Tribune commune signée par Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
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Depuis plusieurs mois, la France assiste avec dépit à une surenchère politique et sécuritaire ciblant les consommateurs de drogues. Cette addiction à la répression est pourtant inefficace, coûteuse et dangereuse, selon le selon le Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD)*, qui prône, avec un collectif de personnalités signataires, le débat sur la dépénalisation.
L’été 2023 aura été marqué par une course aux déclarations provocantes et stigmatisantes visant les consommateurs de drogues. L’arène de cette épreuve ? Les médias. Les coureurs ? Des politiques de tous bords.
En juin, Emmanuel Macron, donne le top départ en déclarant : « Les gens qui ont les moyens de consommer de la drogue […] il faut qu’ils comprennent qu’ils nourrissent des réseaux et qu’ils ont une complicité de fait ». S’ensuivent des sorties médiatiques plus provocantes et infondées les unes que les autres. Le ministre de l’Intérieur accuse les usagers de drogues de susciter les règlements de comptes de trafiquants, lorsqu’il n’en fait pas carrément les responsables de « l’exploitation des mineurs, des assassinats, [du] financement du terrorisme, [de] la prostitution ». Éric Ciotti prône un « plan anti-drogues », prévoyant de « multiplier par cinq les amendes » qui s’élèveraient donc à 1 000 €. Fin septembre, sa collègue Christelle D’Intorni renchérit et annonce au sujet de l’amende forfaitaire vouloir « l’augmenter à 10 000 € ».
Cette course à la surenchère répressive s’étend au-delà de l’arène médiatique, nous laissant assister à un véritable sprint gouvernemental et parlementaire depuis le début de l’année. En janvier, des députés du groupe majoritaire déposent une proposition de loi pour augmenter l’amende forfaitaire délictuelle à 500 € et l’étendre aux mineurs. Début avril, le ministre de l’Intérieur confirme que « l’augmentation des peines des consommateurs de drogues est à l’ordre du jour ». Dans la foulée, les députés Les Républicains, proposent de modifier la sanction pénale d’un à deux ans de prison, de 3750 à 15 000€ d’amende, et de 200 à 10 000 € pour l’amende forfaitaire. En septembre, un sénateur républicain présente à son tour une proposition de loi pour une hausse de l’amende pénale à 15 000 €, de l’amende forfaitaire à 1 000 € et pour des tests obligatoires de dépistage de stupéfiants dans les lycées.
La réalité finira-t-elle par rattraper le monde politique ? La répression de l’usage de drogues en vigueur depuis plus de cinquante ans est un échec. La France reste en tête du peloton européen pour sa consommation de cannabis et la consommation de cocaïne continue d’augmenter régulièrement, atteignant un niveau parmi les plus élevés en Europe.
Cette posture, pouvant se résumer à « La drogue c’est mal, il faut punir », place aujourd’hui la France à rebours du débat international. Dans un rapport paru fin septembre 2023, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme constate que la répression de la consommation pose d’importants problèmes de santé publique et de respect des droits humains et souligne que les politiques de dépénalisation ont fait leurs preuves. En Europe, l’Espagne, la République tchèque, le Portugal, la Croatie ou encore la Suisse ont opté pour la dépénalisation toutes drogues confondues. La suppression des sanctions pour simple consommation est également conforme aux recommandations des instances et du droit internationaux, comme le relevait les conclusions du Conseil de l’Union européenne le 8 décembre 2022.
Pendant ce temps en France, le nombre d’interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par cinquante entre 1972 et 2014 et 80 % d’entre elles concernent aujourd’hui le simple usage et non le trafic. En 2023, les consommateurs restent les boucs émissaires des politiques des drogues.
Cette politique a pourtant un coût considérable pour les finances publiques : le budget alloué par l’État à la répression liée aux drogues est ainsi passé de 1,13 milliard d’euros en 2018 à 1,95 milliards d’euros prévus pour 2024, soit une augmentation de 72 % en seulement 6 ans.
Alors, comment expliquer qu‘une grande partie de la classe politique s’acharne dans cette voie sans issue ? Pour nos organisations du Collectif pour une nouvelle politique des drogues, cet aveuglement relève d’une posture morale sur les drogues et leurs consommateurs qui ignore les enjeux sanitaires, sociaux et d’accès aux droits.
Le CNPD dénonce les effets pervers de la pénalisation de l’usage de drogues en France. En maintenant les consommateurs dans l’illégalité, la loi pénale actuelle constitue un frein majeur pour la prévention des addictions, pour l’accès aux soins de manière générale et en urgence en cas de surdose, ainsi que pour la réduction des risques infectieux (VIH et hépatites notamment). Si la consommation comporte effectivement des risques, la répression du simple usage de drogues, délit sans victime, constitue un non-sens.
Sans préjuger d’autres débats, comme celui sur la légalisation du cannabis, la dépénalisation de la consommation est une première réponse nécessaire, urgente et simple. En plus de ses effets sociaux et sanitaires, elle permettrait de décharger les forces de l’ordre et de désengorger les tribunaux. Elle mettrait également fin à des pratiques discriminatoires tant l’application de la loi actuelle cible particulièrement les personnes pauvres précaires et/ou racisées, via une répression effrénée guidée par la politique du chiffre qui altère considérablement les relations entre la police et la population.
Le CNPD a lancé une pétition assortie d’une proposition de loi de dépénalisation de la consommation en juin 2023. Nous appelons la classe politique à sortir sans attendre de l’impasse de la surenchère répressive envers les consommateurs. Pour ce faire, elle doit reconnaître la nécessité de la dépénalisation des drogues et la mettre, enfin, à l’ordre du jour des débats politiques pour privilégier la résolution de problèmes de santé publique et le respect des droits humains.
Signataires : Jean-Maxence Granier, président d’Autosupport des usagers de drogues (ASUD) ; Farid Ghehioueche, porte-parole de Cannabis Sans Frontières ; Collectif d’information et de recherche cannabique (CIRC) ; Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction ; Grégoire Cleirec, président du Groupement de recherches et d’études cliniques sur le cannabis (GRECC) ; Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Florence Rigal, présidente de Médecins du monde ; Alexandra Maillard, membre du bureau administratif de NORML France ; Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons – Section France (OIP-SF) ; Bénédicte Desforges, porte-parole du collectif Police Contre la Prohibition (PCP) ; Catherine Duplessy, directrice de l’association SAFE ; William Lowenstein, président de SOS Addictions ; Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature ; Camille Spire, présidente de AIDES.
* Le CNPD réunit des organisations et associations de policiers-ères, magistrats-es, usagers-ères, acteurs-rices de la santé et de la réduction des risques, professionnels-les de l’addictologie et de défense des droits humains engagées pour un changement des politiques des drogues en France