Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
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Une fois de plus, des centaines de personnes se sont noyées aux frontières de l’Europe en raison du refus délibéré de la part d’Etats membres de l’Union européenne de remplir leurs obligations internationales en matière de recherche et de sauvetage en mer et en matière de droit d’asile.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, des centaines de personnes, y compris de nombreux enfants, sont portées disparues et présumées mortes au large des côtes grecques. On ne sait combien exactement se trouvaient à bord du navire naufragé, mais les témoignages font état de passagers entassés sous le pont lui-même surchargé.
Ce bateau était de fait en détresse, ce qui ne devrait pas autoriser les gardes-côtes grecs à justifier leur inaction en arguant que les passagers auraient refusé les secours. En effet, un avion de Frontex a survolé le navire quelques heures avant le naufrage et l’a signalé aux autorités grecques et italiennes plusieurs heures avant qu’il ne chavire, ce qui aurait dû amener les autorités grecques à déclencher immédiatement une opération de sauvetage dans cette zone de recherche et de sauvetage placée sous leur responsabilité.
La route migratoire la plus dangereuse au monde
Depuis des années, les défenseurs des droits humains, les organisations de la société civile, les Nations unies et les médias internationaux ont documenté les violations des droits ayant lieu sur les routes migratoires, ainsi que la responsabilité des politiques migratoires de l’Union européenne, y compris les limitations croissantes aux opérations de secours en mer et les encouragements au refoulement vers des pays non européens, même lorsque ceux-ci sont unanimement considérés comme dangereux.
Alors que le premier trimestre 2023 a été le plus meurtrier en Méditerranée centrale depuis six ans, qu’avec plus de 20 000 morts en dix ans cette route migratoire est considérée comme la plus dangereuse au monde, l’Union européenne et ses Etats membres n’ont cessé de réduire leur capacité de recherche et de sauvetage (SAR) en mer, tout en violant régulièrement leurs obligations internationales en la matière et en entravant strictement les opérations menées par les navires des ONG, rendant impossible l’assistance rapide et efficace aux personnes migrantes en situation de détresse.
Les organisations de la société civile ont plaidé sans relâche auprès de la Commission européenne, des Etats membres et des décideurs politiques européens pour qu’ils adoptent des mesures visant à mettre fin aux violations des droits humains et aux morts insensées aux frontières de l’UE, qu’ils conditionnent leurs politiques au respect du droit ou les modifient lorsque ce droit est bafoué. Si les mécanismes de l’UE censés évaluer l’impact des politiques migratoires européennes en termes de droits humains fonctionnaient et étaient réellement indépendants et transparents, l’UE n’aurait pu continuer à mettre en œuvre, voire à intensifier, des mesures mettant directement en danger la vie des personnes migrantes.
Un système européen d’asile et de migration encore plus restrictif
Et pourtant, en dépit de ces alertes, l’UE et ses Etats membres continuent de conclure avec des pays non européens des accords impliquant des transferts de milliards d’euros, dans des conditions souvent opaques, dans le seul but « d’externaliser », c’est-à-dire de sous-traiter, leurs responsabilités en matière d’asile et de gestion des frontières.
Au début du mois de juin, les Etats membres de l’Union européenne sont aussi parvenus à un accord pour rendre le système européen d’asile et de migration encore plus restrictif, et renforcer des mécanismes censés décourager les arrivées, tels que la détention systématique aux frontières de l’UE.
Cette approche risque de générer encore davantage de décès en mer et de refoulements vers des pays dangereux. De nombreux travaux de recherches montrent que le durcissement des politiques migratoires et l’absence de voies sûres et légales pour les migrants et les demandeurs d’asile ne font qu’inciter les personnes fuyant la guerre, la violence et la pauvreté à emprunter des itinéraires toujours plus dangereux, au péril de leur vie.
Les propositions prioritaires
Nous demandons :
– Une enquête complète et indépendante sur le naufrage survenu au large des côtes grecques le 14 juin, en particulier sur les rôles de l’UE, notamment de Frontex, et de ses Etats membres.
– La mise en place d’un système d’asile européen qui garantisse aux personnes qui fuient des persécutions dans leur pays d’origine le droit fondamental à une protection dans des pays à même de la leur offrir.
– La mise en œuvre d’opérations européennes de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée, sous la responsabilité des Etats et dans le respect du droit international.
– Enfin, pour décourager les traversées dangereuses, l’ouverture de voies d’accès sûres et légales à l’Europe, aussi bien pour les demandeurs d’asile que pour des personnes en quête de meilleures conditions de vie.
Ces voies doivent notamment inclure, en priorité, l’évacuation de migrants et demandeurs d’asile particulièrement vulnérables, bloqués dans des pays, comme la Libye, où leur vie est en danger du fait de violations systématiques de leurs droits, et où l’accès à la protection et aux soins dont ils ont besoin est inexistant ou extrêmement limité.
Signataires : Action Contre la Faim, Dr Pierre Micheletti, président ; Ados sans frontière Gard, Marie- Claude Tordo Cavagnara et Maguy Joncourt, co-présidentes ; Amnesty International France, Jean-Claude Samouiller, président ; Anafé, Alexandre Moreau, président ; Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), Nacer El Idrissi, président ; ATPAC La Maison Solidaire, Valentin Porte, coordinateur ; Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Patrick Berdugo, Emmanuelle Neraudau et Morade Zouine, co-présidents ; CCFD-Terre Solidaire, Manuèle Derolez, déléguée générale ; Collectif AMIE, Gwenaël Crenn, présidente ; Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry, Aboubacar Dembele et Elhadji Dioum ; Collectif soutiens/migrants Croix-Rousse, Sébastien Gervais, membre du collectif Soutien/migrants Croix-Rousse ; Comede, Didier Fassin, président ; Coordination nationale des jeunes exilé.es en danger, Isabelle Audureau, membre de la coordination nationale jeunes exilé.es en danger ; Dom’Asile, Catherine Claverie, présidente ; Each One, Théo Scubla, président ; Emmaüs France, Antoine Sueur, président ; France Terre d’Asile, Najat Vallaud Belkacem, présidente ; FORIM, Mackendie Toupuissant, président ; Gisti, Christophe Daadouch et Vanina Rochiccioli, co-président.es ; Humanity Diaspo, Rana Hamra – directrice exécutive ; J’accueille, David Robert, co-directeur ; Kids Empowerment, Christophe-Claude Charles-Alfred ; La Cimade, Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale ; LDH (Ligue des Droits de l’Homme), Patrick Baudouin, président ; Ligue de l’Enseignement, Martine Besson, secrétaire générale adjointe ; LTF, Bruno Tesan, directeur de l’association ; Médecins du Monde, Joël Weiler, directeur général ; Médecins Sans Frontières,Claire Magone, directrice générale ; Mediterranea Saving Humans – Paris, Roberto Calarco au nom du groupe Mediterranea Saving Humans-Paris ; Mireille DAMIANO, présidente NICE du Syndicat des Avocats de France – Prix des Droits de l’Homme du Conseil National des Barreaux ; OXFAM France, Baptiste Filloux, chef de pôle Campagnes et plaidoyer Inégalités mondiales, Humanitaire & Migration ; Paris d’Exil, Oriane Sebillotte, co-présidente ; RIACE France, Frédéric Meunier, coordinateur du Fonds de dotation ; Secours Catholique, Véronique Devise, présidente nationale ; Service Jésuite des Réfugiés, Véronique Albanel, présidente ; Singa Global, Rooh Savar, président ; SOS Méditerranée, François Thomas, président ; Syndicat des avocats de France, Claire Dujardin, présidente, Syndicat des avocats de France ; Thot, Félix Guyon, délégué général ; Union des étudiants exilés, Rudi Osman, directeur ; Union syndicale Solidaires, Cybèle David, secrétaire nationale ; UniR, Camila Ríos Armas, directrice ; Utopia56, Yann Manzi, cofondateur délégué général ; Weavers, Flora Vidal Marron, directrice générale et YAMBI, Clélia Compas, présidente.