légitimité de la résistance armée des Ukrainiens ne saurait ainsi être sérieusement discutée au regard tant du droit international que du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sauf à remettre en cause la nécessité d’un ordre international plus juste. Toute tentative de justification du Président russe doit être récusée. Sa présentation d’une opération de dénazification constitue, outre une falsification de l’histoire, une évidente contre-vérité, alors même que les dernières élections législatives en Ukraine se sont traduites par un échec cuisant des partis d’extrême droite marginalisés. L’invasion du territoire ukrainien ne peut davantage avoir pour alibi une quelconque menace militaire émanant de l’Otan. L’agression russe n’est en réalité que la poursuite d’une politique expansionniste de Poutine, depuis sa prise de pouvoir, basée sur la terreur et la violation de tous les droits élémentaires, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Russie, ainsi qu’en témoignent les exactions en Tchétchénie, le conflit de Géorgie, l’annexion de la Crimée, la première guerre du Donbass, les interventions militaires en Syrie, en Lybie, et, sous couvert de la violente milice Wagner, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
La LDH ne peut que réaffirmer la position adoptée dès le début de la guerre d’agression. La résistance opposée par le peuple ukrainien à une armée russe dotée d’une force de frappe bien supérieure mérite respect et solidarité. Cette solidarité impose que la résistance armée à l’invasion, légitime au regard du droit international, bénéficie d’un soutien apporté par la fourniture des moyens militaires de défense qui lui sont indispensables. A défaut, la victoire reviendra à l’envahisseur, et ce n’est donc qu’à cette condition qu’apparaît crédible la formulation d’une exigence de retrait immédiat et sans conditions des troupes russes de l’ensemble du territoire ukrainien. La LDH n’entend pas pour autant se limiter à une approche seulement militaire, dont elle appréhende les limites, mais force est de constater que la recherche d’une paix juste et durable n’apparaît pas d’actualité tant que l’agresseur se refuse à une décision de cessez-le-feu avec mise en œuvre effective, et persiste au contraire à amplifier ses attaques à l’encontre de l’intégrité du territoire de l’Ukraine.
Un autre enjeu majeur au regard des abominations commises est celui de la lutte contre l’impunité. Massacres, viols et tortures, bombardements sur les populations civiles et les infrastructures fournissant les biens essentiels, perpétrés au quotidien depuis le 24 février 2022, constituent des crimes de guerre, et, par leur caractère généralisé et systématique, des crimes contre l’humanité. Les enlèvements et déportations d’enfants ukrainiens vers la Russie relèvent même de la qualification de crime de génocide. Tous ces crimes de masse sont documentés en temps réel, et leurs auteurs doivent être poursuivis et condamnés, dans le respect des règles de droit, que ce soit par la justice ukrainienne elle-même, ou par la Cour pénale internationale immédiatement saisie, ou encore au titre de la compétence universelle par les juridictions d’Etats tiers si des responsables présumés se trouvent sur leur territoire. Ce refus de l’impunité doit concerner tous ceux qui sont impliqués dans chaque crime, à tous les niveaux hiérarchiques, y compris pour sanctionner les plus hauts responsables.
Enfin, une leçon à tirer de l’Ukraine est celle concernant les mobilisations et solidarités face aux crises. La solidarité de la communauté internationale doit intégrer un soutien de la société civile ukrainienne organisée qui contribue à la démocratie, ainsi qu’à celles et ceux qui, en Biélorussie et en Russie même, expriment leur refus de l’agression et sont poursuivis et condamnés pour leur opposition à la guerre. Mais cet appel à la solidarité pour l’Ukraine doit s’étendre bien au-delà. De nombreux pays du Sud refusent de s’associer aux sanctions contre la Russie en soulignant, à juste titre, une évidente sélectivité dans les engagements et les solidarités dont l’absence est criante pour d’autres situations de guerre et de crises tout aussi dramatiques. Convaincre partout du bien-fondé de la mobilisation pour l’Ukraine suppose aussi de montrer et revendiquer ce qu’on est en droit d’attendre des pays du Nord pour répondre aux besoins de solidarité globale, face aux multiples crises majeures dans un monde globalisé et interdépendant. La LDH ne cessera d’œuvrer en ce sens.