Lire la tribune de Patrick Baudouin sur Mediapart
Le feu couvait et l’incendie était programmé. Après toute une série de mesures sécuritaires, liberticides, antisociales, un pouvoir autoritaire, négligeant toutes les alertes sur les risques encourus, s’est entêté à faire passer quoi qu’il en coûte le texte sur la réforme des retraites. Contrairement à ce qu’affirme le président Macron, son élection au second tour de l’élection présidentielle ne valait nullement approbation d’un projet de report de l’âge de la retraite, mais constituait avant tout un vote de rejet de la candidate d’extrême droite. Le recours à l’article 49-3, présenté comme respectueux de la légalité puisque prévu par la Constitution, n’en était pas moins illégitime en présence d’un rejet populaire massif et d’une mobilisation citoyenne sans précédent. Ce passage en force, révélateur du mépris souverain des corps intermédiaires et du mouvement social, laisse un champ de ruines : Président discrédité, gouvernement en sursis, Parlement affaibli, République défigurée, pays en colère divisé et déboussolé, avec à la clé une forte inquiétude sur un avenir incertain.
C’est dans ce contexte délétère qu’à compter de la poursuite des manifestations, dès après l’adoption de la loi retraites, s’est enclenchée une nouvelle vague de répression violente des forces de l’ordre, rappelant les dérives constatées au moment de la crise des « gilets jaunes ». De nombreuses villes ont ainsi été le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées. La LDH, disposant d’observateurs-trices sur le terrain, a été amenée à dénoncer les interpellations préventives, les gardes à vue sans fondement, les verbalisations dénuées de base légale, le retour des nasses illégales, l’usage d’armes mutilantes comme les LBD et les grenades de désencerclement, le gazage à outrance, le matraquage systématique, l’emploi de policiers insuffisamment formés et auteurs de graves violations attentatoires à l’intégrité physique et à la dignité des personnes, en particulier ceux de la Brigade de répression de l’action violente motorisée – BRAV-M –, dont la dissolution s’impose. Les évènements survenus à Sainte-Soline à l’occasion des rassemblements contre les mégabassines, qui ont généré de nombreux blessés dont certains en urgence absolue, ne font que conforter l’urgente nécessité d’enrayer une telle escalade répressive.
Le rôle des autorités est de garantir le droit de manifester, et non de l’entraver pour tenter par ce biais de briser le dynamisme d’un mouvement social de grande ampleur. Ce respect des droits fondamentaux suppose la mise en œuvre d’une véritable déontologie des forces de l’ordre, seule de nature à réconcilier la population et une police dont la vocation première est de protéger les citoyens. La LDH formule plusieurs propositions et revendications : une révision des méthodes d’intervention du maintien de l’ordre passant par l’interdiction des techniques d’immobilisations dangereuses et des armes de guerre, une refonte des conditions autorisant les contrôles d’identité, une réelle transmission des données pour faits de violence et la création d’un service d’enquête indépendant, la mise en place d’un matricule des policiers visible en toutes circonstances pour permettre leur identification, un traitement judiciaire amélioré aux fins de cessation de toute forme d’impunité, un respect du statut des observateurs-trices et des journalistes pour assurer la liberté d’informer.
Le pouvoir doit comprendre que la fin d’un mouvement social ne se décrète pas par le simple usage de moyens d’intimidation répressifs. Ce changement de logiciel s’impose d’autant plus que la crise est profonde et multiple, touchant à la démocratie politique, sociale, territoriale. Or une démocratie concrète et vivante est indispensable face aux chantiers essentiels négligés que sont la transition écologique, la lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités, le sens du travail, l’accueil des étrangers, le tout dans un monde globalisé non dénué de périls. L’espoir peut venir d’une mobilisation citoyenne exemplaire, portée par une unité syndicale bienvenue, qui ouvre la voie à l’usage de vertus méconnues par le pouvoir : dialogue, responsabilité, rassemblement. C’est dans cet esprit de sagesse que, tirant la sonnette d’alarme sur le risque d’un embrasement incontrôlable, la LDH a joint sa voix à la demande faite au gouvernement de retirer une réforme des retraites particulièrement injuste et pénalisante pour les citoyen-ne-s déjà les plus défavorisé-e-s.
Le moment est grave car se joue le sort de l’avenir politique du pays. Ou bien le président de la République s’obstine dans une position de mépris et d’aveuglement qui ne peut que conduire au chaos, sauf perspective cynique d’y échapper en comptant sur l’hypothèque du Rassemblement national. Ou bien en guise de sursaut et pour un avenir commun apaisé, se trouve reconnue la légitimité du mouvement populaire avec en corollaire une désescalade immédiate de la répression, afin de rétablir un fonctionnement démocratique basé sur la poursuite de l’égalité des droits, de la justice sociale et de la solidarité. C’est vers ce dernier choix que la LDH continuera de porter tous ses efforts.
Paris, le 28 mars 2023